Une directive de 2009 fixe des règles en matière de sécurité des jouets et de leur libre circulation dans le marché intérieur. Son article 10 pose des exigences essentielles de sécurité, en vertu desquelles « les jouets, y compris les produits chimiques qu'ils contiennent, ne doivent pas mettre en danger la sécurité ou la santé des utilisateurs ou celles de tiers lorsqu'ils sont utilisés conformément à la destination du jouet ou à l'usage prévisible, en tenant compte du comportement des enfants ».
Sont en particulier visées les substances classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR). Celles-ci ne peuvent être utilisées dans les jouets ni entrer dans la composition de jouets ou de parties de jouets, sauf si elles sont inaccessibles aux enfants, autorisées par une décision de la Commission européenne ou présentes à des concentrations égales ou inférieures aux concentrations pertinentes fixées pour la classification des mélanges.
Par ailleurs, un règlement de 2009 vise à assurer la protection de la santé et l'information des consommateurs de produits cosmétiques en veillant à la composition et à l'étiquetage des produits. Il prévoit également l'évaluation de la sécurité des produits et l'interdiction des expérimentations sur les animaux.
Est notamment interdite, en vertu de ce texte, l'utilisation dans les produits cosmétiques des substances chimiques reconnues comme CMR, sauf dans des cas exceptionnels.
La directive « jouets » et le règlement « cosmétiques » ayant été adoptés en 2009, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les nouveaux mécanismes de délégation prévus à l'article 290 du traité sur le fonctionnement pour compléter ou modifier « certains éléments non essentiels » des textes législatifs en vigueur ne sont pas applicables. C'est par conséquent la décision du Conseil de 2006 sur les compétences d'exécution de la Commission européenne qui fait autorité en la matière.
Or la Commission européenne vient de présenter une série d'actes d'exécution tendant à modifier ces deux textes de référence, plus précisément à modifier le régime d'autorisation de certaines substances chimiques dangereuses.
Deux d'entre eux concernant des perturbateurs endocriniens parfaitement caractérisés et particulièrement préoccupants pour la santé, j'ai jugé utile de s'en saisir afin d'inviter la Commission européenne à adopter un avis à l'attention des colégislateurs européens. Rappelons que ceux-ci, au titre de la procédure de réglementation avec contrôle (PRAC) décrite dans la décision de 1999, peuvent s'opposer à une directive ou un règlement d'exécution « dans un délai de trois mois à compter de leur saisine ».
La Commission européenne propose tout d'abord, dans une directive d'exécution, de fixer une valeur limite pour le bisphénol A contenu dans les jouets destinés aux jeunes enfants ou susceptibles d'être portés à la bouche. En l'occurrence, il s'agirait d'une limite de migration, établie à 0,1 milligramme par litre.
Comme je l'ai expliqué dans le rapport d'information relatif aux perturbateurs endocriniens que vous avez adopté il y a un mois et demi, le bisphénol A fut d'abord utilisé comme traitement pharmaceutique de synthèse substituable à l'oestrogène, en concurrence avec le distilbène. Il est aujourd'hui principalement employé pour la fabrication de plastiques et de résines entrant dans la composition de très nombreux produits de consommation courante.
Cette substance est considérée comme l'une des plus dangereuses au regard de l'homéostasie endocrinienne : à elle seule, elle est incriminée dans des tumeurs mammaires chez la femme exposée in utero, dans le diabète de type 2, dans certaines maladies cardiovasculaires ainsi que dans des troubles de la reproduction.
L'Union européenne se contente pour l'instant de l'interdire dans les biberons pour nourrissons.
Le Parlement français, quant à lui, a voté, en 2012, la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à entrer en contact direct avec des denrées alimentaires : destinées aux moins de trois ans depuis le 1er janvier 2013 ; destinées aux consommateurs de tous âges à compter du 1er janvier 2015.
Au terme de trois années de travail, l'ANSES a publié, il y a un an, une évaluation des risques sanitaires associés au bisphénol A. Cette étude collective, pluridisciplinaire et contradictoire, menée par un groupe de travail spécifiquement dédié aux perturbateurs endocriniens, avec l'appui de plusieurs collectifs d'experts de l'ANSES, confirme les effets sanitaires du bisphénol A qu'elle avait déjà pointés.
Quant à l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, traditionnellement plutôt laxiste face aux perturbateurs endocriniens en général et au bisphénol A en particulier, elle a effectué, en janvier 2014, une véritable volte-face : après avoir identifié des effets défavorables probables sur le foie et les reins ainsi que sur la glande mammaire, elle recommande de réduire la dose journalière tolérable de 90 %, en la ramenant de 50 à 5 microgramme par kilogramme de poids corporel et par jour.
