Intervention de Yves Lévy

Réunion du 16 avril 2014 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Yves Lévy :

Je souhaiterais d'abord répondre à Mme Isabelle Attard en rappelant le contexte de ma désignation. La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a encadré le choix des dirigeants des établissements publics à caractère scientifique et technologique en posant deux principes : le recours à un appel public à candidatures et leur examen par une commission de sélection.

S'agissant de l'INSERM, l'appel à candidatures a été diffusé à partir du 24 janvier dernier et ce pendant un mois. Six candidats se sont donc présentés, de manière généralement confidentielle, ce qu'on peut comprendre. Un comité d'évaluation a été alors mis en place, composé du directeur général de la santé, du directeur général pour la recherche et l'innovation et de deux personnalités qualifiées, respectivement désignées par la ministre de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. La première personnalité était M. Edouard Couty, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, qui a une très grande expérience de la recherche clinique et de la vie hospitalière, et la seconde M. Habib Benali, ancien chercheur à l'INSERM, prix Albert Lasker pour la recherche médicale clinique, cette distinction annonçant souvent un Prix Nobel, et qui a été le pionnier, dans notre pays, des stimulations cérébrales contre la maladie de Parkinson.

Ce comité a auditionné chaque candidat – avec le format suivant : quinze minutes de présentation et quarante-cinq minutes de réponses aux questions des membres – à qui il était demandé, en outre, de communiquer une lettre d'intention, un CV détaillé et une bibliographie. Les candidats ont alors été évalués sur six critères et classés, comme le fait l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), entre « très bon », « excellent » et « exceptionnel ». Ces six critères portaient notamment sur la vision scientifique, la légitimité scientifique, l'expertise des politiques publiques et la visibilité internationale du candidat. À la suite de ce processus d'audition, un rapport a été établi puis transmis aux deux ministres qui ont alors retenu un seul nom.

Il convient de préciser que cette procédure a été suivie alors même que les décrets qui doivent l'encadrer ne sont pas encore parus. D'un point de vue strictement juridique, en effet, les nouvelles modalités de désignation ne pourront entrer en vigueur qu'après que les décrets régissant le fonctionnement des organismes de recherche concernés aient été modifiés. Or, en raison des délais qui président à de telles modifications, ces textes ne pouvaient être adoptés rapidement, d'autant qu'il n'était pas souhaitable que ce processus de révision puisse impliquer l'actuel président de l'INSERM, le professeur Syrota.

La mise en oeuvre de la procédure prévue par la loi du 22 juillet 2013 a donc été volontairement anticipée, en appliquant l'esprit du nouveau dispositif à la nomination du futur président de cet institut. Cette décision a été prise par les ministres compétentes, après consultation du Secrétariat général du gouvernement. Je rappellerai, à titre de comparaison, que si M. Fuchs a été reconduit à la tête du CNRS après un appel à candidature, le processus a été piloté, cette fois, par les cabinets ministériels, en l'absence de toute commission de sélection, faute de modification en temps et heure des décrets « statutaires » de cet organisme.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à préciser que j'ai également été interrogé hier au Sénat sur ce point et que si la procédure que j'ai décrite a été divulguée, elle n'a pas non plus, pour d'évidentes raisons, été rendue publique dans ses moindres détails.

En ce qui concerne la résorption de la précarité, l'INSERM appliquera, bien entendu, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012, qui concerne l'accès à l'emploi titulaire et l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique. En 2012-2013, quarante personnes étaient éligibles au dispositif leur permettant d'accéder à des contrats à durée indéterminée (CDI). Par ailleurs, le premier concours répondant aux critères posés par cette loi a été ouvert cette année, vingt-six postes ayant été ouverts à cet effet. Au total, le nombre de personnes éligibles aux dispositions de la loi « Sauvadet » est estimé à 326 au sein de l'INSERM et, selon les projections établies par l'institut, 33 à 35 % d'entre elles pourraient être intégrées dans les prochaines années.

