Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 15 janvier 2014 à 11h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Monsieur Le Fur, je ne suis pas « allant », je m'attache à présenter des éléments objectifs sur la réalité de la situation. La majorité à laquelle vous apparteniez a voté l'écotaxe. Aujourd'hui, conformément au principe de continuité de l'État, nous essayons de faire en sorte qu'elle puisse être mise en place dans les meilleures conditions afin de financer nos infrastructures de transport. Ma position est pragmatique, et j'attends des parlementaires qu'ils fassent des propositions sur ce sujet stratégique.

Il n'y a pas de contradiction entre la position du Président de la République et celle du Premier ministre, entre la position du Gouvernement et celle de la majorité. Nous voulons rétablir la compétitivité de nos entreprises grâce à des actions très concrètes, au premier rang desquelles le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui permet aux entreprises de bénéficier d'un allègement net de charges de 20 milliards – dont elles n'ont jamais bénéficié jusqu'à présent. Nous le faisons, non pas avec un transfert de TVA sociale sur les ménages à hauteur de 13 milliards, mais à 50 % grâce à des économies en dépenses, la montée en puissance de la fiscalité environnementale, et la TVA à hauteur de 6 milliards. Nous voulons également poursuivre les objectifs du plan climat, voulu par le précédent gouvernement et porté par Jean-Louis Borloo dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Par conséquent, on ne peut pas faire de la politique politicienne sur un sujet aussi stratégique qui renvoie à la parole de la France au plan international. La parole de la France sera forte si elle se déploie dans la durée par-delà les gouvernements.

Monsieur le président, les études d'impact ne sont généralement pas un point fort dans le processus d'élaboration de la norme en France. Le processus d'étude d'impact sur la mise en place de l'écotaxe poids lourds n'a sans doute pas été exempt de critiques. Sur le fond, je dirai que les implications financières de la taxe ont été soigneusement expertisées – il faut le reconnaître –, notamment pour justifier le recours à un partenariat public privé. En revanche, il existe des angles morts : l'analyse de l'impact économique sur certains secteurs, comme l'agriculture et l'agroalimentaire, et l'analyse des conditions dans lesquelles la taxe pourrait être répercutée ou pas sur les clients. Le décret de mai 2012 rendait impraticable la répercussion de la taxe. Le nouveau système de majoration forfaitaire, mis en place sous l'impulsion de Frédéric Cuvillier, a résolu une partie de ces difficultés. Un autre angle mort existe s'agissant des entreprises qui utilisent beaucoup le transport routier sans être elles-mêmes des entreprises de transport routier. À cet égard, je rejoins la préoccupation exprimée par Marc Le Fur sur les entreprises agricoles, notamment bretonnes. En effet, ces entreprises ne bénéficient pas directement du mécanisme de majoration forfaitaire et sans doute faudra-t-il trouver une solution qui leur permette de répercuter la taxe, notamment sur leurs acheteurs dans la grande distribution.

Il était prévu une expérimentation de la taxe poids lourds en Alsace, puis, dans un second temps, une expérimentation nationale à blanc, ce qui aurait incontestablement permis de dresser un premier bilan rapide avant généralisation. Les retards accumulés dans la mise en oeuvre de la taxe, en raison de dysfonctionnements persistants affectant le dispositif mis au point par Ecomouv', ne l'ont pas permis.

Une expérimentation régionale soulèverait deux sujets sérieux. Nous nous éloignerions de la solidarité nationale, garantie par l'AFIFT dans le cadre d'un schéma national pour le développement des infrastructures et des transports de demain. Nous perdrions en cohérence de nos politiques publiques, sachant que l'AFIFT doit contribuer à travers ses financements au développement des transports en site propre pour l'ensemble des agglomérations.

S'agissant du montant et du calendrier des loyers dus, la suspension décidée par le Premier ministre crée une situation nouvelle qui permet une discussion avec Ecomouv', afin de pallier les incertitudes du contrat et, surtout, de défendre les intérêts de l'État et donc du contribuable. Vous comprendrez que je ne commenterai pas devant vous le résultat de ces discussions ni même les conditions de leur déroulement – la confidentialité des négociations est la garantie de la défense des intérêts de l'État. Le montant des loyers, de 70 millions d'euros par trimestre en régime de croisière, doit faire l'objet d'une discussion durant la période de suspension, en raison des retards et de la non-perception de la taxe. De même, nous devons débattre du calendrier de paiement de ces loyers.

Pour ce qui concerne le report vers les autoroutes, les services de mon collègue Cuvillier sont particulièrement compétents pour vous apporter des réponses précises.

