Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 9 avril 2014 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Si le trafic d'espèces sauvages n'est pas un phénomène récent, son échelle, sa nature et ses répercussions ont considérablement évolué ces dernières années. Il s'agit dorénavant d'une criminalité organisée commise par des groupes du même type que ceux opérant dans le trafic d'êtres humains, de drogues ou d'armes.

Les estimations suivantes permettent de se faire une idée de l'ampleur du phénomène : 22 000 éléphants ont été tués par des braconniers en 2012 et 40 tonnes d'ivoire illégale ont été saisies en 2013 ; 1 000 rhinocéros ont été victimes de braconnage en 2013, contre seulement 13 en 2007 ; la population mondiale de tigres est passée de 100 000 individus il y a un siècle à moins de 3 500 aujourd'hui ; la déforestation illégale représente jusqu'à 30 % du commerce du bois à l'échelle mondiale et contribue à hauteur de plus de 50 % à la disparition de la forêt tropicale en Afrique centrale, en Amazonie et en Asie du Sud-Est ; la valeur globale de la pêche illégale est estimée à 10 milliards d'euros par an, soit 19 % de la valeur déclarée des prises.

Ce phénomène est préoccupant à plusieurs égards : le trafic d'espèces sauvages constitue une menace sérieuse pour la biodiversité et le développement durable ; le braconnage figure parmi les facteurs contribuant à l'instabilité de certaines régions comme l'Afrique centrale ; les animaux étant importés illégalement, en dehors de tout contrôle sanitaire, un risque de santé publique lié à la transmission de maladies se pose également ; certaines populations se trouvent privées d'opportunités considérables en matière de moyens de subsistance viables ; ce commerce illégal bénéficie aux réseaux criminels internationaux, ce qui implique un manque à gagner financier substantiel pour les États ; il contribue de surcroît à la corruption et aux flux de capitaux illégaux ; au cours de la décennie écoulée, on estime à environ un millier le nombre de gardes forestiers tués au cours d'opérations anti-braconnage.

Dans ce contexte, quelles sont les actions de l'Union européenne ?

La Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction (CITES) a pour mission d'assurer que le commerce d'environ 35 000 espèces animales et végétales protégées ne menace par leur survie. L'Union européenne, qui est l'un des principaux soutiens de cette convention, a joué un rôle essentiel dans l'adoption de ces mesures. Elle n'est toutefois pas encore partie à la CITES mais s'apprête à y adhérer.

La Commission européenne est le principal donateur au Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC), dont l'objectif est de coopérer avec les pays d'origine, de transit ou de vente finale des produits issus du braconnage et du commerce illégal d'espèces sauvages où les ressources et l'engagement des services nationaux de répression sont insuffisants.

Depuis 2001, l'Union européenne est le principal contributeur financier au programme de suivi de l'abattage illégal d'éléphants (MIKE).

Elle agit par ailleurs contre le trafic de bois, à travers : son plan d'action relatif à l'application des réglementations forestières, à la gouvernance et aux échanges commerciaux ; le mécanisme international de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts ; un règlement de 2010.

L'Union européenne joue un rôle moteur dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée à l'échelle internationale, en promouvant l'adoption de mesures complètes de maîtrise du marché et d'actions concrètes.

Au cours des trente dernières années, l'Union européenne a consacré plus de 500 millions d'euros à la conservation de la biodiversité en Afrique.

Dans tous les accords de libre-échange, elle inclut des dispositions visant à renforcer la mise en oeuvre effective des accords multilatéraux sur l'environnement ainsi que des dispositions relatives aux échanges dans des domaines comme la foresterie et la pêche.

Elle accorde en outre, par le truchement de son système de préférences généralisées, des tarifs préférentiels aux pays en développement vulnérables qui ratifient et mettent en oeuvre les conventions internationales sur le développement durable et la bonne gouvernance.

Sur le plan diplomatique, l'Union européenne soulève régulièrement le problème du trafic d'espèces sauvages avec les pays d'origine et de destination clés, notamment par l'intermédiaire de ses délégations en Afrique.

La question du trafic des espèces menacées figure aussi dans un certain nombre d'accords bilatéraux de partenariat et de coopération sur les questions environnementales signés avec des pays tiers, comme l'Indonésie, les Philippines, le Vietnam, la Thaïlande et Singapour.

Le commerce des produits issus des espèces sauvages, tant à l'entrée dans le marché intérieur qu'au sein de celui-ci, est encadré par un vaste ensemble réglementaire.

