La question dépasse l'opinion que l'on peut avoir de la justice militaire : dans le contexte dont nous parlons, les militaires disposaient de pouvoirs qui ne leur sont pas dévolus en temps de paix. Ce ne sont pas les militaires qui ont décrété l'état de siège, renoncé au droit de grâce ou suspendu, le 10 août, le recours en révision des condamnés. Les deux tiers des fusillés de la Grande Guerre l'ont été, si je ne m'abuse, en 1914 et 1915. La journée du 2 septembre offre un exemple éclairant. Le général Joffre connaissait très bien l'état d'épuisement des troupes. On lui a reproché la directive suivante qui était on ne peut plus claire : « Les fuyards, s'il s'en trouve, seront pourchassés et passés par les armes. ». Mais le 2 septembre, je le rappelle, le Gouvernement était dans le train pour Bordeaux, avec l'or et l'argent de la Banque de France, et la session parlementaire avait été suspendue. La République reprendra progressivement ses droits avec le retour du Gouvernement à Paris le 22 décembre, et s'il est vrai qu'il a parfois été fait un usage excessif de certains pouvoirs confiés aux militaires, il ne faut pas oublier dans quel contexte. La République a réhabilité une quarantaine de fusillés au cours de l'entre-deux-guerres, mais on ne peut pas aborder ce « kyste mémoriel » sans le remettre en perspective.