Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 16 avril 2014 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

Nous avons déjà eu l'occasion au sein de cette commission d'évoquer les questions de coopération judiciaire et policière et judiciaire au niveau européen.

La Commission européenne a déposé le 17 juillet 2013, en même temps que le projet de règlement créant le parquet européen, une proposition de règlement relative à Eurojust.

Eurojust a été créé en 2002 avec pour mission de promouvoir et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave. Depuis, Eurojust s'est imposée comme un organe incontournable pour la coopération judiciaire en matière pénale dans l'Union européenne : alors qu'en 2002, Eurojust avait traité 202 affaires, elle a traité 1576 affaires en 2013, soit une multiplication par plus de sept des dossiers traités !

Actuellement, Eurojust est régie par deux décisions du Conseil, celle de 2002 et celle de 2009 qui est venue la compléter. Or, l'article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose qu'Eurojust doit être régie par des règlements adoptés conformément à la procédure législative ordinaire. C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de règlement examinée.

Comme je l'avais déjà souligné dans mon rapport sur le parquet européen, cette proposition est peu ambitieuse. En effet, toutes les possibilités juridiques offertes par l'article 85 du TFUE n'ont pas été exploitées, notamment la faculté de déclencher des enquêtes pénales et de trancher les conflits de compétence.

Ce règlement contient cependant des dispositions importantes, en particulier sur les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust. Il est nécessaire de prendre une position sur ces évolutions.

La proposition de règlement prévoit de transformer Eurojust en une agence de l'Union européenne. Elle la dote d'une nouvelle structure de gouvernance, en créant une formation du collège dédiée aux fonctions de gestion et un conseil exécutif.

Cette proposition s'appuie sur la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil de l'Union européenne et de la Commission européenne du 12 juin 2012 sur les agences décentralisées, qui prévoit notamment la mise en place d'une structure de gouvernance à deux niveaux en faisant coexister un conseil d'administration, chargé des orientations générales des activités de l'agence, et un conseil exécutif de taille réduite, chargé de la gestion administrative et budgétaire.

La création de ces deux nouvelles structures d'Eurojust vise à alléger les tâches administratives du collège, ce qui est évidemment une bonne chose.

Cependant, le rôle du collège dans la définition des orientations stratégiques d'Eurojust doit impérativement être préservé. Or, nous savons que les questions de gestion – et notamment de budget ! - peuvent avoir un impact majeur sur les fonctions opérationnelles d'Eurojust.

Surtout, cette nouvelle gouvernance renforce sensiblement les pouvoirs de la Commission européenne. La création d'un conseil exécutif et d'une formation du collège spécifique à la gestion permettrait en effet à la Commission européenne d'être représentée au sein des instances décisionnelles d'Eurojust. Celle-ci aurait également un pouvoir de convocation du collège supérieur à celui des membres nationaux d'Eurojust puisque la proposition prévoit que le collège se réunisse à l'initiative de son président, à la demande de la Commission européenne ou à la demande d'au moins un tiers de ses membres. Par ailleurs, si le directeur administratif reste nommé in fine par le collège, ce serait désormais la Commission européenne qui proposerait une liste de candidats à ce poste.

Je tiens à rappeler qu'Eurojust n'est pas une agence de l'Union européenne comme une autre et que les spécificités de la coopération en matière pénale doivent impérativement être respectées.

Dans ce cadre, l'augmentation des pouvoirs de la Commission européenne semble excessive au vu de la faible évolution des attributions d'Eurojust. Elle ne doit en aucun cas remettre en cause l'indépendance d'Eurojust à l'égard des institutions européennes. Je pense que l' « agenciarisation » ne doit pas être un objectif en soi. Ici, il me semble que la transformation institutionnelle prime sur la plus-value matérielle apportée à Eurojust en termes de compétences et d'activités.

La proposition de règlement apporte également des modifications importantes aux prérogatives des membres nationaux d'Eurojust.

