Intervention de Michel Dubromel

Réunion du 22 janvier 2014 à 18h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Michel Dubromel, pilote du réseau Transports et mobilité durable de France Nature Environnement, FNE :

Nous vous remercions d'avoir sollicité France Nature Environnement pour cette audition.

Convaincue de l'utilité de l'écotaxe poids lourds, notre fédération pense qu'elle doit être mise en oeuvre rapidement.

Notre mouvement, qui regroupe plus de trois mille associations, réparties sur l'ensemble du territoire national, y compris outre-mer, traite près de vingt thématiques. Nous ne travaillons pas seulement sur les transports, mais aussi sur un sujet comme « santé et environnement », auquel les médias et la population accordent davantage d'attention avec une prise conscience des effets dommageables de la pollution atmosphérique sur la santé. Nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais l'intérêt général.

Nous dénonçons toutes les situations portant préjudice à l'environnement et à la qualité de vie de nos concitoyens. Mais au-delà, nous nous voulons force de proposition. C'est ainsi que nous avons participé au Grenelle de l'environnement ainsi qu'au débat national sur la transition énergétique, et participons actuellement aux travaux du comité pour la fiscalité écologique. Nous travaillons sur toutes les questions de transport et de mobilité, en cherchant à promouvoir les modes de transport les moins nocifs pour l'environnement, qu'il s'agisse de la pollution atmosphérique ou de la destruction des milieux naturels. Le thème de notre congrès de l'an passé était d'ailleurs « Se déplacer et transporter moins, mieux et autrement ».

C'est après le très grave accident du tunnel du Mont-Blanc en 1999, lequel avait fait 39 morts, qu'une première alerte avait été lancée. À l'époque, nombreux en effet avaient été les responsables politiques et associatifs à dire « Plus jamais ça !». Depuis 2003, France Nature Environnement s'est résolument engagée sur le sujet de l'écoredevance, à la demande de ses fédérations régionales, inquiètes de l'augmentation du trafic routier, en particulier dans les zones fragiles sur le plan environnemental, comme en montagne. C'est l'époque où la Suisse a commencé de mettre en oeuvre « la redevance poids lourds liée aux prestations » (RPLP), intégrant les coûts d'utilisation de l'infrastructure routière mais aussi les externalités. Les recettes de cette redevance y financent une grande partie des infrastructures ferroviaires nécessaires au report modal. Avec l'aide de sa Fédération européenne Transports et environnement, du ministère des transports et de l'ADEME, dès 2006, France Nature Environnement réalisait une étude intitulée « Une écoredevance ici et maintenant », dans laquelle nous étudiions comment transposer dans notre pays l'expérience suisse.

Nous avons défendu cette proposition l'année suivante, lors du Grenelle de l'environnement. Elle en est devenue l'engagement n°45 « Création d'une écoredevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau national non concédé ». Cet engagement, accepté par toutes les parties, a ensuite été acté dans la loi dite Grenelle 1, votée à la quasi-unanimité, puis dans la loi de finances pour 2009, avec, il faut le reconnaître, nous l'avions alors regretté, quantité de dérogations et de minorations.

Nous avons continué de travailler sur le dossier au niveau national. Nous avons ainsi été en liaison régulière avec la mission Tarification routière du ministère. Nous avons également participé à de nombreux colloques sur le sujet et édité plusieurs plaquettes d'information – je vous en remets deux, Monsieur le président. La première, éditée il y a deux ans, s'intitulait encore « Écoredevance », avant que le ministère des finances nous fasse savoir qu'il n'était plus possible d'utiliser cette dénomination. La deuxième, éditée il y a six mois, s'intitule « Taxe kilométrique poids lourds ».

Nous sommes également restés mobilisés au niveau européen au travers de notre fédération européenne Transports et environnement, par le biais de laquelle nous suivons de près les révisions successives de la directive Eurovignette.