Plusieurs instruments européens horizontaux de lutte contre la criminalité s'attaquent entre autres au problème du trafic d'espaces sauvages menacées. S'ils constituent en principe des outils utiles pour la lutte contre le trafic d'espèces sauvages, ils ne s'appliquent que lorsqu'un certain seuil financier est franchi, ce qui n'est actuellement pas le cas dans tous les États membres pour le trafic d'espèces sauvages.

Enfin, EUROPOL vient de publier une évaluation spécifique sur la criminalité environnementale, axée, entre autres, sur le commerce des espèces menacées.

Pour encourager les États membres à mieux appliquer la législation communautaire relative au commerce d'espèces protégées par la CITES, la Commission européenne a adopté, en 2007, un plan d'action, sous la forme d'une recommandation non contraignante recensant un ensemble d'actions à envisager.

Mais le niveau des sanctions applicables au trafic d'espèces sauvages varie fortement selon les États membres : dans certains d'entre eux, la sanction maximale est inférieure à une année d'emprisonnement.

En outre, la mise en application effective de la législation nécessite des compétences techniques et une sensibilisation des parties prenantes à l'échelon des autorités nationales.

EU-TWIX, la plateforme européenne d'échanges d'informations sur le commerce de faune et de flore sauvages, destinée à faciliter la coopération et le partage de renseignements entre les autorités chargées de faire appliquer la législation, fournit un appui pérenne. À ce jour, 37 000 informations y ont été recueillies, émanant de vingt-six États membres.

La société civile représente aussi un partenaire précieux pour l'Union européenne dans son action pour étendre la lutte contre le trafic d'espèces sauvages à toutes les parties prenantes concernées. Certaines organisations non gouvernementales possèdent une expérience considérable en matière de campagnes de sensibilisation, de conduite d'enquêtes sur des agissements suspectés d'illégalité ou d'organisation de formations.

Mais toutes les mesures adoptées par la communauté internationale n'ont pas suffi à endiguer le trafic d'espèces sauvages, alimenté par une demande croissante ainsi que par la pauvreté des pays d'origine et la faiblesse de leur gouvernance.

C'est pourquoi la Commission européenne a publié une communication ouvrant une consultation publique sur l'approche européenne en la matière.

J'ai auditionné la sous-direction de la protection et de la valorisation des espèces et de leurs milieux du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, ainsi que l'organisation non gouvernementale WWF-France, fondatrice et animatrice de Traffic, réseau de surveillance du commerce de la faune et de la flore sauvage.

Au terme de ces auditions, je vous suggère que notre Commission participe à la consultation publique – comme elle le fait de plus en plus souvent –, en soumettant à la Commission européenne les suggestions suivantes.

L'Union européenne, nous l'avons vu, s'est dotée d'un arsenal stratégique et réglementaire solide. L'efficacité de son action reste cependant toute relative.

La principale ambiguïté de la législation européenne réside sans doute dans sa détermination à criminaliser le commerce illégal d'espèces menacées.

Parmi les actes que la directive de 2008 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal prescrit aux États membres de considérer comme infractions pénales, figurent certes « la mise à mort, la destruction, la possession ou la capture » ainsi que « le commerce de spécimens d'espèces de faune et de flore sauvages protégées ».

Néanmoins, si l'article 16 du règlement CITES enjoint aux États membres de sanctionner les infractions à l'ensemble de ses dispositions, il ne précise nullement d'instituer des incriminations de nature pénale et leur laisse toute latitude pour déterminer le degré de celles-ci.

Par souci de cohérence et pour mettre en évidence la volonté politique de l'Union européenne de lutter efficacement contre le trafic d'espèces menacées, il convient de spécifier expressément, dans le règlement CITES, que les sanctions applicables doivent être pénales.

Plus généralement, le fait que la législation de l'Union européenne soit dispersée en une myriade de textes, nuit à la lisibilité de ses objectifs et à l'efficacité de sa politique.

Le plan d'action de l'Union européenne en vigueur aujourd'hui n'est qu'une recommandation, dépourvue de valeur contraignante. Je vous propose d'adhérer aux recommandations du Parlement européen, qui, dans sa résolution de janvier dernier, « invite instamment la Commission à mettre en place sans délai un plan d'action au niveau de l'Union contre la criminalité et le trafic liés aux espèces sauvages, assorti notamment d'objectifs précis et d'un calendrier clair ».

Pour que les États membres puissent aller de l'avant, il est crucial que les autorités politiques européennes se saisissent au plus haut niveau du sujet de la criminalité faunique, à travers son inscription à l'ordre du jour d'un Conseil européen, en vue de l'adoption de conclusions.

