Intervention de Marc Hervouët

Réunion du 26 février 2014 à 11h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Marc Hervouët, président de la Confédération française du commerce interentreprises, CGI :

Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner l'occasion d'exposer les inquiétudes très profondes que suscite l'écotaxe poids lourds – actuellement suspendue – pour les entreprises que nous représentons.

Ces inquiétudes, nous les avons fait valoir à chacune des étapes du très long historique de cette taxe, y compris lors de la discussion, au printemps dernier, de la majoration forfaitaire de plein droit. Ces inquiétudes tiennent bien sûr à l'impact prévisible de l'écotaxe sur le modèle économique de nos entreprises, mais également à la persistance d'incertitudes à la fois juridiques et techniques. Elles tiennent aussi à un contexte économique particulièrement difficile et à un niveau global de pression fiscale et de charges administratives qui, sur le terrain, a atteint les limites de l'acceptable.

À cet égard, nous estimons que les réflexions en cours sur le devenir de l'écotaxe ne peuvent être disjointes de celles conduites sur la remise à plat de notre fiscalité et la compétitivité du site France.

Pour caractériser le métier de grossiste-distributeur que je représente, je dirai que nos entreprises assurent la logistique du dernier kilomètre. Elles collectent, vendent et acheminent sur le site d'utilisation finale les produits et marchandises nécessaires à l'activité d'entreprises ou d'établissements publics intervenant dans les champs industriel, alimentaire et non-alimentaire. À titre d'exemple, nous livrons la restauration, individuelle et collective, les cantines scolaires et hospitalières, les crèches, les commerces de proximité, les chantiers du BTP.

La position d'intermédiaire de nos entreprises les rend redevables de l'écotaxe, directement et indirectement, tant sur la partie approvisionnement de leur activité que sur la partie livraison. Je précise, comme beaucoup d'autres l'ont fait avant moi, qu'elles n'ont pas d'autre option que la route pour faire leur métier.

Les livraisons sont réalisées soit en compte propre – la profession compte effectivement 50 000 véhicules de plus de 3,5 tonnes, donc 10 % du parc concerné par l'écotaxe – soit en recourant au service d'un transporteur, parfois les deux. Nos professionnels sont donc également concernés par la majoration forfaitaire de plein droit votée au printemps dernier.

Je précise que nos entreprises n'ont pas attendu l'écotaxe pour optimiser leur modèle logistique, grâce notamment à des logiciels informatiques qui leur permettent au jour le jour d'organiser leurs tournées, ou pour utiliser des camions de plus en plus propres. J'ai d'ailleurs signé avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), au début de l'année dernière, une charte comprenant des engagements très précis en ce sens.

Sur le plan comptable, nos entreprises se caractérisent par un chiffre d'affaires très élevé, lié à l'importance des volumes de marchandises échangées, et par un très faible résultat net, lié à la modestie de leurs marges. Dans nos professions, chaque centime compte, ce qui les rend particulièrement sensibles à toute évolution, même marginale, de nature à peser sur les prix. Ces professionnels évoluent par ailleurs dans un environnement concurrentiel que le contexte économique a considérablement tendu et qui les met au contact direct avec des opérateurs vendant les mêmes marchandises sans en assurer la livraison.

Pour toutes ces raisons, nous nous sommes très tôt inquiétés des conséquences qu'aurait pour notre profession la mise en place de l'écotaxe. Malgré la forte pression du terrain en faveur de mouvements plus musclés, nous avons toujours privilégié le dialogue avec les pouvoirs publics.

Ainsi, en 2011, face aux inquiétudes de nos professions, nous avons demandé aux services du ministère des transports de nous aider à cerner de façon plus précise l'impact qu'aurait l'écotaxe sur nos opérations de livraison de proximité.

Il résulte de l'étude d'impact, que nous avons réalisée en partenariat avec la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), qu'à défaut de répercussion, l'incidence de l'écotaxe sur le bilan de nos entreprises pourrait représenter, sur la seule partie aval de leur activité, jusqu'à 15 % de leur résultat. Or rien ne garantit que nos entreprises soient en mesure d'assurer cette répercussion. C'est la première des inquiétudes exprimées par nos professionnels.

