Intervention de Joël Chéritel

Réunion du 9 avril 2014 à 11h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Joël Chéritel, président du MEDEF-Bretagne :

Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de recevoir le Collectif des acteurs économiques bretons qui, depuis sa création, le 12 janvier 2009, se mobilise sans relâche sur la question cruciale de l'écotaxe.

Permettez-moi de présenter la genèse de ce collectif et de revenir sur ce qui a motivé les événements de l'automne dernier, afin de mieux vous faire comprendre les raisons de notre opposition à l'écotaxe. J'espère que vous percevrez dans mes propos la sincérité, l'expertise, et le respect de nos institutions, à commencer par celle que vous représentez. Nous savons que vous avez débattu de l'opportunité de nous recevoir. Je tiens à préciser que nous avons toujours inscrit notre action dans le cadre des lois de la République. Nous pensons que notre analyse du sujet peut utilement compléter votre connaissance et votre appréciation du dossier : à nous de faire en sorte qu'à la fin de cette audition, vous ne regrettiez pas de l'avoir organisée…

Notre action sur l'écotaxe a débuté à la mi-2008, lorsque nous avons compris qu'une nouvelle taxe poids lourds allait être créée qui aurait pour effet de pénaliser notre économie. En septembre, le MEDEF-Bretagne a écrit au ministre d'État en charge du dossier, sans recevoir de réponse. Nous avons ensuite été reçus, ici même, par plusieurs députés, puis par des sénateurs. Grâce à la mobilisation de plusieurs parlementaires de la majorité et de l'opposition, le ministère a commencé à nous entendre. Et, à force de combativité, nous avons obtenu quelques aménagements, dont la minoration de 25 % de l'écotaxe sur les routes finistériennes.

Estimant que cela n'était pas suffisant, nous avons décidé de réunir, le 12 janvier 2009, les présidents des organisations de représentation économique en Bretagne. Notre logistique s'est retrouvée dépassée par le succès : étaient présents tout ce que la région compte de présidents d'organisations professionnelles – représentants du monde agricole, de la pêche, des transporteurs, des entreprises de la métallurgie, présidents des chambres de commerce et d'industrie ou de chambres d'agriculture.

Ce jour-là, nous avons pris trois décisions : créer le Collectif des acteurs économiques bretons contre l'écotaxe ; recourir à une liberté publique, le droit de manifester – d'où la manifestation à La Gravelle, là où les routes cessent d'être payantes ; appeler cette taxe du nom du ministre qui nous avait jusqu'alors traités avec indifférence.

Puis, le 4 février, alors que la Bretagne était sous la neige et le verglas, nous avons maintenu avec succès notre manifestation, qui a réuni environ 2 000 chefs d'entreprise, mais aussi des agriculteurs, des salariés, au point de nous valoir les honneurs de la presse étrangère.

Devant la réussite de cette manifestation, Jean-Louis Borloo s'est dit disposé à discuter. Je dois d'ailleurs souligner qu'il a fait alors preuve d'une grande compréhension et d'une réelle capacité d'ouverture et d'écoute. Grâce à nous, il a en effet véritablement découvert certains aspects de la future taxe.

Le 6 mars, nous avons été reçus à Matignon. Il a ainsi été décidé d'« objectiver » l'impact d'une mise en oeuvre de l'écotaxe sur l'économie bretonne, sachant que nous restions totalement opposés à une telle initiative. Un cycle de réunions techniques s'est déroulé au ministère de mars à la fin du mois d'avril, avec une dernière réunion de négociations avec le ministre d'État, le 14 mai 2009.

Nous sommes alors convenus des aménagements suivants : 40 % de minoration de l'écotaxe sur les routes bretonnes – et non pas seulement celles du Finistère ; pas d'écotaxe sur les routes dont le trafic était inférieur à 800 poids lourds par jour avant l'entrée en vigueur ; exonération pour la collecte de lait ; minoration pour abonnement.

Notre collectif a validé ces aménagements, ce qui ne signifie pas qu'il acceptait le principe même de l'écotaxe. En effet, dans le contexte de l'époque, ce compromis paraissait constituer une première reconnaissance de la légitimité de notre combat, le temps que les agriculteurs, les pêcheurs, les chefs d'entreprise prennent conscience du caractère préjudiciable du projet pour notre économie. Les jeux étaient donc loin d'être faits, mais, à ce stade, ce qui était à prendre devait être pris !