Il doit aussi être l'un des axes de travail prioritaire du réseau du service européen d'action extérieure, notamment en Afrique.

Les incidences sur la sécurité régionale et la paix civile dans les pays du Sud ne peuvent notamment être traités efficacement qu'à ce niveau politique.

Puisqu'il s'agit d'un problème global, ce sont évidemment les instances de l'Organisation des Nations unies qui doivent être privilégiées pour organiser la lutte contre le trafic d'espèces menacées. La nomination d'un représentant spécial des Nations unies sur cette question permettrait de mieux coordonner les initiatives existantes et d'en promouvoir de nouvelles.

Une autre piste pourrait consister en la constitution d'un groupe de « pays amis » qui prendrait cette question à bras-le-corps.

Les actions menées pour réduire la demande de produits illégaux issus d'espèces sauvages doivent être adaptées aux divers marchés d'exportation, très différents d'un continent à l'autre.

L'Union européenne doit encourager les pays d'origine à associer leur société civile aux démarches prohibitives, afin de sensibiliser les consommateurs finaux à l'impact de leur comportement sur leur patrimoine national de biodiversité.

Quant aux voyageurs européens se rendant en Afrique ou en Asie, par exemple, il convient de mieux les informer au sujet de la règlementation, par souci de prévention, afin qu'ils ne deviennent pas des trafiquants sans le savoir.

Les sommets internationaux avec les chefs d'État africains, à l'instar du Sommet de l'Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique de décembre 2013, doivent aussi être l'occasion de débattre de la question, d'enregistrer les retours d'expérience des pays concernés et de renforcer les actions communes.

Plus généralement, les négociations sur les accords de libre-échange avec l'Union européenne et les contacts avec les autres organisations régionales d'intégration économique doivent systématiquement prendre en compte la dimension du trafic d'espèces sauvages menacées.

L'Union européenne doit continuer à contribuer financièrement aux grands programmes internationaux spécialisés, en particulier le secrétariat de la CITES et l'ICCWC, en contrôlant l'efficacité de leur action, dans des pays d'origine souvent gangrenés par la corruption.

Plus généralement, l'aide au développement en faveur des pays du Sud doit être mieux conditionnée à leur respect du droit international.

La plateforme EU-TWIX, seule base de données régionale compilant l'ensemble des informations relatives au commerce des espèces fauniques et florales sauvages relevant de la CITES, doit être pérennisée et mieux promue.

Pour disposer d'une vision globale du problème, il reste au demeurant à croiser toutes ces données avec celles concernant le commerce de bois tropicaux, des ressources halieutiques ou des espèces relevant des directives « oiseaux » et « habitat ».

Il conviendrait en outre de doter l'Union européenne d'une base de données similaire portant sur les poursuites et les sanctions consécutives à des actes délictueux.

Pour lutter contre les trafics d'espaces menacées, une circulation de l'information et une coopération tous azimuts sont indispensables.

L'Union européenne doit assumer un rôle d'incitation et d'entraînement vis-à-vis des États membres, dont certains se montrent malheureusement trop laxistes dans la lutte contre le trafic d'espèces menacées. Il convient d'harmoniser les réglementations nationales par le haut, qu'il s'agisse des contrôles comme des sanctions.

Un effort doit être accompli pour mettre en évidence l'interconnexion entre le commerce prohibé d'espèces menacées et les autres trafics illégaux, ainsi que pour combattre le phénomène par le biais de la répression du blanchiment, de la corruption et de l'acquisition indue de biens.

L'Union européenne serait également bien avisée d'adopter un système de diligence raisonnée en matière de trafic d'espèces menacées, dans l'esprit du règlement « bois » de 2010, afin de dissuader les entreprises européennes de contrevenir au droit international en mettant sur le marché des produits prohibés.

Une grande partie de la solution au problème repose sur la coopération entre services communautaires. La répression du trafic d'espèces sauvages menacées pourrait être facilitée par la nomination, au sein d'une direction générale de la Commission européenne, d'une personne ressource, chargée de fournir toutes les informations nécessaires aux organismes comme EUROPOL ou EUROJUST.

Un rapport annuel sur le trafic d'espèces sauvages menacées pourrait enfin être rédigé, comme pour d'autres secteurs d'activités criminelles.

L'ensemble des propositions que je viens d'énumérer sont reprises dans les conclusions que je vous proposerai d'adopter après avoir répondu à vos questions.

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