À l'instar du CNRS, l'INSERM a adopté, sur ce fondement et très rapidement, des mesures d'intégration des personnes qui pouvaient être recrutées sur un CDI et qui étaient soit employées par ce seul organisme soit travaillaient avec plusieurs employeurs. Pour ce faire, l'institut n'a pas bénéficié ou ne bénéficiera pas de financements supplémentaires. Il a donc été décidé, comme au CNRS, de réserver un quota des postes budgétés au financement des recrutements permettant de résorber les emplois précaires. Cette politique se poursuivra les prochaines années et s'appuiera, chaque année, sur un appel en direction des personnels éligibles à la loi « Sauvadet ».

En ce qui concerne les jeunes chercheurs, la charte des bonnes pratiques constitue un progrès, mais il faut surtout aller vers une plus grande professionnalisation du recrutement et un meilleur accompagnement de ces personnels. C'est là un point essentiel, surtout dans notre pays qui, contrairement à d'autres, n'a pas mené de véritable réflexion sur le parcours des post-doctorants. En effet, que fait-on de ces chercheurs, une fois qu'ils ont enchaîné plusieurs contrats post-docs et ne sont pas recrutés par un organisme de recherche ?

Je propose donc d'engager une réflexion sur l'accompagnement, en amont, des jeunes chercheurs et sur leurs nouveaux parcours, ainsi que sur le développement des passerelles. Sur ce dernier point, des partenariats doivent être établis avec les industries, le plus tôt possible, pour passer de la recherche académique au monde de l'entreprise.

Par ailleurs, la vie quotidienne des chercheurs doit effectivement être améliorée. Les contraintes matérielles ou administratives sont une source de souffrance, même lorsqu'il s'agit de passer une simple commande. Il faut agir sur elles, en développant les structures communes de gestion et en améliorant les processus informatiques et les logiciels.

En ce qui concerne la gestion des ressources humaines, ces dernières années, la politique de recrutement de l'INSERM, qui a concerné 140 ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA) et 70 chercheurs, peut être qualifiée de stable. Par ailleurs, l'institut doit faire face, désormais, à la diminution des départs à la retraite et ce dans un contexte où les problèmes posés par le recrutement de personnels ITA seront plus aigus que ceux posés par celui des chercheurs.

Je proposerai donc une réflexion sur l'emploi scientifique des ITA, qui constituent le véritable « patrimoine » des équipes de chercheurs. Elle est d'autant plus nécessaire que, ces derniers temps, nous avons, pour des raisons budgétaires, privilégié l'affectation de ces personnels au sein des plates-formes communes, dont le bilan doit être dressé, alors qu'il faudrait essayer de remettre à l'ordre du jour l'emploi des ITA au niveau des équipes de recherche. Au total, les projections à l'horizon 2017 dont nous disposons pour le recrutement doivent nous inciter à mener une politique globale de l'emploi scientifique.

En ce qui concerne la féminisation des équipes, les universités, les CHU et l'INSERM sont tous dans la même situation. Un seul institut thématique multi-organismes (ITMO) sur dix, l'ITMO santé publique, est aujourd'hui présidé par une femme, Mme Geneviève Chène. Il faut en effet envisager un renouvellement et la mise en place de la parité, du conseil scientifique jusqu'aux ITMO.

À leur création en 2009, les alliances ont été conçues comme un lieu de coordination, une structure souple, sans personnalité morale ni structure administrative. Ce format a bien fonctionné mais elles restent un club réunissant des personnes qui veulent bien se voir et réfléchir ensemble. Néanmoins les ITMO, qui associent l'ensemble des alliances, ont mis en place la nouvelle programmation de l'ANR dès 2012. Les alliances sont dès lors devenues le lieu véritable de la réflexion sur la programmation scientifique. Auparavant, l'ANR élaborait sa programmation scientifique en s'appuyant sur les organismes de recherche. En 2012, le mouvement a été inversé. Aujourd'hui nous sommes à une nouvelle étape. La stratégie nationale de recherche est élaborée dans un comité de pilotage au sein duquel les alliances sont représentées ainsi que le CNRS. Cette stratégie nationale, élaborée pour cinq ans, est ensuite évaluée par un conseil stratégique de la recherche, placé auprès du Premier ministre. La participation des alliances à la programmation scientifique et à la réflexion sur la stratégie a structuré les alliances plus que n'auraient pu le faire des règles administratives.