Cela m'amène à la raison principale qui a motivé les manifestations de l'automne dernier en Bretagne. Elle tient au fait que cette taxe est avant tout un surcoût, via la majoration forfaitaire obligatoire – sous peine de 15 000 euros d'amende –, pour nos activités de production : agriculture, agroalimentaire, industrie, bâtiment, etc. Or nos agriculteurs, nos artisans, nos chefs d'entreprise perçoivent bien à quel point notre économie de production a perdu en compétitivité, à quel point elle a perdu des parts de marché, à quel point elle se meurt.

L'arrivée de l'écotaxe a coïncidé avec la perte de plusieurs centaines d'emplois dans notre industrie agroalimentaire, particulièrement dans le Finistère. N'est-elle pas le reflet de la perte de compétitivité de l'appareil productif national ?

Le rapport Gallois du 5 novembre 2012 contient à cet égard des phrases très fortes : « Toutes les analyses récentes convergent vers un même constat : l'industrie française atteint aujourd'hui un seuil critique au-delà duquel elle est menacée de déstructuration » ; « L'affaiblissement de l'industrie française se traduit par des pertes de parts de marché considérables à l'exportation » ; « Les drames industriels, que la presse évoque tous les jours, émeuvent à juste titre l'opinion publique et lui donnent le sentiment que l'industrie “fout le camp” et, pire, que c'est irrémédiable ». M. Louis Gallois rappelle d'ailleurs que la France a perdu 2 millions d'emplois en trente ans, c'est-à-dire 700 000 tous les dix ans.

Cette perte est d'autant plus accentuée que nous ne pouvons plus procéder aux dévaluations compétitives depuis que la France a décidé de ratifier le Traité de Maastricht portant création de l'euro.

Notre pays a-t-il pris, à l'instar d'autres comme l'Allemagne, les dispositions nécessaires pour rendre ses entreprises compétitives et leur permettre d'aborder dans des conditions satisfaisantes la concurrence liée à la monnaie unique ? La réponse est non. Comme l'écrit Monsieur Gallois, nos coûts de production ont augmenté plus rapidement que ceux de nos concurrents qui vendent avec la même monnaie. Les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises françaises sont de 300 milliards d'euros, contre 200 milliards pour les entreprises allemandes ! C'est une situation intenable dans la mesure où nous sommes en concurrence frontale sur 85 % de nos produits.

C'est pour cette raison que le Président de la République a proposé le Pacte de responsabilité, fondé sur un principe simple, celui d'alléger les charges des entreprises, de réduire les contraintes sur leurs activités. « Pourquoi ce pacte ? », demandait-il. « Parce que le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Oui, je dis bien sa production. Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. » De toute évidence, l'écotaxe est incompatible avec de tels propos empreints de réalisme.

Nos marges sont aujourd'hui de 40 % inférieures à celles des entreprises allemandes. Pour compenser, nos entreprises se sont lourdement endettées : leur taux d'endettement moyen est de 140 %, contre 80 % en Allemagne. En outre, l'excédent commercial allemand est de 190 milliards d'euros, tandis que notre déficit commercial est de 69 milliards d'euros. Nous pourrions continuer à aligner ainsi les statistiques. Et c'est dans un tel contexte qu'il faudrait infliger aux entreprises l'écotaxe et la majoration de prix qu'elle entraîne ?

Nos chefs d'entreprise, nos agriculteurs perçoivent chaque jour que nos lois et règlements ne leur permettent plus de lutter à armes égales : excès d'impôts, de taxes, de cotisations sociales, de contraintes administratives etc. L'écotaxe concentre tous ces travers, jusque dans la comparaison avec l'Allemagne. Avant que nos autoroutes soient privatisées, il existait en effet en France une écotaxe comparable à celle qui est appliquée en Allemagne, puisque le produit des péages payés par les poids lourds était alors affecté à l'AFITF. Faute d'avoir réclamé le versement d'une redevance annuelle à l'Agence, le gouvernement de l'époque a privé cette dernière de ressources pérennes.

Il a ensuite été décidé de créer une taxe sur le réseau infra-autoroutier non concédé. Si elle était mise en oeuvre, le linéaire français à péage poids lourds, cumulant péages autoroutiers et écotaxe, aurait une longueur sans précédent et sans équivalent, bien supérieur au réseau taxable allemand.

