Merci du temps que vous consacrez à cette audition. Je vous propose de revenir sur mon parcours scientifique et sur ce qui m'amène à postuler à cette direction, puis de vous présenter les objectifs de ce futur mandat à l'INSERM au moment où nous fêtons les 50 ans de l'institution. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le Président, je suis chef d'un service consacré aux patients atteints du SIDA, depuis maintenant une vingtaine d'années et aussi directeur d'une unité de l'INSERM dans le même hôpital, Henri Mondor, complètement orientée sur la recherche d'un vaccin. Depuis la fin de mon internat en 1986, je relève d'une unité de l'INSERM et j'ai consacré tout mon temps à la recherche clinique ou à la recherche en amont, transversale ou translationnelle, selon l'expression actuelle. J'ai été membre de commissions scientifiques de l'INSERM depuis 1995, puis directeur d'une équipe, et enfin d'une unité à Dallas, jusqu'en 2012, ayant démissionné pour rejoindre le cabinet de Mme Fioraso. L'unité de Dallas nous a permis de faire le pont entre notre recherche en France sur un vaccin contre le SIDA et une équipe prestigieuse aux États-Unis que j'ai fini par diriger. Dans le cadre du premier appel d'offres du grand emprunt, j'ai été lauréat d'un Labex, l'Institut de recherche sur le vaccin (IRV), auquel participent dix-sept équipes – dont celle de Mme Fançoise Barré-Sinoussi – toutes orientées sur la recherche vaccinale et qui travaillent en réseau en France, en Europe et aux États-Unis.
Concernant mon implication dans la recherche et mon parcours, l'événement le plus marquant a été l'irruption du SIDA, à la fin de mon internat en 1986 et la confrontation à une maladie et une pathologie sur lesquelles nous ne savions rien et n'avions rien appris. Ce problème majeur de santé publique m'a conduit à participer à la création de l'ANRS (Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales) en 1991. Dès 1993, j'étais chargé de travailler sur les thérapeutiques innovantes pour prendre, en 2000, la direction du programme de recherche vaccinale sur le SIDA. Confrontés à cette épidémie et à cette urgence, s'imposait d'emblée le lien entre recherche clinique et recherche fondamentale qui marque mon activité depuis mon internat.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le Président, j'ai eu la chance et l'honneur d'être auprès de Mme Fioraso ces deux dernières années. À ce titre, j'ai participé à la mise en place de l'agenda stratégique de la recherche France Europe 2020, et à l'élaboration de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Enfin, tout récemment – et cela intéresse l'INSERM très directement – j'ai travaillé sur les stratégies nationales de la santé et de la recherche, dont l'imbrication a été voulue par les deux ministres, Mmes Touraine et Fioraso, et rappelée par le Président de la République lors de la célébration des 50 ans de l'INSERM, il y a une semaine.
Je n'avais pas prévu ma candidature à ce poste il y a deux ou trois ans, mais cette expérience récente et l'évolution de la recherche aujourd'hui m'ont conduit à la présenter et à réfléchir, à l'issue de cet anniversaire, à ce que pourrait être un prochain mandat de l'INSERM. Avant de préciser mes objectifs, je voudrais replacer les prochaines années dans leur contexte scientifique et de politiques publiques, l'INSERM, comme le précisent ses décrets fondateurs, ayant pour objet l'amélioration de la santé de nos concitoyens.