Apprécier a priori la charge qui résultera de l'utilisation du réseau taxé relèvera, pour les entreprises comme pour les transporteurs, du casse-tête. Et ce casse-tête est aggravé par le modèle logistique de ces entreprises qui est fondé sur une tournée regroupant 15 à 25 clients, ce qui rend impossible l'individualisation de la répercussion.

Autre facteur aggravant, notre activité s'inscrit bien souvent dans le cadre de contrats pluriannuels ou de marchés publics pour lesquels un prix ferme est exigé. Rien n'est prévu dans le code des marchés publics pour assurer la prise en compte de l'écotaxe.

Je rappelle à cet égard que nos entreprises n'ont pas été admises à faire jouer la majoration forfaitaire de plein droit ou à isoler, sur leurs factures, la composante écotaxe. Pour elles, pas de possibilité de « signal-prix » à l'endroit du bénéficiaire de l'opération de livraison, mais un simple « signal-coût » pour l'entreprise la réalisant ou la déléguant.

Au final, le niveau de répercussion de l'écotaxe constituera nécessairement un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel dont nos entreprises les plus fragiles seront les premières victimes.

Autre facteur d'incompréhension sur le terrain : la consistance du réseau taxé. Alors que chez la plupart de nos partenaires européens, ce réseau est essentiellement composé d'autoroutes afin de cibler le transport à longue distance, la France a fait le choix, les autoroutes ayant été concédées, d'appliquer la taxe au réseau secondaire, au risque de pénaliser la distribution locale et l'économie de proximité. Dans le même temps, les véhicules étrangers qui traverseront la France en utilisant le réseau autoroutier n'auront pas à acquitter l'écotaxe.

En outre, l'écotaxe n'est pas indexée sur la valeur du chargement, ce qui est un facteur majeur d'inquiétude. Son impact sera d'autant plus élevé que les marchandises transportées auront une faible valeur – denrées alimentaires, matériaux de construction. Au niveau des relations interentreprises, compte tenu des volumes de produits échangés, l'impact de l'écotaxe, même marginal, aura des conséquences significatives. Dans le cas d'un contrat d'approvisionnement récurrent portant sur des milliers d'unités, le surcoût induit sera loin d'être neutre.

Dernier facteur d'inquiétude : la lourdeur et la complexité technique du dispositif, dont je rappelle, comme d'autres avant moi, que la fiabilité opérationnelle soulève toujours des interrogations. Cette lourdeur occasionnera pour nos entreprises le même surcroît de charges administratives que pour le transport routier, mais ce surcroît ne fera pas l'objet d'une prise en compte légale ! Je rappelle que nous parlons d'un dispositif fiscal qui, pour être opérationnel, coûtera d'emblée plus de 10 millions d'euros à la profession au titre de l'enregistrement des camions auprès d'Ecomouv'.

S'agissant de la majoration de plein droit, les facteurs d'inquiétude ne sont pas moindres. L'extrême variabilité des taux entre régions n'est pas comprise sur le terrain. Pourquoi 7 % en Ile-de-France, quand le taux interrégional est fixé à 5,2 % et que le taux s'établit à 3,6 % dans la région Centre qui est voisine ? Alors que les taux applicables en région PACA et Languedoc-Roussillon sont respectivement de 2,7 % et de 2,1 %, comment justifier que le simple fait de franchir la frontière entre ces deux régions, dans le cadre d'une opération de proximité, entraîne l'application du taux interrégional de 5,2 % ?

Je rappelle que ces taux ont déjà varié à la hausse au moins deux fois depuis le vote de la loi. Nous ne mésestimons pas les difficultés particulières rencontrées par le transport routier, mais nos entreprises n'ont pas vocation à en être la variable d'ajustement, alors même que leur capacité à répercuter à leur tour la majoration n'est pas garantie.

À cet égard, si nous avons pris acte de la décision du Conseil constitutionnel, le caractère forfaitaire de la majoration, qui jouera que le transporteur ait ou non utilisé le réseau taxé, fait l'objet sur le terrain d'une incompréhension majeure. Je précise que cette majoration automatique, à la différence de l'écotaxe, n'est en rien fonction de la qualité environnementale du véhicule.

Une autre difficulté tient aux conditions dans lesquelles la majoration peut être admise à jouer. Le Conseil constitutionnel est venu rappeler qu'il fallait, pour cela, que le véhicule pèse plus de 3,5 tonnes. Or, dès l'été dernier, nombre de nos entreprises ont été saisies de demandes de la part de transporteurs tendant à appliquer la majoration à l'ensemble de leurs opérations de transport, qu'elles soient ou non réalisées avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes !

