Intervention de Patrice Clos

Réunion du 9 avril 2014 à 9h15
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Patrice Clos, secrétaire général de la Fédération nationale des transports et de la logistique FOUNCP :

Merci de permettre enfin aux représentants des salariés professionnels des transports de s'exprimer devant les représentants de la nation sur le sujet de l'écotaxe notamment. Je suis accompagné de Stéphane Lagedamon, trésorier général en charge du transport routier « voyageurs, déménagement et sanitaire ».

Force OuvrièreUnion Nationale des Chauffeurs Professionnels (FOUNCP) est une organisation syndicale de salariés, représentative au sens de la loi d'août 2008 et des décrets de juillet 2013.

Elle adhère à ETF, syndicat des transports européens, et à ITF, syndicat des transports mondiaux. Nous n'allons pas nous attarder sur les aspects techniques de cette écotaxe, car je pense que les fédérations patronales en ont déjà largement débattu avec vous, mais plutôt sur le ressenti de nos adhérents – comment ils perçoivent la taxe et les problématiques qu'elle soulève.

Si, pour les conducteurs, cette mesure est une bonne solution face à la problématique environnementale, ceux-ci plébiscitent une écotaxe européenne avec les mêmes règles et tarifs pour tous. En effet, pour les salariés que nous représentons, il est inconcevable que l'Europe n'arrive pas à s'entendre sur un tel sujet. La première crainte est la distorsion de concurrence entre les pays de l'Union européenne, avec pour principal enjeu, qu'on le veuille ou non, les emplois. La variable d'ajustement ne peut être le social à la française.

L'autre problème est que, quand nous regardons la carte de France, nous nous apercevons que le maillage de routes soumis à l'écotaxe n'est ni égalitaire, ni équitable sur l'ensemble du territoire. Les régions Rhône-Alpes et Sud-Est le montrent par exemple. Peut-être parce que ces régions ont des autoroutes concédées …

Si c'est le cas pour l'Île-de-France et pour de grandes agglomérations, cela n'empêche pas que certains portiques soient aux portes des villes ou à leur périphérie.

Or les chargeurs et les transporteurs ont déjà, dans de nombreux grands groupes, anticipé la mise en place de l'écotaxe avec des logiciels calculant les trajets afin d'éviter au maximum les routes assujetties.

Pourquoi pourront-ils le faire ? Tout simplement par manque de moyens des services de contrôles. Alors que nous devrions être à ce jour à un minimum de 3 % de contrôle avec la directive européenne 200215, la France arrive péniblement à moins de 1 %. Le cabotage est devenu une vraie jungle. D'ailleurs, FO avait demandé aux ministres des transports, M. Mariani, puis M. Cuvillier, de se servir des boîtiers écotaxe pour le contrôler. Mais nous avons reçu une fin de non-recevoir de leur part car cela n'était pas prévu dans les textes. Si par l'intermédiaire de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la modernisation de l'action publique (MAP), nous n'avons plus assez de fonctionnaires pour effectuer les contrôles, pourtant indispensables pour que la concurrence soit à peu près loyale entre transporteurs, comment allons-nous faire si ce n'est par un moyen électronique ?

La fonction de l'écotaxe ne peut pas rester qu'environnementale : elle doit pouvoir permettre de révéler les cas de fraude au cabotage et, au-delà, des atteintes à la dignité humaine. Comment accepter, dans un pays comme la France, l'esclavage des temps modernes lié à la directive « détachement » ? Il n'y a qu'à voir dans les dépôts des grands groupes de transport, les zones frontalières et plus encore dans le nord de la France, comment sont traités les salariés du transport européen.

FO remercie le député Savary, qui se bat avec d'autres contre cet esclavage, mais avec un bémol : il serait bien que les professionnels de la route que nous sommes soient entendus par vous, Mesdames et Messieurs les députés, avant que les lois ne soient adoptées. Quant à la loi sur la directive « détachement », elle soulève un vrai problème concernant le repos hebdomadaire. Le conducteur doit rester au maximum près de son camion car il est responsable du véhicule et de la marchandise qu'il transporte : or nous savons qu'en France, il y a peu d'hôtels avec des parkings sécurisés à proximité des grands axes.

Par ailleurs, le boîtier écotaxe pose le problème de la vigilance au volant. En effet, c'est au conducteur de s'assurer que les données ont bien été enregistrées. Pendant qu'il regarde le boîtier en passant sous le portique ou à coté de la borne, il ne regarde pas autre chose, donc la route. Le 7 novembre 2013, nous avons écrit au ministre de l'intérieur pour l'alerter sur le fait que les exigences prescrites par la loi du 28 mai 2013 sont en totale contradiction avec les règles impératives du code de la route, notamment ses articles R 316-1 et R 412-6, qui disposent que « tout conducteur doit veiller à ce que son champ de vision et ses possibilités de manoeuvre ne soient pas réduits par les objets transportés » et à « … toujours maintenir un champ de visibilité suffisant ». Or le boîtier est collé au pare-brise. Notre organisation syndicale reste convaincue que la sécurité des usagers sur l'ensemble du réseau national est une préoccupation constante de la représentation nationale.

D'ailleurs, les conducteurs ont des difficultés avec l'informatique embarquée, qui prend de plus en plus de place dans la cabine d'un poids lourd et pose des problèmes liés à l'ergonomie et à la sécurité des postes de conduite.

Pour ces raisons, nous vous demandons de prévoir des ajustements à ce dispositif, d'organiser une formation adaptée dans le cadre de la formation continue obligatoire (FCO) par exemple, de revoir le matériel utilisé et de veiller à ce que celui-ci soit en totale adéquation avec les règles impératives du code de la route. Si rien n'est fait, cela pourrait coûter au conducteur 350 euros d'amende et 3 points en moins sur son permis. Or ce dernier est l'outil de travail des professionnels de la route. D'après les contrôles effectués par le ministère de l'intérieur, 150 000 conducteurs rouleraient sans permis, mais, selon nos sources, ils seraient plus de 300 000, dont 60 000 professionnels de la route.

Si nous ne pouvons accepter de tels comportements, nous ne pouvons condamner aujourd'hui ces professionnels, car ils subissent la triple peine : perte du permis, perte de l'emploi et perte du foyer familial. Depuis 1992 et l'instauration du permis à points, nous avons vu disparaître le permis blanc, les dispositions de la convention collective ou la possibilité de récupération de points. Les représentants des professionnels de la route que nous sommes ne sont même plus écoutés au ministère de l'Intérieur, où seules certaines associations ont le droit de parole.

J'ai personnellement été affecté par la perte d'êtres chers sur la route, mon frère en 1992, deux de mes cousins plus tard et ma nièce qui, le 19 décembre 2002, fut lâchement assassinée à l'arrêt de bus du lycée de Blagnac par un homme qui n'aurait jamais dû avoir le permis de conduire. Mais contrairement à d'autres, ce n'est pas pour cela que je dois en vouloir à tous les automobilistes. Si les résultats de la sécurité routière sont très encourageants, nous devons faire en sorte que les professionnels puissent vivre avec une carte professionnelle de conducteur.

Aujourd'hui, les métiers de la route n'attirent plus les jeunes. En effet, comment construire une vie avec un bout de papier rose et en étant payés au SMIC ?

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