La présente proposition de règlement prévoit à son article 8 que les membres nationaux puissent directement exécuter des demandes d'entraide judiciaire ou de reconnaissance mutuelle sans que ce pouvoir soit conditionné à l'accord de l'autorité nationale compétente.

Elle prévoit également qu'avec l'accord de l'autorité nationale compétente, les membres nationaux puissent ordonner des mesures d'enquête, mais également autoriser et coordonner des livraisons surveillées (« contrôlées ») dans leur État membre.

Je ne peux que me féliciter de ce renforcement des pouvoirs opérationnels d'Eurojust, que je soutiens depuis longtemps. Il devra évidemment se faire dans un esprit de coopération et de confiance totale avec les autorités nationales.

L'article 8, paragraphe 3 de la proposition de règlement prévoit qu'« en cas d'urgence, lorsqu'un accord ne peut être trouvé en temps utile », les membres nationaux puissent ordonner des mesures d'enquêtes et autoriser des livraisons surveillées dans l'État membre sans accord de l'autorité nationale compétente. Il convient de préciser cette disposition qui reste pour le moment trop floue. Si de telles mesures doivent pouvoir être autorisées dans le cas où les membres nationaux ne peuvent pas contacter l'autorité nationale compétente en temps voulu, cette disposition ne doit pas permettre aux membres nationaux d'aller à l'encontre de la volonté des autorités nationales compétentes.

En tout état de cause, il me semble qu'un contrôle juridictionnel effectif des actes du membre national dans le cadre de ces nouveaux pouvoirs doit être garanti.

L'article 86 du TFUE dispose que « pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust ».

La question de l'articulation entre Eurojust et un futur parquet européen est donc logiquement prise en compte dans la proposition de règlement. Evidemment, il est complexe de déterminer les modalités d'articulation d'Eurojust avec un parquet européen dont la mise en place reste lointaine.

L'article 3 de la proposition de règlement relatif à la compétence d'Eurojust prévoit que celle-ci ne comprend pas les infractions pour lesquelles le Parquet européen est compétent. Cependant, puisque l'ensemble des États membres ne participeront pas au parquet européen, une telle disposition ne me paraît pas pertinente.

La proposition détaille également les modalités du soutien technique d'Eurojust au Parquet européen. L'administration d'Eurojust mettrait en effet à disposition des services (pour le recrutement du personnel ou l'informatique par exemple) à l'administration du Parquet européen.

Selon la Commission européenne, ce soutien d'Eurojust au Parquet européen n'aurait pas d'incidence financière : cela semble peu probable !

Sur la protection des données personnelles, la décision Eurojust avait mis en place un organe de contrôle commun indépendant contrôlant de manière collégiale la protection des données par Eurojust, la proposition de règlement prévoit que le Contrôleur européen de la protection des données soit en charge de ce contrôle, assisté par les autorités nationales de protection des données.

La France a pour le moment souligné sa préférence pour le maintien d'une structure de contrôle ad hoc, justifiée par la spécificité des données personnelles en matière pénale. Cette position a été largement soutenue par les autres États membres.

À mon sens, la mise en place d'une autorité de contrôle commune à Europol, à Eurojust et au futur parquet européen pourrait également être envisagée. Cette solution permettrait de mieux respecter la spécificité des données personnelles en matière pénale tout en réalisant des économies d'échelles.

La proposition de règlement régit également les transferts de données personnelles aux pays tiers.

Des données personnelles ne pourraient être transmises par Eurojust, dans le cadre de ses missions, à des États tiers, organisations internationales ou organes de l' Union qu'avec le consentement de l'État membre ayant fourni ces données à Eurojust. Toutefois, l'autorisation de l'État membre pourrait être « réputée acquise » si ce dernier n'a pas expressément limité les possibilités de transferts ultérieurs.