Je rappelle par ailleurs que la loi impose, sous peine de sanctions pénales, la mention de la majoration sur la facture. Selon quelles modalités pratiques distinguerons-nous les cas où la prestation est réalisée avec un véhicule de plus de 3,5 tonnes ? En cas de contrôle a posteriori, l'enjeu sera loin d'être neutre compte tenu des sanctions financières prévues.

Enfin, l'assiette même sur laquelle la majoration devra être appliquée nous paraît contestable compte tenu du périmètre très large que le ministère des transports a entendu donner à la notion de « prix de la prestation de transport ».

Pour conclure, je veux redire notre conviction que la fiscalité environnementale ne peut constituer une couche supplémentaire du « millefeuille fiscal » auquel nos entreprises sont déjà soumises. Lors du Grenelle de l'environnement, il avait été convenu que la mise en oeuvre de l'écotaxe se ferait à pression fiscale constante. C'est pour nous un élément déterminant de l'acceptabilité de cette taxe. Nous considérons que l'écotaxe doit constituer un élément à part entière des discussions en cours sur la remise à plat de la fiscalité des entreprises. Nous regrettons à cet égard que les pouvoirs publics aient fait le choix d'un dispositif aussi lourd. Le fait qu'il ait fallu cinq années pour le mettre en place et que son coût de fonctionnement représente un sixième du produit de la taxe ne joue pas en faveur de son acceptabilité. Des solutions plus simples auraient dû être privilégiées.

Il nous semble par ailleurs que l'écotaxe devrait mieux cibler le transport sur longue distance afin de ne pas pénaliser la distribution locale. Je rappelle que nos véhicules sont déjà lourdement taxés et qu'ils paient la taxe à l'essieu au titre de leur contribution à l'entretien des infrastructures de transport. D'autres pistes devraient être envisagées, comme l'exonération de la distribution de proximité ou le relèvement du seuil de déclenchement de l'écotaxe pour l'aligner sur celui de nos voisins allemands ou britanniques.

En tout état de cause, ne serait-ce que pour des raisons de cohérence et d'égalité devant l'impôt, le transport pour compte propre doit, à l'instar du transport pour compte d'autrui, être autorisé à adresser un signal-prix à raison du paiement de l'écotaxe, par exemple à travers une mention en pied de facture.

Pour ce qui est de la majoration, la distinction doit être mieux assurée entre ce qui relève objectivement du transport longue distance, avec franchissement de plusieurs frontières interrégionales, et ce qui relève de la distribution locale. Par ailleurs, les conditions d'application de la majoration doivent être clarifiées.

On peut au demeurant s'interroger sur son efficience même. Soyons clairs, de même que pour le compte propre le niveau de répercussion de l'écotaxe constituera un élément de « compétitivité-prix » et de positionnement concurrentiel, rien n'empêchera dans les faits des comportements de même nature du côté des transporteurs. Dans un cas comme dans l'autre, ce sont les acteurs les plus faibles qui en feront les frais.

Quitte à neutraliser l'effet de l'écotaxe sur le transport routier, un mécanisme de type TVA aurait été plus simple et plus compréhensible. Il aurait, en outre, permis de donner corps au signal-prix voulu par le législateur, et ce tout au long de la chaîne de production et de commercialisation.

Je terminerai en insistant sur l'obligation, plus que jamais impérieuse pour les pouvoirs publics, de faire preuve de sincérité compte tenu des crispations suscitées par l'écotaxe sur le terrain.

Justifier l'écotaxe poids lourds par des objectifs de report modal, dont les expériences étrangères démontrent qu'ils sont vains, est une erreur.

Justifier l'écotaxe poids lourds par le financement d'infrastructures alternatives à la route, alors qu'il s'agit surtout d'entretenir des infrastructures existantes et de financer des infrastructures nouvelles, dont beaucoup n'ont rien à voir avec le transport de marchandises, est une erreur.

Justifier la majoration de plein droit par le principe « utilisateur-pollueur », tout en la refusant au transport pour compte propre, est une erreur.

Sans sincérité, pas d'acceptabilité.

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