Le contexte scientifique est aujourd'hui assez clair : il a été rappelé à plusieurs reprises. Nous sommes dans une situation de changement d'échelle de la recherche biomédicale, avec l'essor extraordinaire des biotechnologies et des technologies à haut débit, aux applications cliniques immédiates, comme l'objectif de séquencer 60 000 tumeurs des malades dans le plan cancer présenté par le Président de la République le 4 février dernier. Il implique une médecine personnalisée, les malades étant traités non seulement eux-mêmes avec leurs caractéristiques mais également les caractéristiques de leur tumeur, et génère un nombre très élevé de données et leur intégration du niveau cellulaire – pour la biologie la plus fondamentale – jusqu'aux populations. En effet, l'étude des fonctions, digestives, cérébrales, respiratoires, telle que nous la connaissions au lycée ou à l'université est aujourd'hui remplacée par l'étude des systèmes. Il est dès lors nécessaire de procéder à une intégration totale de toutes les données que nous pouvons générer, ce qui implique de réfléchir, les prochaines années, à l'évolution et à l'adaptation du métier de chercheur et d'intégrer la recherche fondamentale à la recherche clinique. Dans cinq ans, le dossier médical des malades comportera non seulement leurs caractéristiques médicales, mais également la cartographie génétique de leur tumeur ou d'eux-mêmes, afin d'y adapter les traitements. Cette réflexion cadre l'élaboration des nouveaux objectifs de l'INSERM.
Le contexte politique comprend la politique nationale de santé déjà citée, la politique de site que met en place la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et l'agenda stratégique de la recherche que s'est fixé notre pays.
Le futur mandat que je propose se fixe quatre objectifs respectant trois principes.
Les quatre objectifs sont :
- maintenir une recherche fondamentale de très haut niveau, car aucune recherche appliquée et d'amélioration des soins, aucune avancée clinique n'est indépendante de la recherche fondamentale, que ce soit par exemple la thérapie par les cellules souches ou la thérapie génique, et préparer aux défis de santé et sociétaux, ces derniers étant un exemple des recherches appliquées visant à préserver santé et bien-être ;
- rattraper le retard de la recherche technologique dans le domaine des sciences du vivant. Jusqu'à présent les chercheurs utilisaient des techniques pour répondre à des questions, aujourd'hui les techniques et les avancées technologiques sont telles qu'elles ouvrent de nouvelles portes et conduisent à de nouvelles questions. La recherche technologique conditionne la recherche fondamentale, mais est aussi très importante pour le transfert et la valorisation. L'INSERM doit être le lieu d'interaction entre les études académiques et tous les prototypes de ce qui générera les données fondamentales de la recherche de demain. Mon expérience du NIH (National Institutes of Health) américain en 2000 m'a permis de voir tester les premières machines qui inondent aujourd'hui les marchés et sont présentes dans tous nos laboratoires. Ces prototypes ouvrent de nouvelles voies de recherche, l'INSERM doit les accueillir ;
- une authentique politique de santé publique et d'aide à la décision publique, conformément aux missions « régaliennes » de l'INSERM définies dans son décret de fondation. Elle concerne l'ensemble des pathologies décrites dans les programmes européen ou national de santé - bien-être. Il convient en effet de réfléchir aux déterminants sociaux qui conditionnent la santé. Les objectifs de réduction du tabagisme fixé par le plan cancer ne peuvent s'aborder du seul point de vue de la fiscalité. Or, les messages de prévention ne passent pas et ne sont pas relayés. Dans mon domaine de recherche, le SIDA, on constate 6 000 nouveaux cas tous les ans en France, chiffre stable, malgré trente ans de messages pour promouvoir le seul « vaccin » disponible : le préservatif et les techniques de prévention. La recherche en santé publique et en épidémiologie est maintenant complètement intégrée aux données de la recherche fondamentale. L'interdisciplinarité, l'intégration des sciences humaines et sociales, l'aide à la décision publique en prévention et non pas seulement en réaction – ainsi pour le chikungunya, la grippe H1N1, le réseau INSERM était prêt à répondre, mais il convient de préparer également la prévention des risques – tels sont les axes de cet objectif ;
- la démocratie scientifique : comme c'est déjà le cas avec les 380 associations partenaires de l'INSERM, il convient de diffuser la culture sur la santé et de médiatiser les découvertes afin de diminuer la méfiance et la défiance des citoyens vis-à-vis des experts, en impliquant les associations de malades.