Entre 1980 et 2013, notre endettement public est passé de 20 % à 93,5 % du PIB – de 70 milliards à 1 925 milliards d'euros en valeur. Dans le contexte de l'euro, et compte tenu du mandat de la BCE, Banque centrale européenne, notre perte de compétitivité, doublée de déficits structurels excessifs et d'un endettement public abyssal, place la France dans une situation grave et dangereuse. Voilà ce que ressentent pleinement ceux qui se sont mobilisés en Bretagne à l'automne. L'écotaxe est au confluent de ces échecs collectifs, à la fois économiques et sociaux. Comme l'a dit un intervenant au cours d'une audition précédente, « le plus grave, dans l'écotaxe, c'est qu'elle décourage la production en France ».

Les transporteurs français perdent sans cesse des parts de marché sur leurs concurrents. Leur résultat représente au mieux 1 % de leur chiffre d'affaires, contre 5 % pour l'écotaxe. On comprend dès lors le danger qu'elle constitue pour eux. Ils ont l'obligation de la répercuter, sous peine d'une amende de 15 000 euros, ce qui signifie majorer le prix de leur facture de 5,2 % pour tout transport interrégional et de 2,1 à 7 % pour les transports intrarégionaux. Dès lors, le prix de tout transport, qu'il transite ou non par une route soumise à la taxe, sera majoré de 5,2 % en moyenne.

En ce qui concerne la Bretagne, le linéaire routier taxable représente 10 % du réseau national, alors que la région ne réalise que 4,3 % du PIB français. En ce sens, la minoration de 50 % ne fait que ramener la Bretagne dans la moyenne.

Nous avons par ailleurs été très surpris de constater une forte augmentation entre les taux de majoration forfaitaire annexés au projet de loi du printemps 2013 et ceux fixés par le décret de fin juillet 2013. Cette hausse concerne toutes les régions : le taux applicable à la région de Champagne-Ardenne est passé de 3,7 % à 5,1 %, celui de la Basse-Normandie de 3,2 à 4,3 %, et celui des Pays-de-la-Loire de 2,6 à 3,6 %. En moyenne, l'augmentation va de 34 à 38 % ! Alors que le ministère nous avait assuré que les taux avaient été calculés avec justesse, nous ne comprenons pas qu'ils aient pu connaître un tel bond en quelques mois. Il ne s'agit pas ici de contester la demande d'équivalence écotaxe, majoration dont les transporteurs ont besoin, mais la variabilité d'un calcul annoncé d'abord comme juste avant d'être substantiellement modifié par la suite.

Au passage, vous observerez qu'avec un taux de majoration de 3,7 %, la Bretagne est loin d'être la mieux lotie : elle paye même 80 % de plus que la région la moins pénalisée. Son taux de majoration se situe entre ceux des régions Centre et Auvergne : est-ce juste, compte tenu du caractère périphérique de notre région, en l'espèce reconnu par la loi ?

Un autre point capital est le coût que représente l'écotaxe pour notre économie de production. Elle est censée rapporter 800 millions d'euros à l'AFITF et 130 millions aux collectivités locales, soit un total de 930 millions d'euros. Comme cela a été indiqué lors d'auditions précédentes, il est attendu un report de trafic vers les autoroutes à péage estimé par l'État à au moins 300 millions d'euros. Une majoration forfaitaire de 0,3 point – soit 70 milliards d'euros – doit compenser les lourdeurs et les complications administratives qui pèseront sur les transporteurs du fait de l'application de l'écotaxe. Le montant de la rémunération annuelle d'Écomouv' est de 240 millions d'euros. Enfin, il convient d'ajouter à tout cela les 130 agents publics qui ont rejoint l'administration des douanes et seront affectés au traitement de l'écotaxe, ainsi que les 170 agents destinés à contrôler les véhicules taxés : ils coûteraient 18 millions d'euros.

Au total, l'écotaxe conduit donc à un surcoût de 1,558 milliard d'euros pour notre économie de production, pour seulement 930 millions de recettes. Cela représente un rendement de l'ordre de 60 %, quand la plupart des impôts français atteignent 97 % ! Dans un contexte de faible compétitivité de nos activités de production, une telle mesure apparaît suicidaire.

Lors de sa conférence de presse du 14 janvier sur le Pacte de responsabilité, le Président de la République disait ceci : « Ma volonté, c'est une modernisation de la fiscalité sur les sociétés et une diminution du nombre des taxes – qui coûtent d'ailleurs parfois plus cher à être recouvrées que ce qu'elles peuvent rapporter –, avec deux exigences : l'investissement et l'emploi. » J'en déduis que le Président condamnerait lui-même l'écotaxe s'il en connaissait tous les aspects. Cette taxe est d'autant plus mal vécue dans une région périphérique où elle tendrait à dégrader la compétitivité des productions excentrées.

