Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du 8 avril 2014 à 21h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Leroy, rapporteur :

Je remercie le président Jean-Paul Chanteguet de ses paroles de réconfort, moi qui aie été battu aux élections municipales.

Le présent texte doit être envisagé principalement sous l'angle de la compétitivité des transports et des services maritimes, thème sur lequel j'ai récemment rédigé un rapport à la demande du précédent Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault. Ce projet de loi était en préparation depuis près deux ans et demi : il a fait l'objet de nombreux échanges entre les ministères de la défense, des affaires étrangères et des transports.

Le Gouvernement et la majorité ont souhaité limiter aux navires de commerce battant pavillon français la possibilité de recourir à des gardes armés privés. Le risque d'ouvrir ainsi la voie à des activités de mercenariat a longtemps constitué un noeud gordien. Ce texte s'appliquera donc spécifiquement à la mer.

Il répond à une forte attente de la marine marchande, tant des armateurs que des syndicats de marins. Il revêt une importance considérable au regard de l'expansion du transport maritime à l'échelle mondiale, avec la conteneurisation, mais aussi de la pêche hauturière – notamment au thon tropical. Il importe de défendre le pavillon français, enjeu qui nous rassemble au-delà de nos appartenances partisanes, et de le doter des mêmes armes que ses concurrents. Nous préviendrons ainsi le risque de dépavillonnement et nous assurerons la pérennité des armements français ainsi que le maintien sur notre territoire des sièges sociaux des compagnies de marine marchande. Celles-ci emploient 15 000 à 20 000 personnes. En outre, la nouvelle activité privée de protection des navires pourrait susciter la création de 500 à 1 000 emplois dans notre pays.

La possibilité de se protéger contre les attaques des pirates constitue désormais un critère de compétitivité pour les pavillons. Évoquer la piraterie à l'Assemblée nationale au XXIe siècle peut sembler irréel : on croyait qu'elle avait été éradiquée aux XVIIIe et XIXe siècles, mais elle est réapparue récemment. Les zones frappées évoluent rapidement : la situation a d'abord été critique dans le détroit de Malacca, il y a une vingtaine d'années ; les problèmes se concentrent actuellement en Asie du Sud-Est, dans le golfe d'Aden et dans le golfe de Guinée. Selon les estimations de la Banque mondiale, dans le seul golfe d'Aden, le montant des rançons versées aux pirates entre 2005 et 2012 s'est élevé à un demi-milliard de dollars. Il s'agit donc d'une activité lucrative, contre laquelle nous devons nous organiser.

La France, l'Europe et le monde ont déjà réagi en déployant des escadres dans les zones à risque : ce sont les opérations Atalante, menée par l'Union européenne, et Ocean Shield, conduite par l'OTAN. Cette présence constante a fait diminuer les risques, mais elle ne parvient pas à assurer une sécurité maximale. De plus, les contraintes pesant sur les budgets militaires, en France et dans d'autres pays partenaires, limitent son envergure.

Les armateurs peuvent actuellement faire appel à des fusiliers de la marine nationale pour protéger leur navire. Mais, au regard du nombre de personnes disponibles – moins de 200 aujourd'hui –, ce dispositif apparaît très fragile. Compte tenu de l'expansion des phénomènes de piraterie, il doit absolument être complété par la possibilité de recourir aux activités privées de protection des navires. Dans le cadre de la mission qui m'avait été confiée par le Premier ministre, j'ai rencontré de nombreux armateurs qui se mettaient hors la loi pour assurer leur sécurité dans certaines zones. Il faut sortir de ce vide juridique, qui fait courir de grands risques économiques : aujourd'hui, si un navire qui a embarqué des gardes privés se fait attaquer, l'armateur n'est plus couvert par son assurance ; ce dommage peut lui coûter plusieurs centaines de millions d'euros et littéralement couler son entreprise.

La plupart des États européens autorisent la présence d'entreprises privées de protection à bord des navires. Tel est le cas de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Grèce, du Danemark et de la Belgique. Ce projet de loi alignera la législation française sur celles de ses partenaires, qui sont aussi ses concurrents.

Je le souligne : ces gardes armés ne seront en aucun cas des mercenaires. Cette accusation continue à susciter beaucoup d'émotions et de fantasmes. Elle doit être combattue : si faire appel à des gardes privés pour protéger un navire relève du mercenariat, les services équivalents à terre – utilisés pour le convoyage de fonds ou la protection de certains commerces – en relèvent également. De plus, la notion de mercenaire est définie très précisément par l'article 436-1 du code pénal.