Cette évolution ne constitue qu'une étape. La position de l'EFSA reste insatisfaisante au regard des connaissances scientifiques actuelles, établies dans le « rapport Kortenkamp », que son auteur a présenté ici même en juillet dernier : au cours des phases développementales sensibles de l'être humain, à savoir la période prénatale, la petite enfance et l'adolescence, l'absorption de substances perturbatrices endocriniennes peut sérieusement altérer l'homéostasie hormonale et donc modifier l'évolution normale des individus touchés, au détriment de leur santé et de celle des générations futures.
La proposition de la Commission européenne, visant à instaurer une limite de migration, n'est donc pas acceptable. Dans des produits de consommation comme les jouets, destinés aux jeunes enfants, susceptibles de les porter plus ou moins fréquemment à la bouche, le danger d'intoxication est trop élevé pour admettre la présence de bisphénol A, même à très faible dose. Seule l'interdiction pure et simple du bisphénol A dans les jouets constituerait une décision raisonnable.
Je vous invite donc à désapprouver la directive d'exécution visée, dans la logique du rapport d'information que vous avez adopté, à l'unanimité, le 25 février dernier. Il conviendra ensuite que les colégislateurs européens, selon les modalités régissant la PRAC, s'opposent à l'adoption de ce texte.
L'étude « Alerte dans la salle de bains », réalisée par l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, a mis en évidence la présence de parabènes dans de très nombreux produits cosmétiques, employés au titre de conservateurs, compte tenu de leurs propriétés antibactériennes et antimycosiques. Les parabènes sont pourtant incriminés comme facteurs d'activation des récepteurs oestrogéniques, avec un effet potentiel sur la fertilité et l'apparition de tumeurs oestrogéno-dépendantes, à l'instar du cancer du sein.
Du propylparabène, en particulier, a été retrouvé dans pas moins de neuf familles de produits cosmétiques et d'hygiène : un déodorant, un shampoing, un dentifrice, un bain de bouche, deux gels douche, six laits corporels, trois crèmes solaires, trois rouges à lèvres, quatre fonds de teint et quatre crèmes pour le visage. Outre l'effet cumulatif que cela peut induire, les scientifiques alertent sur l'effet cocktail, c'est-à-dire la combinaison entre les parabènes et d'autres produits chimiques perturbateurs endocriniens pouvant s'avérer délétère.
Une autre étude d'UFC-Que Choisir, ciblée sur les produits pour bébés, présente des résultats particulièrement inquiétants : six lingettes contenaient des parabènes à longue chaîne, particulièrement nocifs aux stades précoces du développement de l'enfant. Or il s'agit précisément de l'âge où ces produits sont frottés sur le corps de l'enfant quotidiennement, et même plusieurs fois par jour, puis emprisonnés sous des couches, ce qui rend impossible leur migration dans l'environnement extérieur et facilite par conséquent la contamination par voie cutanée.
En 2010 et 2011, le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs a adopté deux avis relatifs aux parabènes. Il y préconise de proscrire le butylparabène et le propylparabène dans les produits cosmétiques sans rinçage destinés à être appliqués sur la région du corps des enfants de moins de six mois couverte par les couches – lingettes, laits et autres fluides de toilette. Il considère en effet qu'un risque ne peut être exclu pour la santé des nourrissons, en raison à la fois de l'immaturité de leur métabolisme et de la possibilité de lésions cutanées dans la région du corps concernée.
La Commission européenne, dans un règlement d'exécution, propose de reprendre cette recommandation, en l'étendant même à tous les enfants âgés de moins de trois ans, ce qui constituerait une décision raisonnable compte tenu de la fenêtre de vulnérabilité des petits enfants aux perturbateurs endocriniens, qui s'étend au-delà de l'âge de six mois.
Cette proposition fait droit au consensus de la communauté scientifique constaté par la conseillère scientifique principale du Président de la Commission européenne. Accessoirement, elle est conforme à l'esprit du récent rapport d'information de notre Commission des affaires européennes.
Je vous suggère donc de la soutenir et d'inviter la Commission européenne à retenir systématiquement la même logique pour ses futures propositions législatives – y compris ses actes d'exécution – relatives à l'encadrement des perturbateurs endocriniens dans les produits de consommation destinés aux jeunes enfants.
En conséquence, je propose : de désapprouver la directive d'exécution proposée par la Commission européenne en ce qui concerne le bisphénol A dans les jouets, qui fait fi des connaissances scientifiques actuelles en matière de perturbateurs endocriniens et met potentiellement en danger la santé des jeunes enfants ; d'inviter par conséquent les colégislateurs européens, selon les modalités régissant la procédure de réglementation avec contrôle, à s'opposer à l'adoption de ce texte ; d'approuver, par contre, le règlement d'exécution proposé par la Commission européenne en ce qui concerne les parabènes dans les cosmétiques, dès lors qu'elle prend en compte la vulnérabilité des enfants de moins de trois ans aux perturbateurs endocriniens ; de demander à la Commission européenne de retenir systématiquement la même logique pour ses futures propositions législatives – y compris ses actes d'exécution – relatives à l'encadrement des perturbateurs endocriniens dans les produits de consommation destinés aux jeunes enfants.