Pour nous, l'écotaxe poids lourds – nous aurions évidemment préféré qu'on continue de parler d'écoredevance – n'est que l'application du principe utilisateur-payeur aux infrastructures routières. Les opérateurs ferroviaires s'acquittent bien d'un péage auprès de Réseau ferré de France (RFF) et les bateliers auprès de Voies navigables de France (VNF).

Cette écotaxe répond aux exigences de la directive européenne Eurovignette, que la France a toujours soutenue, ayant même parfois reproché à la Commission européenne de ne pas aller assez loin en matière de péage au bénéfice des infrastructures routières. Conformément aux dispositions de la directive, il convient aujourd'hui de veiller à n'opérer aucune discrimination entre transporteurs français et étrangers.

Pour nous, l'écotaxe, qui est une redevance d'infrastructure, a une vocation environnementale. Elle doit favoriser le report modal. Je rappelle à cet égard que le Grenelle de l'environnement avait fixé un objectif de 25% de transports alternatifs en 2022. Elle doit également donner un « signal prix » sur le transport avec une tarification proportionnelle au kilométrage parcouru, alors que l'actuelle taxe à l'essieu est forfaitaire, et permettre d'améliorer le taux de remplissage des camions, tout en diminuant le nombre de parcours à vide. En Allemagne, trois ans après la mise en place de la LKW Maut (Lastkraftwagen Maut), on constate que les parcours à vide ont diminué de 6 %. Cette taxe doit également servir à financer la réalisation d'infrastructures alternatives à la route et à conduire les travaux d'amélioration de sécurité sur le réseau routier existant. Elle doit enfin permettre de réduire la pollution causée par la circulation des poids lourds.

Elle ne défavorise pas le pavillon routier français puisqu'elle est applicable à tous les poids lourds. Elle permet d'ailleurs de faire payer l'utilisation des infrastructures aux transporteurs étrangers, alors qu'aujourd'hui, ceux d'entre eux qui empruntent le réseau non concédé ne paient pratiquement rien.

J'en viens aux difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'écotaxe. Celle-ci a pris trop de temps. Alors que la loi, votée en 2008, prévoyait une entrée en vigueur en 2011, la mesure a été par cinq fois reportée ! Peut-être aurait-il fallu lancer l'expérimentation alsacienne plus rapidement.

La communication sur le sujet aussi a été très mauvaise, quels qu'aient été d'ailleurs les gouvernements et les personnes chargée du dossier. Si des réticences se sont fait jour de la part de certains milieux économiques, une grande majorité de nos concitoyens n'est pas défavorable au dispositif. Trop d'informations erronées ont circulé, comme sur la forte augmentation des prix à la consommation qui pourrait en résulter. Le ministère des finances dispose d'une étude restée confidentielle mais qui établit que l'augmentation serait au maximum de 0,1 % ou 0,2 %.

Il faut enfin rappeler que certaines compensations avaient été octroyées par avance aux transporteurs routiers. La taxe à l'essieu a été diminuée en 2009, pour un coût annuel de 100 millions d'euros. La généralisation du 44 tonnes à cinq essieux entraînera une dépense supplémentaire de 400 millions d'euros par an pour l'entretien du réseau routier, selon une estimation réalisée par le Commissariat général au développement durable en janvier 2011. Enfin, le gazole a bénéficié d'une exonération supplémentaire de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) de 2,5 centimes d'euros par litre lors de la dernière augmentation par les régions de la part régionale de cette taxe. Cette niche fiscale représente un coût de 150 millions d'euros.

Trop d'exemptions et de minorations ont, hélas, été introduites lors du débat parlementaire, pour répondre à des intérêts sectoriels, alors qu'il aurait fallu avec cette écotaxe, adresser un message de solidarité entre régions.

