Depuis 1990, le principe de l'intangibilité des frontières constitue le pilier de l'Europe de l'après Guerre froide. Au moment de la réunification de l'Allemagne, lors des débats sur la ligne Oder-Neisse, tout le monde a estimé que si elles n'étaient pas respectées, l'Europe risquait d'entrer dans une période de très grandes turbulences – et François Mitterrand partageait évidemment cette conviction.
En 1994, la dénucléarisation de l'Ukraine a été échangée contre la garantie de son intégrité territoriale.
Aujourd'hui, tandis que les frontières d'un État souverain sont modifiées par un coup de force déguisé en un référendum pour l'indépendance, tous les États du monde, Iran et pays du Moyen-Orient compris, constatent qu'il n'est pas sage d'abandonner l'arme nucléaire si l'on veut éviter d'être victime d'une atteinte à sa sécurité. Autrement dit, nos engagements et nos principes volent en éclats.
Nous pouvons, comme notre collègue centriste, accepter le fait accompli et considérer que la Crimée est perdue en invoquant des arguments historiques – ils avaient déjà servi pour les Sudètes, et on en trouve toujours pour défendre ce type de thèse. Mais, si nous tenons ce langage aux Russes, nous devons être conscients qu'ils ne s'arrêteront pas là : la Biélorussie, la Moldavie et, très probablement, le Kazakhstan suivront, ainsi peut-être ensuite qu'un des États baltes – ce qui ne sera pas sans poser des problèmes en raison de l'appartenance de ces derniers à l'OTAN et à l'Union européenne.
Nous pouvons aussi ne pas accepter le fait accompli ce qui implique un certain nombre de conséquences sur lesquels je souhaite connaître votre avis, monsieur le ministre. Dans ce cas, il faut en effet commencer par sauver l'Ukraine économiquement en mettant 11 milliards d'euros sur la table. Les États occidentaux et l'Ukraine doivent aussi proposer une solution fédérative de sortie de crise dans le cadre de l'OSCE, et revitaliser le groupe de contact. En cas d'échec, il est enfin indispensable de mettre en oeuvre des sanctions qui peuvent aller jusqu'à la mise en place d'une alerte au sein de nos alliances.
Ne sous-estimons pas la crise actuelle ! Il faut établir un dialogue avec la Russie, mais, si les frontières sont modifiées de facto et que les accords de sécurité avec l'Ukraine sont piétinés, nous devons être conscients que nous entrerons dans un système européen ouvert nouveau dans lequel les problèmes de sécurité se poseront inéluctablement à nouveau.
Monsieur le ministre, acceptons-nous le fait accompli ? Si nous ne l'acceptons pas, que faisons-nous ensuite ?