Intervention de Serge Grouard

Réunion du 30 octobre 2012 à 16h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Grouard, Rapporteur pour avis :

Je voudrais, en premier lieu, vous présenter quelques éléments budgétaires synthétiques. Pour 2013, les ressources globales de la mission « Défense » (hors pensions) s'élèveront à 31,4 milliards d'euros, soit approximativement le même montant que celui fixé en loi de finances initiale (LFI) pour 2012, avec il est vrai, 1,27 milliard d'euros de recettes exceptionnelles non acquises. Le périmètre budgétaire de l'armée de l'air englobe la totalité de l'action 4 « Préparation des forces aériennes » pour le programme 178 « Préparation emploi des forces » et l'action 11sous-action 95 « Soutien-expérimentation Air » pour le programme 146 « Équipement des forces », sachant que l'analyse budgétaire des crédits affectés à ce dernier programme est plus spécifiquement traitée dans l'avis que notre collègue Jean-Jacques Bridey lui a dédié.

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2013 pour l'action 4 du programme 178 s'élèveront globalement à 4,76 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 5,7 % par rapport aux AE ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2012 et à 4,36 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une baisse de 0,8 % par rapport aux crédits de paiement (CP) ouverts en LFI pour 2012.

S'agissant de cette diminution de 0,8 % des crédits de paiement, il ne faudra pas renouveler cet exercice si on veut éviter de reconstituer la « bosse ». Au regard de la dernière loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014, je note que si les premières années ont été à peu près conformes aux prévisions, un décrochage a ensuite été enregistré en 2012, avec un réel risque d'accentuation pour 2013.

En second lieu, je voudrais attirer l'attention sur deux sujets particulièrement préoccupants, les ressources humaines et les programmes d'équipement, sur lesquels je me sens un véritable devoir d'alerte.

S'agissant des ressources humaines, l'armée de l'air a connu ces dernières années une baisse significative de ses effectifs. La réalisation du format fixé à 50 000 effectifs militaires et civils à l'horizon 2015 nécessite un effort très important de diminution des effectifs, avec une cible de réduction de 15 900 personnels militaires et civils sur la période s'étalant de 2008 à 2015. Cette déflation considérable des effectifs a naturellement déjà eu des conséquences en termes de fermeture de bases aériennes. Ainsi, entre 2009 et 2012, 8 bases ont été fermées en métropole et 4 outre-mer.

J'appelle l'attention sur le fait qu'il ne sera plus possible de baisser les effectifs dans le futur sans fermer de nouvelles bases et risquer ainsi de toucher au socle des compétences extrêmement diversifiées de l'armée de l'air. Nous sommes en effet aujourd'hui à l'étiage sur certaines professions très techniques. S'agissant de la formation, je note en outre qu'il faut aujourd'hui environ quatre ans pour former un pilote de chasse, c'est-à-dire une durée en définitive plus longue que celle nécessaire à la construction d'un avion. Cela pourrait devenir un point bloquant si nous devions amorcer rapidement une remontée en puissance, en cas de conflit majeur par exemple. Le nombre de nos pilotes est en fin de compte limité et nous devons constamment avoir en mémoire l'hommage que Churchill rendait à son armée de l'air : « jamais un aussi grand nombre de personnes n'auront dû leur salut à un si petit nombre ».

La LPM a fixé des objectifs d'heures d'entraînement pour les pilotes des différentes flottes. Alors que ceux-ci étaient par exemple de 180 heures par an pour les pilotes de chasse, nous en sommes aujourd'hui à une prévision de seulement 160 heures pour 2013 et la situation est encore pire pour les pilotes de transport, avec une prévision de 260 heures en 2013 pour un objectif prévu de 400 heures.

Je voudrais maintenant passer en revue un certain nombre de programmes d'équipements importants pour l'armée de l'air.

Pour ce qui concerne le transport tactique et stratégique, il faut se féliciter que le programme A400M, avion de transport quadrimoteurs, soit aujourd'hui en phase de développement et de production. Les 3 premiers, sur une cible finale de 50 au total, seront ainsi livrés à l'armée de l'air en 2013, mais cela n'empêchera pas qu'il subsistera toujours un risque d'insuffisance capacitaire en la matière.

Il est également bon que 2013 voit également le lancement des MRTT (Multi-Role Transport Tanker – avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport), qui sont essentiels à la fois en termes de capacité de dissuasion et de projection. Il n'en demeure pas moins que les premiers avions ne seront livrés qu'en 2017-2018 et que nous sommes aujourd'hui en limite capacitaire basse sur les KC135.

