Intervention de Yves Blein

Réunion du 15 avril 2014 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Blein, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Ce projet de loi se présente comme un texte cadre, fondateur pour plusieurs concepts, définissant un véritable périmètre permettant de mieux identifier, donc de mieux qualifier, l'économie sociale dans le paysage économique français. Il permet de mesurer le chemin parcouru depuis la création en 1981 de la délégation interministérielle à l'économie sociale sous l'égide de Michel Rocard, confiée à l'époque à M. Tony Dreyfus.

L'économie sociale et solidaire a une longue histoire dont on dit souvent qu'elle trouve ses racines dans le courant de pensée du socialisme utopique, chez des penseurs comme Owen, Fourier ou Proudhon. Si cette référence est juste pour les mouvements coopératifs et mutualistes, elle n'englobe pas le fait majeur qu'a constitué l'adoption, en 1901, de la loi portant liberté du contrat d'association, dont on sait aujourd'hui qu'elle a généré un nombre considérable d'activités. L'ESS constitue aujourd'hui une composante significative de notre économie – 10 % de notre PNB –, présente dans de nombreux secteurs, depuis les besoins non pris en charge par le marché jusqu'aux secteurs les plus concurrentiels de la distribution ou de certains pans de l'industrie. L'ESS est plurielle : elle regroupe aussi bien les associations, les coopératives et les mutuelles que les fondations. Ce modèle d'économie non capitaliste, en ce sens que son objet ne vise pas prioritairement à rémunérer des capitaux, fait aujourd'hui référence, et constitue ce que beaucoup ont appelé le tiers secteur, complémentaire des services publics comme de l'économie capitaliste.

Cette pluralité doit être une richesse et une force qui ont vocation à être adoptées par d'autres ; c'est là tout le sens du concept d'« inclusivité » qu'a porté M. Benoît Hamon à l'origine de ce texte, et dans lequel je me reconnais pleinement, car c'est un élément qui peut permettre de nouveaux développements pour les entreprises de l'ESS.

« Entreprises », car c'est bien le sens de l'article 1er du projet de loi que d'envisager l'ESS comme un mode d'entreprendre. Cet élément est fondamental pour la bonne appréhension de ce texte qui traite de l'activité économique même s'il s'agit d'entreprendre autrement comme l'indiquent les concepts de non-lucrativité ou de tempérance. C'est pourquoi le texte ne concerne pas nécessairement tous les acteurs statutaires de l'ESS : je pense notamment aux nombreuses petites associations, qui n'emploient aucun salarié. Mais, et c'est une spécificité forte de ce secteur, il s'agit d'une autre manière d'entreprendre qui se veut démocratique, patiente, soucieuse de la meilleure participation des parties prenantes, et centrée sur la seule atteinte de son objet social.

Depuis les années 1980, l'ESS s'est progressivement structurée, principalement à l'échelon régional, trouvant souvent auprès des conseils régionaux des partenaires attentifs à ses besoins. Les chambres régionales de l'économie sociale et solidaire en sont la meilleure illustration. Le texte ouvre la voie à un changement d'échelle de l'ESS, lui permettant de se doter d'une représentation nationale qui la positionne comme un véritable partenaire de l'État.

En effet, et c'est l'une des conséquences positives des questions que la crise a posées avec encore plus d'acuité, nos concitoyens, et d'abord les jeunes, sont souvent aujourd'hui en quête de davantage de sens pour leurs activités, notamment professionnelles. C'est ainsi que l'ESS rencontre une attention croissante de leur part et, de manière très prometteuse, de la part des jeunes diplômés qui souhaitent donner davantage de sens à leur vie professionnelle. Dans le même temps, et je sais que M. Jean-René Marsac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, est particulièrement sensible à ce sujet, l'Europe se saisit également du sujet. Elle le fait certes avec une approche un peu différente, plus fondée sur l'activité que sur le statut, mais cela n'en témoigne pas moins de l'intérêt porté à ce mode d'entreprendre pour répondre aux défis de nos sociétés à l'échelle européenne.

Dans ce contexte favorable, le projet de loi a suscité un fort engouement, aussi bien de la part des parties prenantes qui ont été largement associées à son élaboration, qu'au Conseil économique, social et environnemental qui a créé une commission temporaire dans le cadre de la saisine du Premier ministre et rendu un avis, ainsi qu'au Sénat qui après avoir créé un groupe d'étude sur l'ESS a été saisi le premier du texte, sans parler de l'Assemblée nationale où, phénomène inédit, pas moins de six commissions permanentes se sont saisies pour avis.

J'ai moi-même procédé, souvent en collaboration avec plusieurs des rapporteurs pour avis, à une cinquantaine d'auditions particulièrement riches en informations et propositions. Le texte issu du Sénat comprend de nombreuses avancées par rapport au projet de loi initial : meilleur encadrement des sociétés commerciales se réclamant de l'ESS, politique territoriale de l'ESS, commande publique, dispositifs locaux d'accompagnement (DLA), définition de l'innovation sociale, définition du commerce équitable… Je pense toutefois qu'il peut encore être amélioré, précisé et complété de manière significative.

C'est pourquoi, en accord avec les autres rapporteurs pour avis, j'ai notamment souhaité le restructurer quelque peu pour conférer davantage d'importance au monde associatif qui constitue de loin le plus fort contingent de l'ESS. Je proposerai ainsi que les articles 10, concernant les subventions, et 10 bis, relatif aux DLA, soient déplacés au sein du Titre V qui a également vocation à être enrichi de nouvelles dispositions.

Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite souligner que tout au long de la préparation de cet examen en commission, et notamment au cours des auditions, j'ai vraiment ressenti l'enthousiasme que suscite une pareille avancée législative qui mobilise largement la créativité et l'inventivité de chacune des parties prenantes, et qui traduit la capacité d'innovation et de coopération de l'ESS. Je souhaite que l'examen de ce projet en soit une nouvelle illustration.

Je laisserai le dernier mot à deux économistes américains de renom. M. Jeremy Rifkin invite ses lecteurs dans l'un de ses ouvrages à regarder le développement de l'économie sociale en Europe, au Japon et en Amérique latine comme un probable modèle à très fort potentiel pour l'avenir. Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie, a travaillé sur un « troisième cadre institutionnel » dans lequel des communautés s'organisent pour gérer ensemble des biens communs, comme le font certains écosystèmes dont les initiatives collectives et responsabilisantes sont raisonnablement et durablement exploitées. J'ai cru percevoir chez ces deux auteurs une forme de salut moderne à l'économie sociale.

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