La dénomination d'écoredevance, qui était celle initialement prévue, plus compréhensible, aurait permis que le principe soit mieux accepté. Lorsqu'en 2006, nous avions, avec Gérard Allard, ici présent, assisté aux assemblées générales de l'ensemble des transporteurs routiers, nous avions constaté que s'ils n'approuvaient pas l'institution d'une telle redevance, ils en comprenaient néanmoins le principe et la motivation. Nous avions appelé l'attention du ministère des transports sur les dangers de la dénomination « écotaxe », mais c'était, semble-t-il, une instruction de Bercy.

Dans la situation actuelle, quelles sont nos propositions ? Cela a été souligné lors d'auditions précédentes de votre mission d'information : le dispositif retenu correspond aux objectifs de la France en matière de transports. L'écotaxe n'a pas été bien comprise, mais ce sont certains lobbies qui ne l'acceptent pas, non pas le grand public. La plupart des économistes qui suivent les questions de transport et les grandes centrales syndicales y sont favorables. Ce n'est pas l'intérêt général, mais des intérêts particuliers, qui se sont exprimés dans son refus.

Pour nous, je le répète elle doit être mise en oeuvre sans retard, compte tenu des enjeux environnementaux des prochaines années. Nous proposons toutefois quelques aménagements, à même de satisfaire certaines des attentes exprimées. Ainsi pourrait-on envisager une exonération journalière pour les 50 premiers kilomètres parcourus, au moins à titre transitoire. L'entrée en vigueur du dispositif pourrait également être progressive, en s'appliquant d'abord aux camions de plus de 12 tonnes, puis de plus de 7,5 tonnes et enfin de plus de 3,5 tonnes, sachant que la directive fixe pour objectif 3,5 tonnes. Cela nous paraîtrait plus logique que d'octroyer des dérogations régionales, ce qui porte atteinte au principe d'égalité entre les territoires. Il serait possible également de revoir la grille des péages en augmentant, à produit constant, l'écart entre le prix du péage dont s'acquittent les camions à la norme Euro 6 et ceux à la norme Euro 2 ou Euro 3 – ils sont encore nombreux – qui sont les plus polluants. Ce serait une aide indirecte à l'achat de véhicules plus respectueux de l'environnement. Une différence de traitement pourrait également être faite entre les camions de 12 tonnes et ceux de 3,5 tonnes, afin de ne pas pénaliser les transporteurs locaux.

Nous sommes donc convaincus qu'il est possible de mettre rapidement en oeuvre l'écotaxe, à condition de s'appuyer sur de larges campagnes d'information à l'intention des acteurs économiques et de la population. Certains acteurs économiques bretons nous ont dit regretter maintenant d'avoir pris position contre une taxe qui aurait pu leur être utile, reconnaissent-ils.

Cette écotaxe, éventuellement aménagée comme je viens de l'indiquer, devra toutefois respecter certains principes. Aucune nouvelle exonération ni minoration ne doit être accordée : ce serait ouvrir une boîte de Pandore. Le niveau de recettes prévisionnel attendu doit être atteint, afin de ne pas amputer le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui commence à avoir des difficultés pour entretenir le réseau. Il faut enfin que le montant de la taxe soit répercuté sur le prix des marchandises transportées, comme prévu dans la loi de juin 2013, de façon à ne pas rogner les marges des transporteurs.

Nous n'avons rien contre le transport routier. Le transport par camion a sa pertinence, en particulier pour les courtes distances. Nous pensons en revanche que la réalité de son coût sociétal doit être prise en compte. La mise en place de l'écotaxe poids lourds est le premier pas, c'est toujours le plus difficile, vers un juste coût du transport et une véritable politique de report modal. Il faut en effet transporter moins, mieux et autrement !

Ayons le courage de prendre les mesures issues hier du Grenelle de l'environnement et, aujourd'hui, du débat national sur la transition énergétique. Traduisons enfin en actes nos engagements maintes fois répétés : l'écotaxe – ou l'écoredevance – en faisaient partie. La France doit accueillir en décembre 2015 la Conférence des parties (« COP 21 ») sur les changements climatiques. Dans cette perspective, elle devrait être exemplaire, et non la lanterne rouge de la fiscalité environnementale en Europe.

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