Courant 2013, nous avons présenté le dispositif dans nos quatre départements bretons. Nous l'avons fait de façon objective, descriptive, factuelle. Les agriculteurs, artisans, chefs d'entreprise que nous avons rencontrés étaient dépités par le surcoût de production induit par la taxe, la complexité du système – avec portiques, bornes mobiles et pistolets de contrôle –, la redevance versée par Ecomouv', le recrutement par ce dernier de 300 personnes pour gérer le dispositif – sans parler des agents publics précédemment évoqués –, le faible rendement de la taxe. Nous assistions ainsi à l'opposition de deux France : l'une qui produit, mais se sent incomprise et menacée ; l'autre capable d'inventer un système menaçant l'emploi, complexe et d'un coût exorbitant.

Nous avons écouté toutes les auditions précédentes. À plusieurs reprises, il a été dit qu'aucun report modal n'était attendu, compte tenu de l'expérience des pays étrangers. Rappelons que la performance économique – et donc sociale – de notre économie repose sur la rapidité, la réactivité, l'absence de stocks. Ainsi, la grande distribution commande le matin pour une livraison le soir. Même Hénaff, fabricant du célèbre pâté, dont la durée de conservation est d'environ neuf mois, doit livrer des points de vente de la grande distribution six fois par semaine ! De même, les usines de l'industrie automobile fonctionnent en flux tendus. Les sièges des Peugeot 508 sont acheminés à Rennes une heure avant d'être installés dans les véhicules en fabrication. Le camion permet cette souplesse, et l'économie profite de sa capacité à livrer à l'adresse souhaitée.

Pourtant, les entreprises bretonnes n'ont pas attendu le projet d'écotaxe pour développer les modes de transport alternatifs à la route. Depuis 15 ans, notamment, les entreprises bretonnes spécialisées dans la nutrition animale – dont le représentant, Xavier Roux, fait partie de notre délégation – acheminent plus de la moitié de leurs besoins extérieurs en céréales par le transport ferroviaire. Les transporteurs routiers, avec quelques chargeurs, ont créé en Bretagne la société Combiwest pour développer le transport ferroviaire des produits de leurs clients. Un intervenant a d'ailleurs rappelé qu'en 1975, le rail représentait 60 % du fret, contre seulement 11 % aujourd'hui – un résultat qu'il attribuait aux défaillances de l'opérateur historique.

Certains vont nous rétorquer que ces camions dégradent les routes et qu'ils doivent payer. Mais le transport routier est un service groupé et mutualisé qui profite à tous, y compris aux consommateurs et aux salariés. Ne détruisons pas cet atout. En outre, une étude d'un célèbre économiste des transports, Rémy Prud'homme, démontre que les entreprises génèrent des coûts d'usure des routes et de pollution bien inférieurs à ce qu'elles paient en impôts spécifiques liés à l'activité de transport. Plutôt donc que de mettre en place une écotaxe qui réduirait une fois de plus les marges des entreprises et empêcherait tout nouvel investissement, y compris dans la logistique alternative à la route, il serait préférable d'améliorer la performance du transport ferroviaire.

D'autres veulent taxer le transit et faire contribuer ces camions étrangers qui ne paieraient rien en France – telle était d'ailleurs la préoccupation à l'origine de l'idée d'écotaxe. Alors que nous avons construit l'Union européenne pour faciliter la circulation des personnes et des biens, une telle stigmatisation de l'étranger peut paraître quelque peu surprenante. Soyons cohérents : lorsque nous avons fait entrer dans l'Europe des pays tels que l'Espagne et le Portugal, nous savions que leurs marchandises circuleraient sur les routes de France.

Faut-il par ailleurs taxer 15 000 kilomètres de routes françaises et accroître nos coûts de production de plus d'un milliard et demi d'euros pour répondre au problème posé par le passage des camions étrangers en Alsace ? Ne vaudrait-il pas mieux imaginer un système de péage dans cette région, victime sans doute plus que d'autres de reports de trafic ?

En ce qui concerne l'environnement, nous avons été sensibles aux propos des professionnels de la construction automobile. La solution, en matière de pollution, nous semble résider dans la norme Euro 6, laquelle conduit les véhicules neufs à polluer 95 fois moins, en termes de particules émises, que ceux des années 1990 – au point que certaines voitures de cette époque polluent plus que des camions respectant la nouvelle norme.

