Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 15 janvier 2014 à 11h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'était un devoir pour moi d'accepter cette invitation. Vous avez engagé un travail parlementaire sur un sujet complexe, avec le souci de trouver une solution pour le financement de nos infrastructures de transport. Je souhaite contribuer à cette réflexion, en répondant à toutes vos interrogations dans un esprit de rigueur et de transparence.

En introduction de cet échange, je souhaite vous fournir quelques éléments sur l'état d'avancement du dossier « écotaxe poids lourds », en insistant sur cinq points.

Tout d'abord, l'écotaxe poids lourds est, avant tout, un nouvel élément de la fiscalité écologique dans notre pays.

Elle prend son origine dans le Grenelle de l'environnement, initié par le précédent gouvernement et qui fut, il faut le reconnaître, la traduction d'une large concertation de l'ensemble des acteurs de notre société : élus locaux, associations environnementales, employeurs, salariés, État. La mesure a ensuite été votée par le Parlement de façon transpartisane.

Il s'agit d'abord d'une fiscalité qui permet de donner un prix aux dégradations engendrées par la circulation des poids lourds sur nos routes nationales et départementales. L'usage de la route n'est en effet pas gratuit. Aujourd'hui, c'est le contribuable qui paye. Faire participer les usagers de la route relève d'un juste partage des coûts – et c'est ce qui a présidé à la décision du précédent gouvernement. Cela permet de mettre à contribution des transporteurs étrangers, qui empruntent le réseau routier français. Ils l'empruntent d'ailleurs parfois pour éviter le paiement des écotaxes en vigueur depuis longtemps dans certains des États européens qui nous entourent, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Suisse.

Ainsi, les transporteurs étrangers contribueront, via l'écotaxe, à hauteur de 200 millions d'euros environ au financement des infrastructures de transport en France. Aucune autre méthode de taxation ne le permettrait, par exemple sous forme de taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises de transport, ou encore de hausse de la fiscalité sur le gazole routier. En effet, ces autres méthodes pèseraient de façon disproportionnée sur les entreprises françaises, en épargnant les entreprises étrangères ou les véhicules faisant leur plein hors de nos frontières.

Ensuite, cette écotaxe permet d'inciter à une rationalisation de l'usage du réseau, indispensable à la transition énergétique que nous engageons, et d'éviter la saturation des axes du réseau national. Elle encouragera le report modal, de la route vers le rail, c'est-à-dire au profit de modes de transports moins carbonés, et répondra ainsi aux objectifs du plan climat. Elle poussera à éviter le transport à vide ou à espacer les livraisons, de manière à réduire l'usage de la route.

L'écotaxe sera certes acquittée par les transporteurs routiers, et il faut veiller à la viabilité de toutes ces entreprises. Mais il faut rappeler que le tarif de la taxe, en l'état actuel des textes – 13 centimes par kilomètre parcouru en 2014 – est nettement inférieur à celui pratiqué par les États qui nous entourent : 17,5 centimes en Allemagne, 23 centimes en Autriche, 38 centimes en Suisse. Par ailleurs, un mécanisme de majoration des prix a été mis en place par le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, pour permettre aux transporteurs de répercuter l'écotaxe dans leurs prix, car la volonté du Gouvernement est de ne pas voir écraser les marges, déjà très faibles, des transporteurs routiers. En effet, l'emploi et la viabilité des entreprises ont constamment été présents dans notre esprit. En outre, je rappelle que la taxe sur les véhicules routiers (TSVR), ou « taxe à l'essieu », a été abaissée en 2009 à un niveau qui est désormais très proche du minimum communautaire. Enfin, le choix a été fait, dans le budget 2014, de préserver le prix du gazole routier dans le cadre de la mise en place d'une composante « carbone ». Je rappelle ces éléments pour souligner la préoccupation constante du Gouvernement pour la compétitivité du secteur routier.

L'histoire de l'écotaxe n'est pas allée sans heurts, depuis l'origine.

Ce projet chemine depuis 2006 et, depuis son adoption en 2009, il a fait l'objet, chaque année, d'amendements visant à corriger ses malfaçons. Il est passé au travers d'un processus long et mouvementé de passation de marché avec le prestataire Ecomouv'. Je considère que la mission qui nous réunit aujourd'hui constitue une nouvelle étape, j'espère la dernière, pour faire en sorte que cette idée, mise en oeuvre dans d'autres pays, qui résulte d'un processus de concertation et qui a été validée à plusieurs reprises par la représentation nationale, puisse enfin être mise en place dans de bonnes conditions.

Comme l'a rappelé le Premier ministre, la suspension de la taxe « poids lourds » doit permettre de se donner le temps nécessaire au dialogue. L'écotaxe nécessite sans doute des corrections, mais elle doit être mise en oeuvre en gardant à l'esprit sa raison d'être.

Le second message que je souhaite vous adresser porte sur le rôle central assigné à la taxe poids lourds pour le financement de la politique des transports. Si la taxe poids lourds n'est pas mise en place, il conviendra de revoir nos objectifs en matière de modernisation de nos infrastructures de transport.

