Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 15 avril 2014 à 16h15
Commission des affaires économiques

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Mme Valérie Fourneyron que j'ai vue aujourd'hui va mieux. Elle m'a chargée de vous saluer ; elle est désolée de ne pouvoir être présente aujourd'hui.

Je remercie M. Benoît Hamon pour le travail qu'il a accompli sur ce projet de loi dont l'élaboration a donné lieu à une intense concertation avec les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS). Ce texte est aussi le fruit d'une intense coopération entre l'exécutif et le Parlement ; elle a eu lieu aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

Ce projet de loi marque une étape importante dans la vision de l'économie que nous portons pour le XXIe siècle. Avec M. Montebourg et Mme Fourneyron, nous entendons en effet défendre un éventail complet d'actions pour une politique au service des nouvelles formes d'initiatives en direction de l'économie réelle. Ces actions seront les sources de l'emploi, de la croissance et de la qualité de la société que nous voulons construire. Des start-up aux associations et aux grandes entreprises coopératives, il faut faire émerger, faciliter et encourager toutes les initiatives, émanant des entreprises, des associations, des fondations, des coopératives et bien sûr des salariés.

Sur certains sujets, des interactions existent bel et bien entre l'économie sociale et solidaire et le numérique. Le financement participatif, ou crowdfunding, est ainsi un moyen privilégié de financement de l'ESS dont Mme Fleur Pellerin, en tant que ministre déléguée à l'économie numérique, avait assoupli le cadre. L'économie collaborative permet le rapprochement des usagers, des citoyens et des consommateurs grâce à des plateformes numériques. Je n'oublie pas les nouvelles formes d'innovation non technologique, que nous soutenons aussi bien au travers de ce projet de loi que grâce à d'autres dispositifs.

Quand nous promouvons l'économie sociale et solidaire, c'est bien pour construire de nouveaux modes de croissance, de lien social et d'entreprise qui sont nécessaires pour faire de la France un pays compétitif, innovant et plus humain dans sa conception de l'économie. C'est aussi le message de l'équipe que nous constituons au ministère de l'économie, car nous voulons promouvoir toutes les formes d'organisation de l'économie, toutes les formes « d'entreprendre », pour faire vivre une économie plurielle, et rompre avec une économie de la prédation fondée sur la seule recherche du profit. Cette économie doit être recentrée sur la production de valeur ajoutée et sur la création d'emplois.

À ce titre, l'économie sociale et solidaire a toute sa place en tant que vecteur d'un modèle entrepreunarial différent et démocratique, qui réponde aux aspirations nouvelles des citoyens pour une économie qui a du sens. Ce secteur, porteur d'une histoire, a su se renouveler pour devenir une forme attractive pour de jeunes entrepreneurs. Tout l'objet de ce projet de loi est de le reconnaître enfin officiellement, et de lui donner les moyens de changer d'échelle. Ce texte permet aussi de définir clairement l'économie sociale et solidaire afin d'éviter certaines interprétations abusives ou hasardeuses.

Cinq axes caractérisent le projet de loi : l'entrepreneuriat de demain, le « pouvoir d'agir » des salariés, les emplois dans les territoires, l'innovation sociale, et le rôle majeur des associations.

Nous souhaitons reconnaître l'entrepreneuriat de demain, solidaire, responsable, innovant, respectueux de la territorialisation des emplois, à la poursuite d'une utilité sociale. L'ESS est née au XIXe siècle des mouvements coopératifs et mutualistes. Elle présente une furieuse modernité à l'heure où la priorité du court terme et de la rentabilité à tout prix a montré ses limites. Elle est guidée par des principes qui font d'elle une économie inspirante pour inventer le monde post-Lehman Brothers. Ce projet de loi lui donne les moyens de se développer avec toute une palette d'outils de financement, comme les subventions, les fonds propres ou les prêts par l'intermédiaire de Bpifrance.

Ce texte redonne aussi du « pouvoir d'agir » au salarié qui se voit offrir la possibilité nouvelle de reprendre son entreprise sous forme de société coopérative et participative (SCOP), grâce au dispositif de la SCOP d'amorçage, et de créer son activité indépendante dans une coopérative d'activité et d'emploi (CAE). Ces dispositions vont dans le sens souhaité par le Gouvernement qui entend redonner aux salariés une place centrale dans l'entreprise et dans l'économie. Le pouvoir d'agir, c'est aussi donner de nouveaux droits aux salariés. De même que les salariés ont désormais plus de sièges dans les conseils d'administration grâce à la proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle, ils bénéficieront désormais, grâce à la loi ESS, d'un nouveau droit dans les entreprises de moins de 250 salariés : le droit d'information préalable. Avant toute cession, le chef d'entreprise devra informer au préalable ses salariés, afin de leur donner le temps de formuler le cas échéant une offre de reprise.