Le renseignement demeure un besoin majeur pour l'armée de l'air, qui ne se limite pas seulement à la question des drones. À ce titre, la rénovation des avions de recueil de renseignement électromagnétique C160 Gabriel est extrêmement importante.

Je voudrais enfin insister sur un point trop peu connu qui concerne la protection et la surveillance aérienne du territoire. Notre réseau radar s'achemine lentement vers une obsolescence et il est désormais impératif que nous développions de nouveaux moyens de protection.

En troisième lieu, j'ai choisi d'axer plus particulièrement ma réflexion sur le bilan de l'opération Harmattan en Libye pour l'armée de l'air, le « Retex » (retour d'expérience) comme disent les militaires. Après avoir procédé à des auditions extrêmement enrichissantes, je suis en mesure d'établir deux constats. L'opération Harmattan a été l'occasion pour l'armée de l'air française d'user de l'ensemble de ses savoir-faire opérationnels et de ses capacités conventionnelles dans des conditions de réussite qui méritent l'admiration. Parallèlement, le réel succès de l'opération Harmattan ne doit pas nous démobiliser mais nous inciter au contraire à aller de l'avant, en regardant avec courage les défis qui nous attendent pour asseoir la crédibilité de notre force aérienne.

Concernant les points positifs, cette intervention a montré que la France est un des rares pays à disposer d'une capacité de C2 (commandement et contrôle) autonome. Nous avons également fait la preuve de notre capacité opérationnelle à entrer en premier sur un théâtre d'opérations, ce qui est un réel gage de crédibilité pour nos forces aériennes. De réelles prouesses ont par ailleurs été enregistrées en termes de logistique, tout au long de l'opération pour acheminer sur les bases les avions de combat, le soutien ainsi que les personnels.

Sans mettre pour autant en cause l'armée de l'air, ce retour d'expérience met aussi en évidence des pistes d'amélioration possibles.

Ainsi, on constate par exemple que près de 70 % des missions de ravitaillement en vol des avions de la coalition engagés dans l'intervention libyenne ont été opérées par les États-Unis, la France ne réalisant qu'environ 10 % de ces missions, ce qui demeure relativement faible.

Il faut également mentionner l'insuffisance de certains moyens de renseignements en profondeur. Ainsi, les 3 drones Harfang français présents sur le théâtre Libyen n'ont par exemple assuré que 24 missions de fin août à octobre 2011.

L'opération Harmattan a également montré que l'essentiel des missions de SEAD (Suppression of Ennemy Air Défense – suppression des défenses sol-air) a été réalisé par les États-Unis. La Libye disposait en définitive de peu de moyens de défenses antiaériennes, si bien que, face à d'autres adversaires potentiels mieux dotés, il n'est pas totalement acquis que nous aurions pu entrer en premier sur le théâtre d'opérations.

Si l'organisation de l'intervention des forces aériennes a été globalement très bonne, il reste évidemment quelques points perfectibles. On a ainsi enregistré une extrême centralisation française des autorisations de tirs. Ce processus a conduit à un effet d'engorgement et a donné lieu à des délais d'attente des autorisations incompatibles avec l'évolution de la situation sur le terrain, ce qui fait que la France n'a pas toujours pu peser, dans les décisions d'engagement des objectifs issus du processus de ciblage de la coalition, à la hauteur des moyens considérables qu'elle a engagés sur le terrain. Il faut certes se féliciter, au regard des moyens considérables engagés, qu'il n'y ait eu ni pertes, ni dégâts collatéraux, mais on pourrait encore certainement simplifier le commandement et la gestion des ordres de tirs.

À l'issue de mon travail, je peux dire que nous pouvons être légitimement fiers de notre armée de l'air, de ces gens remarquables qui oeuvrent au service des armes de la France. Il est de notre responsabilité politique de leur donner les moyens de poursuivre leur mission. Si nous voulons que la France conserve son rang, nous allons indéniablement être confrontés à des choix cruciaux pour éviter un déclassement stratégique et une rupture capacitaire. Au cours de son histoire militaire, la France a souvent fait des erreurs majeures : en 1870, notre armée était inadaptée à un conflit terrestre ; en 1914, on est passés tout près de la catastrophe, et on connaît l'issue dramatique du conflit en 1940. Nous aurons certainement des choix douloureux à faire à l'avenir pour éviter toute répétition du passé. J'ai considéré la situation de l'armée de l'air avec objectivité, en prenant en compte la situation budgétaire, pour souligner certes les points positifs mais également les besoins non satisfaits. Le ministre nous a présenté un « budget d'attente », je vous propose en conséquence un vote d'abstention sur ce budget qui présente encore trop de lacunes.

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