En effet, jusqu'en octobre 2013, nous avons construit une trajectoire budgétaire pour la politique des transports reposant sur la mise en oeuvre de la taxe poids lourds à compter du 1er janvier 2014.

C'est en partant de cette hypothèse que le Premier ministre a demandé aux préfets d'engager des discussions sur les contrats de plan État-régions, afin que les projets d'infrastructures nécessaires au développement des territoires soient cofinancés avec les régions.

C'est également en partant de l'hypothèse que cette taxe poids lourd serait mise en place que Frédéric Cuvillier a fait conduire un appel à projets sur les transports collectifs en site propre (TCSP), qui permettra d'équiper nos villes de transports en commun et d'inciter nos concitoyens à emprunter les modes de déplacement « durables ». Le développement de transports plus respectueux de l'environnement constitue en effet un enjeu considérable auquel les villes sont attachées.

Comme votre collègue Philippe Duron vous le confirmera également, c'est en partant de cette hypothèse que la commission, qu'il a remarquablement présidée, a redessiné les priorités de la politique des transports de notre pays pour les décennies à venir.

Mon message est donc le suivant : considérer que l'on peut conduire la politique des transports, que nous avons co-élaborée avec vous, de manière inchangée, sans mettre en oeuvre une contribution qui permette le rendement attendu, n'est pas réaliste dans le contexte budgétaire que nous connaissons.

Le Président de la République l'a rappelé : pour conserver notre souveraineté, nous devons rétablir nos comptes publics. Nous devons réaliser près de 50 milliards d'euros d'économies d'ici à 2017. Il sera très difficile de réaliser à la fois ces 50 milliards d'économies et celles visant à donner plus de compétitivité à nos entreprises, en faisant une dépense supplémentaire de 800 millions d'euros par an. En effet, l'abandon de la taxe poids lourds nécessiterait de revoir nos priorités, de faire des choix, de redessiner les objectifs de notre politique de transport. Ne pas le dire serait mentir à nos concitoyens qui attendent légitimement la modernisation des infrastructures de transport, dans un souci de préservation des équilibres écologiques de la planète.

Il est donc important de garder en mémoire l'équation budgétaire qui s'impose à nous et qui nous oblige à faire des choix.

Je souhaite vous délivrer un troisième message. S'agissant de l'année 2014, nous aurons, dans tous les cas de figure, à franchir des obstacles pour surmonter le sujet budgétaire auquel nous serons confrontés.

Si nous mettons en place la taxe poids lourds, l'effet de sa suspension temporaire impliquera nécessairement un manque à gagner pour l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Dans ce domaine comme dans d'autres, le temps a un coût. Ainsi, si la suspension dure un an, les moindres recettes pour l'AFITF seront de l'ordre de 800 millions d'euros. Si cette suspension est plus courte, les moindres recettes seront proportionnellement moins élevées, et les difficultés budgétaires moins grandes.

Ce manque à gagner sera atténué par la baisse de loyer, qui résultera mécaniquement de la suspension et dépendra de nos discussions avec Ecomouv' sur le contrat que nous avons passé avec cette société. Le manque à gagner, que nous ne connaissons pas puisque nous ne savons pas quand la taxe poids lourds sera mise en place, restera à n'en pas douter significatif.

Comme nous l'avions dit lorsque le Premier ministre a annoncé la suspension, ce manque à gagner doit être compensé par des économies en gestion.

Ces économies portent d'abord sur les dépenses de l'AFITF, sur lesquelles un travail est en cours, dont l'issue sera connue au début du mois de février lorsque le conseil d'administration de l'Agence votera son budget pour l'année 2014. J'en profite pour remercier le président de l'Agence et ses services pour la qualité du travail qu'ils ont mené avec nous.

Dans la mesure où ces économies ne suffiront certainement pas, une majoration de la subvention de l'AFITF devra être prévue, dès le budget initial de celle-ci, dont le calibrage n'est pas encore déterminé – nous y travaillons. Cette subvention prendra sa source au sein du budget du ministère des transports, conformément au principe d'autoassurance.

Il nous faudra ensuite faire un point d'étape : d'abord sur l'avenir de la taxe poids lourds, puisque votre mission aura certainement rendu ses préconisations et que la concertation sera achevée ; ensuite, sur l'état de l'exécution des dépenses de l'AFITF, ce qui nous permettra de mieux connaître ses besoins éventuels ; enfin, sur le degré de tension sur l'exécution du budget de l'État en général.

Forts de l'ensemble de ces informations, nous serons en mesure d'évaluer d'éventuels moyens additionnels à apporter à l'Agence. Ces moyens seront, là encore, financés par des redéploiements au sein du budget de l'État, car nous tenons à nous conformer rigoureusement à l'autorisation de dépenses que la représentation nationale a votée dans le cadre des débats du PLF 2014. Pour moi, l'objectif premier est de tenir la dépense, et ce sur tous les sujets.