Monsieur Benoit, nous sommes déjà engagés dans le « verdissement » de la fiscalité à travers la contribution climat-énergie – l'un des vecteurs de financement du CICE -, dont nous attendons un premier rendement significatif en 2014 et une montée en puissance dans les années à venir à la faveur de la taxation des productions énergétiques qui occasionnent des pollutions. Je fais remarquer à tous les contempteurs systématiques de l'action gouvernementale que nous avons réussi à faire passer cette contribution climat-énergie, quand eux ont été dans l'incapacité de le faire pour la taxe carbone, censurée par le Conseil constitutionnel.

Nous allons poursuivre ce travail de verdissement de la fiscalité, en étroite liaison avec le Comité pour la fiscalité écologique, présidé par Christian de Perthuis, devant lequel je me rends régulièrement avec Pierre Moscovici et Philippe Martin, de sorte que les travaux de ce comité puissent s'articuler avec la réflexion sur la remise à plat de la fiscalité voulue par le Président de la République et le Premier ministre.

Notre volonté de donner une chance à nos entreprises, comme nous le faisons grâce à une baisse de leurs charges nettes, s'inscrit pleinement dans le cadre du « pacte de responsabilité » proposé par le Président de la République le 31 décembre. Ainsi, nous poursuivrons ce travail d'allègement du coût du travail, en contrepartie d'engagements de la part des entreprises pour plus d'embauches et plus de dialogue social. Les allègements supplémentaires seront financés par des économies en dépenses, d'où ma volonté d'un ajustement des budgets suivants exclusivement par des économies en dépenses. Je vous confirme d'ailleurs que les prélèvements obligatoires sur les entreprises baisseront en 2014.

Monsieur Duron, s'agissant du budget de l'AFIFT, il n'est pas question de revenir, dans l'exécution du budget 2014, sur les projets essentiels sur lesquels nous nous sommes engagés. En particulier, nos engagements sur le renouvellement des matériels des TET seront tenus. Le Gouvernement souhaite étudier avec vous le calendrier de déclenchement des engagements correspondant aux 16 milliards que vous avez rappelés, et il entend le faire de façon méticuleuse, ligne à ligne, ce qui nous permettra d'aboutir à un ajustement le plus fin possible du volume budgétaire qui devra être mobilisé en vertu du principe d'autoassurance. Encore une fois, si nous n'avons pas le produit de cette taxe, l'équation budgétaire sera difficile.

La taxe poids lourds sera due par tous les transporteurs empruntant le réseau français. Sur le produit de cette taxe, 200 millions seront supportés par les transporteurs étrangers. En étant liée au nombre de kilomètres parcourus, et non au nombre de trajets, elle sera favorable aux transporteurs de proximité.

Je rappelle les mesures prises récemment en faveur des entreprises de transport routier : baisse de la taxe à l'essieu, sanctuarisation du taux réduit applicable au gazole routier, mise en place du CICE dont l'effet, pour le secteur du transport et de l'entreposage, se chiffrera à 2 milliards d'euros en 2014.

Monsieur Giraud, les véhicules qui emprunteront le réseau taxable sont déjà soumis à péage. En tout état de cause, la superposition de péages et de l'écotaxe ne sera pas possible en vertu du droit communautaire Je vous propose donc de vous revoir avec mes services pour approfondir la discussion.

Concernant la définition du réseau taxable, il est prévu d'établir un bilan après un an de fonctionnement. Si des reports de trafic indésirables apparaissent alors, nous réviserons le réseau taxable, en particulier le réseau local.

Monsieur Lambert, il est technologiquement possible de mettre en oeuvre l'écotaxe sans portique. Cependant, un contrat a été signé, dont les clauses contractuelles ont des effets budgétaires collatéraux très lourds. Changer de technologie impliquerait de changer de contrat, ce qui déclencherait des indemnités de résiliation, dont je vous ai indiqué le montant. L'hypothèse que vous formulez ne peut donc susciter mon enthousiasme.

Madame Erhel, la majoration forfaitaire mise en place par Frédéric Cuvillier a succédé à la répercussion au réel, introduite par le décret du 6 mai 2012 et difficilement applicable en raison de sa complexité à la fois pour les transporteurs et les chargeurs. Le nouveau système présente deux caractéristiques non négligeables : il est applicable et il évite l'écrasement des marges des transporteurs routiers. De plus, il est simple et transparent, en prévoyant un taux de majoration par région et un taux interrégional. J'en conviens : des entreprises peuvent être fortement utilisatrices de transport sans être elles-mêmes des entreprises de transport. À cet égard, Frédéric Cuvillier a évoqué devant vous la possibilité de l'affichage de l'écotaxe sur les factures de ces entreprises, pour faciliter la répercussion dans le cadre des négociations commerciales. Il s'agit là d'un début de solution que je soumets à votre réflexion.

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