Les professionnels vous l'ont dit : le barème de l'écotaxe n'est pas suffisant pour passer à l'acte, si bien que le renouvellement du parc de véhicules passe par l'adoption de mesures d'accompagnement. Celles-ci pourraient être prises sans que la nouvelle taxe ne soit appliquée.

Les auditions ont par ailleurs révélé à ceux qui en doutaient l'extrême fragilité économique de nos entreprises de transport. Or, contrairement à ce qu'affirment certains, l'écotaxe n'aurait pas un effet neutre selon qu'elle s'appliquerait aux entreprises françaises ou étrangères. En effet, la situation de ces dernières est bien meilleure. Leurs marges sont nettement supérieures. Elles pourront donc facilement neutraliser la majoration forfaitaire en réduisant le prix de base du transport, contrairement à leurs concurrentes françaises. L'écotaxe portera ainsi le coup de grâce au pavillon français, déjà dans une situation critique.

Selon un autre raisonnement largement diffusé, l'augmentation de coût induite par l'écotaxe sur le produit final sera faible, et donc sans conséquence. L'affirmation paraît séduisante mais manque cruellement de réalisme économique. En effet, nos entreprises sont soumises d'une part aux contraintes du pouvoir d'achat des consommateurs et, d'autre part, à une concurrence mondiale forte. Qui peut penser que l'augmentation des coûts de production sera répercutée sans difficulté sur la grande distribution ? Que les acheteurs finaux ou intermédiaires privilégieront un produit français rendu encore plus cher ? Personne. Tout coût supplémentaire, même minime, encourage l'achat de produits concurrents. Le nier, c'est nier tout raisonnement économique.

Concernant le renouvellement des infrastructures et leur financement, il manquerait donc 800 millions d'euros pour l'AFITF. Or la dépense publique a atteint en France un record de 57 % du PIB – 11 % et 220 milliards d'euros de plus qu'en Allemagne –, alors que nous sommes en concurrence frontale avec ce pays qui est à la fois notre premier fournisseur et notre premier client. Ne conviendrait-il pas de réaliser de vraies réformes structurelles pour trouver l'argent nécessaire au financement des infrastructures de transport ?

Nous avons procédé à un calcul très simple, consistant à majorer, pour les entreprises n'ayant pas de véhicule en propre, de 5,2 % leur facture de transport interrégional et de 3,7 % celle de transport intrarégional. Je signale au passage que les producteurs de produits agricoles et agroalimentaires transportés tous les jours vers Rungis vont payer une majoration forfaitaire sur l'intégralité du parcours. Ils cumuleront donc le péage autoroutier et la majoration obligatoire du prix de transport.

Nous avons sollicité une dizaine d'entreprises de l'industrie métallurgique et de l'agroalimentaire, sans effectuer un tri destiné à mettre en évidence les cas les plus extrêmes. Force est de constater que leurs chiffres sont cohérents, convergents et surtout éloquents. En effet, selon les cas, l'écotaxe ou la majoration de prix représente entre 30 et 100 % du montant du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – qui leur est attribué. Ainsi, la mesure majeure de reconquête de la compétitivité de notre industrie serait amputée en moyenne de 50 % de ses effets. C'est un paradoxe, alors que le rapport Gallois, qui a inspiré la création du CICE, portait justement sur l'industrie.

L'écotaxe est véritablement un condensé de ce qu'il ne faut pas faire : renoncer à des recettes récurrentes en privatisant les autoroutes ; accroître, pour obtenir de faibles gains, les coûts de production d'un appareil productif déjà très dégradé ; créer une taxe au profit d'infrastructures que l'on est désormais incapable de financer – malgré les 1 150 milliards d'euros de dépenses publiques ; créer un système d'une complexité inouïe, requérant 300 agents publics dédiés pour un rendement de seulement 60 %.

L'un d'entre vous, lors d'une audition, a d'ailleurs prononcé les mots suivants : « Plus je vous entends, plus je me demande dans quels draps nous nous sommes mis. J'ai un peu honte d'avoir voté la taxe ».

Avant d'être une mesure environnementale, l'écotaxe est une mesure récessive : elle augmente les coûts de production de plus de 1,5 milliard d'euros. Notre nouvelle ministre de l'environnement l'a quant à elle qualifiée, il y a seulement quelques jours, de « punitive ». Nous nous demandons combien d'emplois elle nous fera perdre …

Par écotaxe, il ne faut donc pas entendre « taxe pour l'écologie », mais bien « taxe contre l'économie ».

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