Intervention de Erwann Binet

Réunion du 16 avril 2014 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur :

La mise en place des services publics locaux oblige les élus à trouver des modes de gestion qui permettent d'offrir le meilleur service aux usagers dans un contexte de resserrement budgétaire.

Dans ce cadre, les collectivités territoriales souhaitent aujourd'hui pouvoir bénéficier d'outils rénovés, voire innovants, alors que la gestion en régie a montré ses limites et que les expériences passées de partenariat public-privé ont suscité de nombreuses critiques quant à leur coût pour la collectivité et aux limites induites par leur mise en oeuvre.

Pour les projets complexes ou innovants – notamment ceux qui touchent aux nouvelles technologies, à l'environnement ou à l'énergie – et qui impliquent une forte implication capitalistique, il existe une demande d'outils permettant de bénéficier du savoir-faire du secteur privé – la profusion et la complexité des normes applicables nécessitent une véritable expertise –, dans le cadre, toutefois, d'une maîtrise forte et d'un réel contrôle démocratique des conditions de fonctionnement de ces services publics locaux.

Depuis 2008, les institutions européennes ont ouvert la possibilité aux personnes publiques de mettre en oeuvre des procédures uniques d'appel public à la concurrence, permettant de sélectionner un partenaire privé avec lequel elles pourraient s'associer au sein d'une société d'économie mixte chargée d'un service public, dans le respect des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement et de transparence des procédures imposées par les traités et les directives européennes.

Quatre années après que la faculté de mettre en oeuvre un tel régime eut été clairement affirmée, les parlementaires ont pris acte que son application en France supposait une initiative législative : pas moins de six propositions de loi rédigées dans les mêmes termes ont été déposées par des parlementaires de six groupes différents à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Saisie de la proposition de loi n° 81 déposée le 16 octobre 2013 par MM. Jean-Léonce Dupont, Hervé Marseille et les membres du groupe UDI-UC, la commission des Lois du Sénat a ainsi joint à son examen les propositions de loi déposées le même jour en termes identiques à l'initiative de M. Daniel Raoul et M. Antoine Lefèvre. À l'Assemblée nationale, des préoccupations équivalentes avaient abouti au dépôt de propositions de loi identiques à l'initiative de Philippe Vigier et Jean-Marie Sermier ainsi que de votre rapporteur, soulignant par là même le caractère transpartisan de l'attente des élus locaux. Une démarche comparable avait permis la création dans notre droit du statut des sociétés publiques locales d'aménagement, devenues SPL (sociétés publiques locales).

Le présent texte, en effet adopté à l'unanimité par les sénateurs, propose ainsi d'introduire, parmi les différents statuts juridiques à la disposition des collectivités territoriales pour assurer leur compétence, une nouvelle structure mixte, la « société d'économie mixte contrat » (SEM contrat), renommée par le Sénat de manière plus adéquate « société d'économie mixte à opération unique » (SEM à opération unique) à l'initiative du rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Jacques Mézard.

Cette nouvelle forme de partenariat répond aux aspirations aussi bien des élus locaux que des entreprises. La proposition de loi introduit dans notre droit un instrument permettant la constitution d'une entité mixte, composée d'une personne publique et d'au moins une personne privée, chargée d'exécuter, par contrat, une opération unique. La principale caractéristique de cette entité est l'organisation d'une seule procédure de mise en concurrence, non pas pour l'attribution du contrat à la société, mais pour le choix de la personne privée qui participera à la future entité. Dans ce cadre, la personne privée doit faire la preuve non seulement de sa capacité à apporter un capital suffisant au sein de l'entité mixte, mais également de son expertise technique, opérationnelle et budgétaire permettant de répondre aux attentes et aux besoins de la collectivité publique pour la réalisation d'une opération.

Si un tel outil répond a un besoin évident et reconnu des collectivités territoriales et des entreprises, il se révèle indispensable d'en assurer la sécurité juridique afin de permettre aux différents acteurs de s'en saisir pleinement.

Je rappellerai brièvement que la possibilité de mettre en place un partenariat public-privé institutionnalisé (PPPI) par une procédure unique de mise en concurrence a été reconnue par les institutions européennes dans le cadre des règles du droit communautaire.

