Intervention de Nicolas Paulissen

Réunion du 8 janvier 2014 à 10h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération nationale des transports routiers, FNTR :

Votre mission a été formée pour réfléchir au devenir de l'écotaxe poids lourds, aujourd'hui officiellement suspendue. Avouons-le : six ans après le début des travaux, et alors que l'écotaxe poids lourds devait entrer en vigueur en 2011, puis en 2013, enfin le 1er janvier 2014, la situation est quelque peu surréaliste. Il n'y a plus que de mauvaises solutions et le risque est grand que toute décision, quelle qu'elle soit, soit rejetée.

L'écotaxe poids lourds est, à nos yeux, incompatible avec la situation de nos entreprises compte tenu des fragilités du secteur, pointées par les études de la Banque de France, de la crise économique qui frappe nos entreprises – dont l'activité a baissé de 21,3 % entre 2007 et 2012 –, du choc économique, commercial et opérationnel que constitue l'écotaxe, enfin de la surfiscalisation qui atteint les limites du tolérable dans notre secteur – nos entreprises sont 4,5 fois plus fiscalisées que la moyenne de l'économie française. Aucun marché ne pourrait encaisser une augmentation de 8 à 10 % de ses coûts et ses prix ni supporter un bouleversement aussi important dans les rapports commerciaux. Aucune PME ne pourrait sans dommage affronter l'usine à gaz que constitue l'écotaxe.

La fiscalité est un enjeu essentiel dans un secteur où le ras-le-bol fiscal est particulièrement vif. En France, l'écotaxe s'ajoute aux péages, ce qui n'est pas le cas en Allemagne. La FNTR a toujours été hostile à cette taxe comme à toute fiscalité supplémentaire ciblant le transport routier.

Dès 2007, nous en avons combattu le principe. Lors du Grenelle de l'environnement, nous avons dénoncé cette nouvelle taxation sur les poids lourds pour financer le mirage du camion sur les trains, les fameuses « autoroutes ferroviaires ».

Lors du débat sur le Grenelle I, en septembre 2008, nous avons écrit dans une lettre ouverte aux parlementaires : « Cette redevance, en frappant la mobilité sur moyenne distance, surenchérit le coût d'acheminement, de fabrication, de transformation et de distribution des marchandises dans les régions et handicape donc l'attractivité et l'aménagement du territoire. » Nous avons martelé ce message à chaque audition parlementaire, notamment en février 2011 devant la commission des finances du Sénat.

La FNTR était alors une des rares organisations à s'opposer à l'écotaxe. Elle est rejointe aujourd'hui par beaucoup de résistants de la dernière heure.

En 2008-2009, l'opinion publique a plébiscité le Grenelle de l'environnement. À l'automne 2008, quand le Parlement a voté à la quasi-unanimité la loi Grenelle I instituant l'écotaxe, la FNTR a obtenu le principe d'une répercussion de l'écotaxe sur le bénéficiaire de la circulation de la marchandise. Ce principe s'inscrit pleinement dans la logique du texte, puisqu'il permet d'envoyer un signal prix au marché pour favoriser le report modal. Par la suite, la FNTR n'a eu de cesse de le traduire dans la réalité, ce qui s'est concrétisé, au printemps 2013, par l'obtention de la loi de majoration forfaitaire qui a été entièrement validée par le Conseil constitutionnel. Je vous renvoie aux motifs éclairants que celui-ci a mis en avant.

Avec la majoration, force est de constater que l'écotaxe est aussi devenue l'affaire de nos clients. En pleine crise bretonne, le 29 octobre dernier – soit deux mois avant l'entrée en vigueur de la taxe, déjà reportée plusieurs fois –, le Premier ministre a décidé de suspendre l'écotaxe en vue d'aménagements sectoriels et géographiques. Il a précisé que les solutions retenues devraient tenir compte des entreprises de transport routier et leur permettre d'exercer leur activité dans un cadre loyal.

Cette suspension de dernière minute a réduit l'acceptabilité de l'écotaxe, que beaucoup jugent insupportable, et accru les incertitudes ainsi que l'instabilité économique des entreprises. Une nouvelle fois, notre marché a été perturbé et les rapports commerciaux ont été bouleversés. Une grande partie de nos entreprises se trouvent piégées, enlisées au milieu du gué, après s'être engagées et avoir investi pour préparer la mise en oeuvre de la taxe.

Il vous appartient désormais de vous déterminer sur le sort de l'écotaxe. Deux hypothèses sont envisagées.

En cas de suppression de l'écotaxe, nous nous opposerons à toute fiscalité de substitution non répercutable, et nous demanderons des garanties solides pour que l'écotaxe ne réapparaisse pas sous une autre forme sans majoration forfaitaire ou pour que l'on ne voie pas naître d'autres taxes difficilement répercutables pour nos entreprises.

En cas de refonte de l'écotaxe, nous nous opposerons à toute remise en cause de la majoration forfaitaire, que ce soit dans son principe, ses taux ou son assiette. Nous nous opposerons également à toute exonération qui romprait l'égalité de traitement entre transport pour compte propre et transport pour compte d'autrui. La FNTR sera particulièrement attentive à ce principe d'égalité.

Si l'écotaxe est réaménagée, nous veillerons aussi à ce que toutes les conditions de remise en marche soient réunies pour préserver les intérêts de nos entreprises. Si des aménagements sont envisagés, nous entendons que ce soit pour ramener à son périmètre initial le réseau taxé étendu à des axes de report, pour revoir les barèmes à la baisse, pour simplifier les complexités administratives et pour prendre en compte les délais nécessaires à nos entreprises.

Quoi qu'il en soit, il faut rapidement mettre fin aux incertitudes. L'écotaxe est un boulet que nos entreprises, en mal de stabilité et de visibilité, traînent depuis trop longtemps. Elle est devenue un symbole du ras-le-bol fiscal, un révélateur des difficultés de nos entreprises et un catalyseur de leur souffrance. Celles-ci souffrent non seulement de la crise économique, mais aussi, depuis plus longtemps, de l'iniquité de la concurrence européenne, d'un déficit de compétitivité, ainsi que des excès de la fiscalité et de la réglementation.

Nous portons un message de désarroi pour le présent et d'inquiétude pour l'avenir. Les difficultés économiques, aggravées par la gestion chaotique, pendant sept ans, du dossier écotaxe, ont engendré une véritable crise de confiance à laquelle il faut remédier.

Le 13 novembre, le ministre des transports a répondu favorablement à notre demande et à celle de nos partenaires en acceptant de prévoir un plan de soutien au transport routier.

Depuis dix ans, les rapports succèdent aux missions, qui font suite aux études, mais rien n'a été fait. Pour combler notre déficit de compétitivité, il est temps de traiter les distorsions de concurrence et le défaut d'harmonisation européenne, le problème de la sous-traitance et les excès de la fiscalité comme de la réglementation.

La représentation nationale fera ses choix. Nous avons posé nos lignes rouges. Nos entreprises examineront avec la plus grande vigilance les résultats de vos travaux. Votre marge de manoeuvre est étroite, nous le savons, mais plus le temps passera sans prise de décision ni lisibilité, moins il sera possible de relancer opérationnellement l'écotaxe.

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