Il convient de souligner que ces dispositions ne sont pas protectrices et que l'autorisation d'un État membre ne doit pas être réputée acquise. Une autorisation doit être expressément donnée. C'est ce que je vous propose dans cette résolution.

Surtout, nous devons impérativement prendre position sur la question de l'évaluation parlementaire d'Eurojust.

C'est principalement dans cette perspective que s'inscrit la résolution que je souhaite vous proposer.

L'article 12 c) du traité sur l'Union européenne prévoit que les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union en étant associés au contrôle politique d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité.

L'article 85 du TFUE prévoit que les règlements régissant Eurojust fixent « les modalités de l'association du Parlement européen et des parlements nationaux à l'évaluation des activités d'Eurojust ».

Pour se conformer aux dispositions du traité, la proposition de règlement prévoit en effet des dispositions relatives à la participation du Parlement européen et des parlements nationaux.

Son article 55 dispose qu'Eurojust transmet son rapport annuel au Parlement européen, qui peut présenter des observations et des conclusions. Le président du collège doit se présenter devant le Parlement européen à la demande de celui-ci pour examiner des questions relatives à Eurojust et en particulier pour présenter ses rapports annuels, dans le respect des obligations de réserve et de confidentialité. Les discussions ne peuvent cependant pas se rapporter directement ou indirectement à des actions concrètes en rapport avec des dossiers opérationnels spécifiques.

Eurojust doit également transmettre au Parlement européen les résultats d'études et de projets stratégiques élaborés ou commandés par Eurojust, les arrangements pratiques conclus avec des tiers et le rapport annuel du Contrôleur européen de la protection des données.

Elle doit transmettre les mêmes documents ainsi que son rapport annuel aux parlements nationaux.

Ces dispositions apparaissent insuffisantes.

Dans la résolution relative à Europol que nous avions porté, nous nous étions prononcés en faveur de la création d'une commission mixte composée de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, pouvant notamment avoir accès à des informations classifiées et à des informations sensibles non classifiées traitées directement par Europol ou par son intermédiaire.

Cette proposition a été reprise par le Parlement européen.

Toutefois, si le traité prévoit le contrôle d'Europol par les parlements européens et nationaux, il prévoit seulement l'évaluation d'Eurojust par ceux-ci. Cette distinction est inhérente à la nature judiciaire d'Eurojust : la séparation des pouvoirs et le secret de l'instruction doivent bien sûr être respectés. Contrairement à Europol, un accès aux documents classifiés n'est donc pas envisageable.

Il est toutefois nécessaire de définir des modalités d'évaluation plus ambitieuses que celles proposées actuellement par la proposition de règlement. Une commission mixte parlementaire d'évaluation doit donc être mise en place sur le modèle de ce qui est proposé pour Europol. Cette commission mixte serait coprésidée par le président de la commission LIBE, ainsi que par le représentant du parlement national de l'État membre assurant la présidence tournante du Conseil. Elle serait convoquée par ses deux coprésidents.

Elle aurait le pouvoir d'entendre, à sa demande, le président et les vice-présidents d'Eurojust.

Eurojust devrait transmettre à cette commission mixte tous les documents prévus à l' actuel article 55 de la proposition de règlement, ainsi que les documents de programmation annuels et pluriannuels prévus à l'article 15 de la proposition de règlement, ainsi que les documents budgétaires relatifs à Eurojust.

Par ailleurs, les parlements nationaux doivent pouvoir continuer à évaluer Eurojust de manière unilatérale. L' article 55 devrait donc être complété par une disposition indiquant que les nouveaux pouvoirs dévolus aux parlements doivent s'entendre « sans préjudice des modalités d'évaluation parlementaire telles qu'elles sont prévues dans les États membres ».

Tous ces éléments sont repris dans la proposition de résolution, qui doit permettre d'envoyer un signal fort de la part du Parlement français. Nous ne manquerons pas de revenir sur ces sujets.

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