Ce nouveau droit a pour objectif de faire du salarié un acteur dans son entreprise, un interlocuteur du chef d'entreprise, et de lui permettre de sortir d'une relation encore trop souvent paternaliste. Grâce à ce droit nouveau, le salarié peut devenir une solution en cas d'absence de repreneur. Sa mise en oeuvre pourrait mettre fin à la situation scandaleuse de milliers d'entreprises qui ferment chaque année faute de repreneur. Ce n'est pas pour rien que M. Jean Auroux a assisté aux débats du projet de loi lors de son examen par le Sénat ! Le pouvoir d'agir, ce que les Anglais appellent empowerment, constitue une attente forte des citoyens aujourd'hui, qui se traduit dans le choix de leurs loisirs, de leur travail, dans leurs engagements associatifs. L'économie collaborative, qui s'appuie souvent sur des outils numériques, est l'une des formes de mise en oeuvre de l'ESS, qui permet à chacun de contribuer activement à un bien ou à un service commun.

L'ESS ce sont aussi des emplois dans les territoires, une composante essentielle des emplois d'avenir, et une source de création d'emplois non délocalisables. L'ESS a créé la moitié des emplois d'avenir ; elle a ainsi contribué à l'inversion de la courbe du chômage chez les jeunes. Il s'agit désormais de pérenniser ces emplois. Les dispositifs prévus dans ce projet de loi sont tous orientés vers la création d'emploi dans les territoires, par exemple grâce aux pôles de compétitivité de l'ESS que sont les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), ou encore grâce à la possibilité pour les collectivités territoriales de prendre une part plus importante dans le capital des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC). Les entreprises de l'ESS vont pouvoir développer leur activité grâce aux financements que Bpifrance met spécifiquement en place à leur profit et qui sont adossés à la reconnaissance de ce secteur par la loi. Le développement de ces activités et la « solvabilisation » de leurs projets vont les amener de facto à pérenniser les emplois d'avenir.

La présente loi constitue également une loi d'innovation sociale ambitieuse qui regarde vers l'avenir et les formes nouvelles d'organisation de l'économie. Définir l'innovation sociale, c'est combler une partie essentielle du dispositif d'innovation de notre pays, qui ne reconnaissait que l'innovation technologique, et inventer les solutions pour les besoins sociaux de demain qui peuvent concerner aussi bien la mobilité innovante pour les personnes âgées, l'accompagnement de ces dernières par le développement d'activités sportives, que le rapprochement entre sortie d'école et découverte des arts. Cela permet aussi de donner une nouvelle définition du commerce équitable en intégrant la dimension « Nord-Nord », et d'ouvrir la voie à la promotion des circuits courts qui sont une composante de la transition écologique, et de relations commerciales plus respectueuses du consommateur et du producteur.

Ce projet reconnaît enfin l'apport des associations à notre société et à notre économie. Depuis plus de cent ans, les associations constituent dans notre pays le socle du lien social et de la solidarité. Ce sont bien elles qui donnent le meilleur exemple de la "fraternité" de notre devise républicaine. Ce texte leur offre des moyens de se développer, mais il reconnaît aussi l'originalité de leur modèle économique, générateur de valeur ajoutée sociale. Je suis particulièrement fière de soutenir un projet qui conforte la subvention en tant que mode de relation devant devenir la norme entre les financeurs et les associations. Cette revendication portée depuis de très longues années trouve enfin sa traduction législative. C'est donc un signal fort envoyé aux associations en cette année qui a consacré l'engagement associatif comme grande cause nationale.

Modèle économique résilient face à la crise, l'ESS est un modèle qui attire, comme en témoigne la floraison de chaires dans les plus grandes de nos écoles. Ce modèle alternatif doit être conforté et reconnu pour éviter la confusion des genres. L'ESS n'est ni une vitrine ni une économie de la réparation ; c'est une économie conquérante qui oeuvre pour une croissance inclusive. L'intérêt de ce projet de loi est de permettre de tracer une frontière entre l'économie classique très capitalistique qui tente de se responsabiliser sans pour autant changer son modèle économique, et l'ESS qui intègre au coeur même de son modèle économique une exigence sociale et démocratique. Ces débats sont aussi intenses au niveau européen. Dans la circonscription d'Europe du Nord qui m'a élue à l'Assemblée nationale, j'ai bien perçu les différences d'approches en matière d'économie sociale et solidaire. En Europe du nord, on évoque la Big Society, qui doit faire reculer l'État pour laisser aux individus la charge de réguler et d'organiser l'action économique et sociale. Là-bas, on parle d'une solidarity-based economy qui n'est en fait qu'une économie de la charité au sens du XIXe siècle, une économie des pauvres. Au contraire, nous voulons pour la France une ESS fondée sur l'économie coopérative, collaborative et sociale. D'une certaine manière, ce projet de loi est un projet de loi de combat pour conforter un modèle économique intégrant des principes de gauche.

Je suis donc particulièrement honorée, au nom du ministère de l'économie, de représenter le Gouvernement devant votre commission pour débattre de ce texte.

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