Le sujet de l'expatriation hors de France de jeunes diplômés, d'entrepreneurs et d'entreprises, d'artistes, de contribuables qui s'en vont s'installer en Belgique, en Suisse ou au Royaume-Uni occupe très régulièrement les colonnes de la presse nationale. Mon collègue Marc Le Fur me montrait d'ailleurs, tout à l'heure, la une du journal Ouest-France consacrée à ce sujet. Je constate que les enjeux sont importants pour notre pays mais que néanmoins ce phénomène reste mal connu, ce qui justifie ainsi pleinement la création d'une commission d'enquête.
Dans le contexte de la mondialisation le sujet de l'expatriation, notamment de nos jeunes diplômés, n'est pas en soi un problème pour notre pays. C'est en effet un mouvement dont nous devons nous féliciter, nos jeunes doivent partir à la conquête du monde et en revenir riches d'expériences. D'ailleurs, comme le relève la Chambre de commerce et d'industrie de Paris dans le rapport qu'elle vient de publier sur le sujet, la part de la population expatriée s'avère moindre en France que chez nos partenaires européens.
Il faut donc faire la part des choses entre cette expatriation positive dans un contexte de mondialisation et un aspect beaucoup plus négatif sur lequel nous souhaitons nous pencher et qui serait lié à une perte d'attractivité de notre territoire qui ne favoriserait pas suffisamment l'innovation, la création d'entreprises et le développement économique au sens large. Ce deuxième aspect pourrait être fort dommageable pour notre pays. Il ne s'agit pas de céder aux polémiques mais bien de comprendre les ressorts de ce phénomène, d'en décrire les tendances de fonds. Je souhaiterais travailler dans les meilleures conditions possibles, en dépassant nos différentes sensibilités politiques, sur un sujet aussi important pour notre économie.
Toutes les conditions permettant la création d'une commission d'enquête selon notre règlement sont réunies : aucune mission d'information, ni aucune commission d'enquête n'a été créée au cours des douze derniers mois. De plus, la garde des sceaux nous a indiqué qu'il n'y avait aucune procédure judiciaire en cours sur les faits sur lequels nous souhaitons enquêter.
Le travail de la commission d'enquête que je propose de créer devrait s'articuler autour de trois axes.
Premièrement, ses travaux devraient porter sur la question de l'exil fiscal. Le poids et l'instabilité de la fiscalité française poussent en effet un certain nombre de nos compatriotes à s'exiler vers la Belgique, la Suisse, et le Royaume-Uni. C'est un phénomène qu'il est particulièrement difficile à appréhender. Le Directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, l'avait d'ailleurs souligné lors de son audition devant la commission des Finances il y a quelques mois. Comme vient de l'indiquer le Président de la commission des Finances, un rapport nous a été transmis pour la première fois sur cette thématique en se concentrant notamment sur les contribuables éligibles à l'impôt de solidarité sur la fortune et en offrant un premier bilan sur l'application de l'exit tax. Ce rapport, résultant d'un amendement de M. Gilles Carrez, propose des données intéressantes mais pas forcément exhaustives. Notre travail devait permettre de poursuivre ce travail, d'évaluer et d'analyser l'exil fiscal mais je ne voudrais pas que ce point constitue le coeur du travail de cette commission d'enquête.
Le deuxième point sur lequel devrait travailler la commission d'enquête concerne la question de l'expatriation des activités économiques, des centres de décision, ainsi que de ses acteurs. La délocalisation de groupes qui avaient leur siège en France et qui se repositionnent est une source d'inquiétude, tout comme le choix de nombreux entrepreneurs français de développer leur activité hors de notre territoire en raison d'un climat défavorable et d'un manque de souplesse administrative, notamment pour les start-up comme l'a prouvé il y a peu le mouvement des « pigeons ». Ces expatriations, qui sont difficilement réversibles, peuvent avoir de lourdes conséquences pour notre économie. Elles ont en effet un impact direct mais également indirect sur notre économie, puisqu'elles affectent de nombreuses activités induites notamment en ce qui concerne les externalisations ou le domaine des services aux entreprises. Le manque à gagner peut s'avérer considérable pour notre pays. L'instabilité de notre fiscalité a des effets indéniables sur la création d'entreprises en France, induisant une perte de richesse et de capital humain. Enfin, nous constatons une dégradation de l'attractivité de notre pays pour les grandes entreprises internationales qui ont de plus en plus de mal à faire venir en France des cadres britanniques et des cadres américains. Ce phénomène s'est aggravé ces dernières années.
Le troisième et dernier axe concerne les enjeux générationnels des forces vives de la nation. Comme cela a déjà été dit l'exil de nos jeunes diplômés est une chance. Les études à l'étranger leur permettent de croiser leur culture avec d'autres, la banalisation de ces mouvements vers l'international est un bon point pour notre économie, car ils renforcent le bagage de nos jeunes diplômés. En revanche, nous devons nous inquiéter de ces mouvements, si les jeunes exilés ne reviennent pas vers le territoire national. Ce phénomène ne concerne pas uniquement les plus diplômés, il touche également les diplômés ayant un niveau bac + 3 ou un niveau inférieur. L'exil est une option intéressante pour ces jeunes car les salaires sont souvent plus élevés à l'étranger et les opportunités professionnelles plus nombreuses.
Voilà donc les trois axes sur lesquels je propose que la commission d'enquête devra travailler.
Il ne s'agira pas uniquement de décrire le phénomène mais également d'y apporter des remèdes. C'est un sujet d'une très grande importance pour l'avenir de notre pays, quelles que soient nos sensibilités. Nous avons intérêt à y travailler de manière collective, non polémique, et c'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que nos réflexions portent sur une période de dix ans, donc depuis 2004. Les phénomènes qui nous intéressent se déploient dans le temps et ne pourront même s'inverser que dans le temps également. Nous devrons y faire attention dans les propositions que nous serons à même de formuler.