Plusieurs exemples de partenariats public-privé institutionnalisés se sont développés au cours des dernières années en Europe, principalement en Espagne – les mixtas –, en Italie, en Allemagne ou encore en Suède.

Bien que les législations en vigueur ou les pratiques nationales soient différentes, des caractéristiques communes peuvent néanmoins être identifiées

Ces partenariats prennent généralement la forme d'une société de droit commercial, dont le capital est partagé entre une personne publique et un ou plusieurs opérateurs privés, qui ont en charge la participation active à l'exécution des tâches attribuées à l'entité à capital mixte.

Il est recouru à cette formule pour des projets d'une certaine envergure nécessitant une capitalisation et des investissements substantiels, principalement dans les métiers de l'environnement – l'eau, l'énergie, les déchets – et, dans une moindre mesure, dans les transports publics.

La société est créée pour des contrats de longue durée, celle-ci étant dissoute à la fin du contrat.

Les modalités de gouvernance reflètent le souci des partenaires publics et privés de parvenir entre eux à un équilibre.

Par ailleurs, le choix de l'actionnaire privé s'opère à la suite d'un appel d'offre unique comprenant un volet activité – le contrat – et un volet gouvernance – le statut de la SEM à opération unique et éventuellement le pacte d'actionnaires.

Cette formule a été reconnue par le droit européen, même si les pouvoirs publics français ont hésité à la mettre en oeuvre. Une communication interprétative de la Commission européenne a reconnu, le 5 février 2008, le bon sens et la possibilité juridique de mettre en oeuvre une procédure unique de mise en concurrence.

La désignation du partenaire privé au sein de l'entité mixte doit respecter les principes de transparence, de concurrence et de non-discrimination, tandis que le contrat qui constitue l'objet même du partenariat pourrait être attribué à celui-ci sans que soit organisée une nouvelle mise en concurrence. En conséquence, la Commission européenne estime que la mise en place d'un tel partenariat est en conformité avec les principes du droit européen « tout en évitant les problèmes liés à une double procédure ».

Les conclusions de la communication interprétative de la Commission européenne ont été confirmées par la Cour de justice des communautés européennes dans sa décision Acoset du 15 octobre 2009, laquelle a validé un tel dispositif unique mis en oeuvre en Italie. La seule limite posée à cette souplesse par la Cour est que la société à capital mixte ne doit avoir pour unique objet, pendant toute la durée du contrat, que la réalisation de l'opération qu'elle s'est vu attribuer. Toute modification substantielle du contrat entraînerait une obligation de mise en concurrence.

La Commission européenne et la Cour de justice ont ainsi montré qu'une concurrence efficace et pragmatique et une étroite coopération organique entre une personne publique et le secteur privé n'étaient pas exclusives et s'adaptaient parfaitement aux principes de droit communautaire, à condition que cette mise en oeuvre s'effectue dans le respect des principes communautaires régissant la commande publique.

À la suite d'une saisine de la ministre de l'Économie et du ministre de l'Intérieur de l'époque sur la possibilité d'introduire dans le droit français une formule de PPPI, le Conseil d'État a répondu en 2009 que le droit en vigueur dans notre pays ne permettait pas de mettre en oeuvre une telle procédure sans modification législative. Aussi l'objet de la présente proposition de loi est-il de prévoir la faculté, pour les collectivités territoriales ou leurs groupements, de recourir à une nouvelle forme d'entité mixte, appelée « SEM à opération unique ».

Cette nouvelle catégorie d'entreprise publique locale compléterait la panoplie dont disposent déjà aujourd'hui les collectivités territoriales, notamment les SEM locales, dans lesquelles la personne publique détient la majorité du capital, et les sociétés publiques locales, dont le capital est uniquement constitué par des personnes publiques.

La proposition de loi présente en effet de nombreux avantages pour les personnes publiques : un risque financier limité à son apport en capital, le maintien de son influence grâce à la présidence des organes délibérants et à une minorité de blocage et la possibilité de bénéficier de l'expertise et de la technicité du secteur privé.