Les trois principes sur lesquels doivent reposer, selon moi, ces objectifs sont :
- assurer le continuum entre la recherche fondamentale en amont et la recherche clinique jusqu'aux soins, ce qui va constituer l'objectif majeur de toute la recherche biomédicale dans le monde, afin de garantir l'accès à l'innovation, l'attractivité pour l'industrie et la réussite des partenariats entre public et privé pour le développement des médicaments ;
- renforcer les partenariats et la transversalité entre l'INSERM et ses partenaires, notamment dans le cadre de l'alliance AVIESAN (alliance pour les sciences de la vie et de la santé) qui regroupe l'ensemble des organismes de recherche impliqués dans la recherche biomédicale, notamment le CNRS, les universités ou les hôpitaux. On atteint aujourd'hui la troisième étape de ces alliances, après leur création en 2009 pour coordonner la réflexion, puis leur capacité, dans le cadre de l'agenda stratégique, de soumettre une programmation à l'ANR (Agence nationale de la recherche). Il convient maintenant de mieux intégrer les forces disponibles, notamment sur les sites, dans le cadre défini par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche ;
- l'implication des chercheurs à toutes les étapes de ces décisions. Sans appropriation et responsabilisation des chercheurs au niveau des unités mixtes de recherche, il va être très difficile aujourd'hui de définir les choix et les priorités rendus nécessaires par les contraintes budgétaires, ainsi que les modalités de recrutement des chercheurs et des personnels ITA (ingénieurs, techniciens et administratifs). Il ne faut pas qu'il y ait de hiatus entre la politique définie par l'agenda stratégique de la recherche, les objectifs de l'organisme et les chercheurs au niveau de leur unité. Une réflexion doit être engagée sur la politique de ressources humaines et sur des mesures extrêmement concrètes visant à améliorer la vie des chercheurs au quotidien, en profitant notamment de la politique de site et des alliances, par des délégations de gestion par exemple.
Je voudrais aussi évoquer la place de l'INSERM et d'AVIESAN aux niveaux européens, international et vers le Sud. AVIESAN a largement contribué à l'espace européen de la recherche, grâce au président Syrota et à son travail comme vice-président de Science Europe, qui regroupe l'ensemble des organismes opérateurs et financeurs de la recherche au niveau européen, de la santé à la physique. Le lobbying entrepris permet à AVIESAN d'être présente dans les différents groupes de travail. En effet, l'Europe et les financements européens d'Horizon 2020 constituent la nouvelle « frontière ». Des mesures très concrètes comme l'information, l'ingénierie de projets, la mise en place de points de contact nationaux pour les relayer, doivent être prises pour aider les chercheurs à se tourner vers l'Europe.
La politique internationale s'appuie aujourd'hui sur les 23 unités internationales associées à l'INSERM. Elles doivent passer à une autre étape avec d'authentiques échanges de chercheurs, de post-doctorants et de jeunes chercheurs.
La politique en direction du Sud s'appuie sur une forte croissance en Afrique et des demandes très fortes de partenariats. Elle est développée par AVIESAN Sud. Des sites de recherche disposant de chartes éthiques ont été mis en place, sur le modèle des interventions pour lutter contre le SIDA ou d'autres maladies infectieuses, il convient de les renforcer.
Voici, selon moi, les objectifs et la vision qui devraient être portés par un prochain mandat, intégrés dans l'évolution des politiques publiques menées depuis deux ans, au service des stratégies nationales de la santé et de la recherche et préparant la recherche, fondamentale ou clinique, aux défis des prochaines années. Ils impliquent une simplification administrative, comme l'a rappelé le Président de la République il y a une semaine, mais aussi une réflexion sur les financements « santé » ou provenant de l'ANR et par un guichet unique pour les appels d'offres afin d'améliorer la vie des chercheurs. Des mesures devront être prises assez rapidement dans ce domaine afin de mieux répondre à ces défis.