Le choix a été fait d'un financement sur projet. Dans l'agenda stratégique de la recherche, les nouvelles missions de l'ANR ont été clairement posées par le Gouvernement : l'ANR finance les projets en lien avec la programmation élaborée dans le cadre de la stratégie nationale de recherche. Il y a néanmoins eu un rééquilibrage des financements depuis 2012 au sein du budget de l'ANR, une partie ayant été réaffectée aux financements récurrents. Aujourd'hui je crois que l'équilibre a été atteint. Mais il faut être très vigilant en ce qui concerne le budget de l'ANR.

Concernant la « nouvelle étape », elle ne porte pas simplement sur l'espace européen de la recherche mais aussi sur les financements au niveau européen. Les financements de l'INSERM issus du 7e PCRD (programme-cadre de recherche et de développement) sont évalués à 163 millions d'euros, dont 113 millions d'euros de financement provenant des Actions Marie Curie et 29 millions d'euros de l'ERC (European Research CouncilConseil européen de la recherche). Il s'agit donc d'un enjeu extrêmement important. L'objectif est d'insérer l'INSERM dans la politique d' « Horizon 2020 » en s'aidant de l'agenda stratégique de la recherche qui a posé les mêmes objectifs qu' « Horizon 2020 ». En incitant les équipes à répondre à des projets nationaux qui ont le même intitulé et les mêmes objectifs que les projets au niveau européen, nous nous mettrons dans une meilleure situation pour gagner plus de financements dans le 8e PCRD.

En ce qui concerne le lien avec l'université, la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche pose très clairement la question de la place des organismes de recherche dans les politiques de sites avec différentes options pour les regroupements. On estime qu'il y aura entre 26 et 30 regroupements d'universités. La place des organismes de recherche y a été très clairement définie puisque deux sièges leur sont attribués au sein des conseils d'administration des universités avec droit de vote. Aujourd'hui, l'INSERM joue parfaitement son rôle au niveau des sites. L'institut participe aux politiques de site en termes d'offres de formation et de recherche, avec les acteurs locaux. Vous avez parlé de blocages et de difficultés. Je crois qu'il y a dans chaque site des particularités liées au poids des différents acteurs. D'après M. Syrota, qui s'est beaucoup déplacé et a créé beaucoup de lien au niveau des sites au nom d'AVIESAN, les choses semblent bien se passer au vu de l'obligation, fixée par la loi, de définir les projets de regroupements d'ici à juillet 2014 et donc la place de chacun des organismes de recherche dans ces regroupements. Six contrats de site ont été signés en 2013, avec des projets de recherche extrêmement ambitieux dans certaines régions, notamment à Nice ou à Bordeaux. Il faut poursuivre cette politique. AVIESAN a créé une structure particulière qui s'appelle AVIESAN en régions, et qui a pour objectif d'accompagner chacune des politiques locales.

En ce qui concerne le financement de la recherche, j'ai parlé de l'ANR. Évidemment, les décisions qui seront prises en matière budgétaire seront examinées de manière extrêmement attentive. Nous espérons que le financement de la recherche biomédicale sera sécurisé, conformément à l'annonce du Président de la République. La ministre de la recherche et le Président de la République, à l'occasion des 25 ans de l'ANRS, s'étaient également prononcés pour un maintien à l'euro près du budget de l'ANRS. L'ANRS est en effet une agence autonome au sein de l'INSERM. Son budget est dédié et orienté sur la recherche sur le SIDA. La sanctuarisation de son budget ne nous dispense pas de réfléchir à des financements innovants. Des partenariats avec les fondations doivent être envisagés et discutés. Cela facilite la vie des chercheurs, évite les doublons, les appels redondants, des procédures administratives multiples. On pourrait imaginer un partenariat sur le long terme beaucoup plus institutionnalisé. Dans les dotations propres de l'INSERM, 47 millions d'euros viennent de l'ANR et 41 millions d'euros viennent de l'univers caritatif, des associations. Il est donc très important d'engager une discussion de fond sur ce partenariat.