Sur l'ensemble de ces questions relatives à la construction budgétaire 2014 de l'Agence, je ne pourrai pas vous en dire plus car les travaux sont en cours. Les choses seront stabilisées lors du conseil d'administration du 6 février de l'AFITF, au sein duquel l'Assemblée nationale est représentée. Il y aura donc une transparence parfaite sur les choix qui seront retenus. Les principaux messages restent que l'année 2014 sera une année difficile. Nous chercherons à tenir l'essentiel de nos engagements, mais il est indéniable que les pertes de recettes fiscales peuvent peser sur la soutenabilité de notre politique des transports.

Je voudrais insister sur un quatrième point. La mise en place de l'écotaxe a été suspendue afin de l'aménager et de trouver un compromis avec les parties prenantes. Le Gouvernement souhaite qu'un accord permette la mise en oeuvre de l'écotaxe dans les meilleures conditions. Sur ce sujet, comme sur d'autres, il vaut mieux un bon compromis qu'une mauvaise querelle.

La concertation a été engagée, en Bretagne et ailleurs, notamment autour d'observatoires régionaux, pour sérier les difficultés et les aplanir, et pour permettre la mise en fonctionnement de l'écotaxe, une fois les aménagements nécessaires introduits par la loi.

Cette réflexion collective doit respecter deux principes.

D'une part, nous devons obéir aux règles du droit communautaire, en particulier celles de la directive « Eurovignette ». Nous ne pouvons pas consentir des efforts pour rétablir nos comptes publics et réduire nos déficits et, dans le même temps, nous engager dans de multiples contentieux européens, dont nous savons à quel point ils pèsent lourd dans le budget de l'État.

Le droit communautaire énumère la liste des exonérations qui sont possibles. Beaucoup sont déjà utilisées, notamment en faveur des engins agricoles. Il reste quelques possibilités, notamment en matière de transports d'animaux ou de transports agricoles de proximité, qui peuvent être examinées avec bienveillance dans le cadre des concertations en cours, tout en gardant à l'esprit la latitude juridique dont nous disposons. Ainsi, le droit communautaire fixe par exemple des règles en matière de définition du réseau routier taxable, ou encore en matière de relèvement du seuil de taxation au-delà de 3,5 tonnes. Nous ne pouvons pas nous en affranchir.

D'autre part, nous devons prêter attention aux conditions loyales et équitables de concurrence entre transporteurs. Ces derniers y sont d'ailleurs très attachés. Cela suppose de conserver des règles simples, contrôlables par les dispositifs automatisés et par les services douaniers. Des règles peu contrôlables entraîneraient la fraude, c'est-à-dire une concurrence déloyale.

La concertation doit, par ailleurs, déboucher assez en amont de la remise en marche de l'écotaxe pour offrir aux contribuables une visibilité suffisante. Les contribuables doivent pouvoir, quelques mois avant la remise en marche, s'enregistrer et équiper leurs véhicules. Il faut aussi que tous les acteurs économiques impliqués et qui, pour certains, ont beaucoup investi, soient prochainement fixés sur le calendrier. Il faut enfin que le Parlement puisse traduire dans la loi les aménagements que votre Mission aura proposés.

Je finirai mon propos par un cinquième point. La gestion de l'écotaxe dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP) est la modalité choisie par le gouvernement précédent.

Le contrat de partenariat a été signé avec l'entreprise Ecomouv' le 20 octobre 2011. L'écotaxe sera gérée par cette société, à laquelle l'État versera un loyer. Beaucoup de pays étrangers, comme l'Allemagne, ont choisi la même modalité, en raison de l'extraordinaire complexité technique et juridique du projet.

On peut commenter à l'envi l'équilibre économique de ce contrat, le montant du loyer, les conditions d'élaboration de ce PPP – sans doute votre mission livrera-t-elle son analyse sur ce point. Mon approche est pragmatique. Ce contrat existe, nous en avons hérité, et sa résiliation coûterait 800 millions d'euros. Notre état d'esprit est donc de faire en sorte que ce contrat, que nous n'avons pas négocié ni élaboré nous-mêmes, puisse s'appliquer dans de bonnes conditions.

D'aucuns ont jugé utile de déclencher une polémique en indiquant que j'avais signé un arrêté concernant la perception de cette taxe. Ceux-là ne sont pas dans la salle, mais je tiens à dire qu'une telle critique relève d'une malhonnêteté intellectuelle qui ne les honore pas, puisque j'ai agi conformément au principe de continuité de l'État.

À court terme, la suspension décidée par le Premier ministre crée, au regard du contrat conclu avec Ecomouv', une situation nouvelle qui ouvre un espace de discussion avec le prestataire, afin de préciser les règles qui s'appliquent pendant cette phase de suspension. Dans le cadre de ces discussions – qui doivent être à la fois constructives et intransigeantes au regard des intérêts de l'État –, le Gouvernement sera particulièrement exigeant pour minimiser le montant des loyers pendant la durée de la suspension et pour obtenir du prestataire la reconnaissance de sa responsabilité dans les retards accumulés pour la mise en oeuvre de la taxe, avec les pénalités financières associées à ces retards. Il faut, en toute chose, le respect du droit, la défense des intérêts de l'État. Cette rigueur, nous la devons aux Français.

Voilà en quelques mots les éléments que je voulais vous rappeler.

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