Le projet de loi encadre strictement le recours aux gardes armés sur les navires. D'abord, le casier judiciaire des dirigeants et de leurs agents sera contrôlé. En outre, l'autorisation de recourir à leurs services sera limitée à certaines zones maritimes et à certains types de navires. Concernant ce dernier point, je proposerai toutefois d'inverser la logique : le principe sera l'autorisation, le décret devant fixer la liste des navires inéligibles. Enfin, le projet de loi prévoit un contrôle du respect des règles qu'il fixe à terre comme en mer, instaure un suivi strict des armes embarquées, interdit la sous-traitance et n'admet le recours à la force que dans le cadre de la légitime défense.

J'ai souhaité apporter quelques modifications au projet du Gouvernement, notamment en limitant le recours au décret, quelque peu abusif dans ce texte. Afin de pouvoir adapter rapidement à l'évolution des menaces la délimitation des zones géographiques dans lesquels il est possible de recourir aux activités privées de protection des navires, je propose la création d'un comité comprenant des représentants des armateurs, de la marine nationale, du ministère des affaires étrangères et de celui des transports, qui se réunirait à la demande de l'un de ses membres. Nous devons être réactifs : nous ne pouvons dépendre en permanence d'un décret dont la rédaction peut prendre beaucoup de temps. Cela risquerait de mettre des armateurs en difficulté pour contracter des assurances, conserver des marchés et, in fine, rester sous pavillon français.

En outre, je propose de protéger les officiers de marine marchande en limitant leur responsabilité juridique. Il convient en effet de tenir compte de la cohabitation qui existera désormais sur les navires entre l'équipage et les gardes armés, le capitaine demeurant le seul maître à bord. Par ailleurs, je suggère que les navires de croisière circulant « à vide » puissent également faire appel aux services de gardes armés. Enfin, il convient de protéger les pirates capturés lors d'une opération. Afin d'éviter toute incertitude juridique, je propose d'intégrer dans la loi les règles qui découlent de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans l'affaire du MC Ruby – dont l'équipage avait jeté à la mer des passagers clandestins.

D'une manière générale, je me suis attaché à l'édiction de règles strictes et cohérentes dans ce domaine par nature international – les armateurs peuvent changer très vite de pavillon. Ainsi, le projet de loi prévoyait d'interdire aux entreprises privées de protection des navires de faire état de la qualité d'ancien fonctionnaire de police ou d'ancien militaire que pourrait avoir l'un de ses dirigeants ou de ses agents. Or cela pénaliserait les sociétés françaises susceptibles d'entrer sur ce nouveau marché par rapport à leurs concurrentes de droit britannique, israélien ou sud-africain. À l'instar de la commission de la défense, je propose de supprimer cette disposition. La protection armée des navires n'est pas comparable aux activités de convoyage de fonds ou de gardiennage à terre, qui peuvent être contrôlées efficacement. Le plus souvent, les gardes armés ne transiteront pas par le territoire français : ils embarqueront pour des durées courtes, au plus proche des zones à risques. En effet, les armateurs ont intérêt à limiter au maximum leur présence en temps et en nombre sur les navires, afin de réduire les coûts. Nous devons en tenir compte et créer des outils qui répondent à ces besoins.

D'autre part, je propose d'instaurer un filtre afin d'éviter l'engorgement du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) : les candidats à l'obtention d'une carte professionnelle d'agent de protection devront accompagner leur demande au CNAPS d'une lettre d'intention d'embauche rédigée par une entreprise privée de protection des navires. Cette disposition répond à une suggestion qui nous a été faite au cours d'une audition.

Je vous remercie, mes chers collègues, de m'avoir témoigné votre confiance en me désignant rapporteur de ce projet de loi. Je remercie également les rapporteurs pour avis Anne-Yvonne Le Dain et Nicolas Bays, avec lesquels j'ai organisé des auditions communes, ainsi que notre collègue Christophe Bouillon, avec lequel j'ai beaucoup travaillé sur ce dossier.

Ce projet de loi est un texte technique, mais il permet de répondre à un phénomène grave à l'échelle internationale, qui connaît une recrudescence dans certaines régions et n'est sans doute pas prêt de décliner : chaque fois qu'un État s'affaiblit ou s'effondre, de nouvelles zones de piraterie apparaissent. De plus, la question de la protection des installations pétrolières en mer – que de nombreux États ont fait le choix de développer – se posera également à l'avenir. Par chance, certaines d'entre elles sont considérées comme des navires.

Nous devons être conscients de la réalité des menaces. Il s'agit d'assurer la sécurité des hommes, des biens et des navires, et de défendre le pavillon français – qui n'est pas le plus dynamique actuellement – en mettant fin à une situation qui le distingue négativement de ses concurrents européens et mondiaux.

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