En ce qui concerne la diffusion du savoir, il y a le magazine Sciences et Santé qui est diffusé aujourd'hui à 25 000 exemplaires et l'on sait qu'il touche à peu près dix fois plus de personnes. Il y a le partenariat avec Médecine Sciences, journal qui met en avant toutes les découvertes et les avancées que l'INSERM peut faire. Il y a les sites web, le partenariat avec la presse, les manifestations ponctuelles dont vous avez parlé. Tout cela doit évidemment être poursuivi et je crois qu'il faut réfléchir maintenant au niveau de l'alliance, afin que la diffusion de la science qui en émane et qui dépasse largement ce qui est fait au niveau de l'INSERM, puisse être mise à la disposition du public ou en tout cas mieux expliquée à ce dernier. L'enjeu est de lutter contre la méfiance que nous avons évoquée à l'égard des expertises. Le public doit pouvoir mieux s'approprier les connaissances scientifiques pour mieux participer aux débats. Ce mouvement a déjà été engagé par l'INSERM, il convient de l'amplifier.

L'étude globale « Drug Survey » évoquée par M. Rudy Salles doit être examinée de manière extrêmement attentive. L'ITMO de santé publique travaille activement sur ces sujets et l'INSERM joue ici son rôle d'aide aux décisions publiques. Il existe aujourd'hui un service commun à l'INSERM, qui est saisi par les administrations et établit un certain nombre de rapports et d'aides à l'expertise. L'addiction aux médicaments, l'alcoolisme chez les jeunes, le suicide des jeunes, les nouveaux handicaps rares, l'impact des pesticides sur la santé, sont des sujets sur lesquels les chercheurs de l'INSERM sont complètement impliqués. Sur les salles de consommation, je crois que ce n'est pas mon opinion qui est demandée. Une étude de l'INSERM a fourni des études scientifiques d'aide à la décision, laquelle relève du ministère de la santé.

Concernant l'état de la recherche sur le SIDA, la France, grâce à l'ANRS et donc à la mobilisation au sein d'un organisme thématique, fondé sur la coordination des soins et de la recherche, en partenariat avec les associations de patients, a montré l'exemple, depuis 1991, de la manière dont on pouvait répondre, dans l'urgence, à une épidémie. Elle a donné naissance à une véritable démocratie sanitaire. En effet, tous les essais thérapeutiques qui sont faits à l'ANRS sont décidés au sein d'un conseil scientifique dans lequel les associations de patients sont représentées et votent sur l'essai qui va être réalisé. Aujourd'hui, le budget de l'ANRS est d'environ 40 millions d'euros par an. Il est sécurisé au sein du budget de l'INSERM. À titre de comparaison, le budget que l'institut national de la santé aux États-Unis consacre au SIDA est de 4,7 milliards d'euros. Et pourtant, en termes de publications scientifiques, la France est au deuxième rang juste après les États-Unis. Le rapport de 1 à 100 pour les financements n'est donc que de 1 à 10 pour les publications. Cela signifie que la coordination de la recherche dans un institut thématique ciblé sur la réponse à une épidémie est un modèle qui fonctionne.

Le deuxième exemple de ce type est l'INCa, institut national du cancer, qui fait partie des instituts thématiques de l'alliance AVIESAN au sein de l'INSERM. Il faut réfléchir désormais à l'évolution de ces instituts thématiques multi-organismes, comme l'a annoncé le Président de la République. Ils doivent être le lieu de la coordination de la recherche en amont et en aval jusqu'aux soins, avec un objectif ciblé sur une thématique qui peut être les neurosciences, les maladies neurodégénératives, les maladies métaboliques ou cardiovasculaires. Il faut s'appuyer sur ce qui a marché pour avancer dans ces domaines.

Enfin, les liens avec l'institut Pasteur et les autres organismes sont absolument évidents. À l'ANRS, le lien avec l'institut Pasteur, qui est orienté sur les maladies infectieuses, est complet. Dans mon Labex, les équipes de l'institut Pasteur sont largement représentées, notamment celle de Mme Françoise Barré-Sinoussi.

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