Une SEM à opération unique serait une nouvelle catégorie d'entreprise publique locale – et non pas un nouveau type de contrat – entre une personne publique, qui pourra être une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, et au moins une personne privée, sous la forme d'une société anonyme, comme c'est le cas des SEM locales traditionnelles. Elle serait constituée par au moins deux actionnaires.

La personne publique détiendrait entre 34 % et 85 % du capital ; a contrario, la personne privée bénéficierait entre 15 % et 66 % des actions de la société. Ainsi, la personne publique pourrait ne pas être l'actionnaire majoritaire de l'entreprise. Toutefois, pour conforter son influence, la personne publique détiendrait une minorité de blocage au sein du conseil d'administration ou du conseil de surveillance et la présidence des organes dirigeants de la société serait assurée par un de ses représentants.

La société serait créée pour un objet unique portant sur la réalisation d'une opération de service public, de construction ou d'aménagement. Elle serait dissoute au terme de l'exécution de ce contrat.

Selon le texte adopté par le Sénat, la personne privée, qualifiée d'actionnaire opérateur, serait choisie au terme d'une procédure ad hoc simplifiée de mise en concurrence dénommée « appel public à manifestation d'intérêt », qui remplacerait les autres procédures d'appel public à la concurrence.

Enfin, la proposition de loi prévoit la cession de parts dans le cadre de certaines situations institutionnelles – fusion, rattachement, transfert de compétences des collectivités actionnaires.

La commission des Lois du Sénat a également élargi le périmètre du recours précontractuel au « contrat instituant une SEM à opération unique », afin de permettre, le cas échéant, aux candidats évincés de saisir le juge du contrat en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumis un tel contrat.

Afin d'atteindre les objectifs des auteurs des propositions de loi initiales tout en sécurisant le dispositif juridique et en évitant de répéter des dispositions d'ores et déjà prévues par le droit en vigueur, la commission des lois du Sénat a adopté plusieurs amendements déposés par son rapporteur, M. Jacques Mézard, aboutissant à insérer toutes les dispositions utiles au sein de l'article 1er et à supprimer le surplus des dispositions prévues par les articles 2 à 13 de la proposition de loi initiale.

Cependant, les auditions menées par votre rapporteur ont montré que la solution retenue par le Sénat risquait de rencontrer deux écueils.

Tout d'abord, le caractère succinct de la procédure décrite, censée se substituer aux procédures de mise en concurrence pour l'attribution des délégations de service public, concessions de travaux publics, concessions d'aménagement ou marchés publics, ne respecterait pas le caractère formel des exigences du droit européen de la commande publique.

Ensuite, la rédaction retenue par le Sénat laisse subsister une ambiguïté sur la nécessité ou non de réaliser les procédures de mise en concurrence après la sélection de l'actionnaire opérateur, au moment de l'attribution du contrat à la SEM à opération unique nouvellement créée.

Ces incertitudes pourraient conduire les juridictions à interpréter les dispositions obscures de la loi et à remettre en cause les procédures suivies de bonne foi par les collectivités territoriales, conduisant à des annulations de procédures de sélection et aux complications qui pourraient en résulter pour les élus et les collectivités.

Aussi paraît-il plus sage de prévoir que le partenaire opérateur sera sélectionné dans le strict respect des procédures de mise en concurrence existantes. À l'issue de cette procédure, la SEM à opération unique serait constituée entre la personne publique et le candidat retenu. Le contrat serait alors conclu entre la personne publique et la SEM dans le respect des procédures de passation de la procédure retenue – délégation de service public, concession de travaux publics, marché public, concession d'aménagement –, la SEM à opération unique étant substituée dans le cadre de ces procédures au candidat sélectionné, sans devoir procéder à une nouvelle mise en concurrence.

C'est le sens de l'amendement CL16 le plus important que je vous proposerai d'adopter : il vise à mettre en oeuvre la SEM à opération unique telle que le Sénat l'a définie, dans le cadre d'un dispositif juridique sécurisé ne risquant pas de voir l'ensemble de l'opération remise en cause pour non-respect des principes du droit de la commande publique, après plusieurs années de fonctionnement.

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