L'économie sociale et solidaire désigne un mode d'entreprendre conciliant performance économique, innovation et utilité sociale. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permet une reconnaissance officielle des acteurs de l'économie sociale et solidaire et leur donne les moyens de leur développement.
Dans le contexte de la crise financière et économique survenue en 2008, la nécessité de transformer durablement notre système de production est devenue plus urgente, pour dépasser le modèle classique fondé sur la maximisation des profits. Les désordres résultant de la financiarisation, de la spéculation et de l'absence de prise en compte des externalités environnementales ou sociales mettent en évidence l'intérêt de produire, entreprendre et consommer autrement afin de satisfaire des objectifs de long terme : cohésion sociale, ancrage territorial des emplois, développement durable.
Les principes de l'économie sociale et solidaire de lucrativité limitée et de mise en réserve d'une partie des bénéfices font recentrer les ressources de l'entreprise sur son projet et non sur la rémunération des actionnaires. La participation de tous à sa « gouvernance démocratique » l'aide à mieux définir ses objectifs et à éviter la prise de pouvoir par un petit nombre d'intérêts.
Ce modèle économique se caractérise par plus de tempérance, moins d'impatience, moins de rentabilité à court terme et de perméabilité aux convulsions des marchés financiers. Après la loi bancaire, le texte sur l'économie sociale et solidaire tire les leçons de la crise et propose un autre modèle de développement économique et social.
Les différentes familles traditionnelles de l'économie sociale et solidaire – coopératives, associations, mutuelles, fondations – ont vu leurs fondements confortés par différentes lois au cours du siècle passé, mais il manquait un texte qui affirme leurs principes communs, tout en tendant la main aux nouvelles et nombreuses initiatives qui se développent.
Le Gouvernement a donc souhaité, par le projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, remédier à une absence de cadre législatif et prendre en compte l'arrivée de nouveaux acteurs qui déclarent leur appartenance à ce secteur sans toutefois relever des quatre catégories historiques. Il propose ainsi de reconnaître l'appartenance au secteur de l'économie sociale et solidaire d'acteurs, les « entrepreneurs sociaux », qui, tout en recourant aux statuts classiques de l'entreprise relevant du code de commerce, développent des activités dont la finalité est non seulement la recherche du profit, mais aussi l'utilité sociale.
L'économie sociale et solidaire constitue un secteur-clef de l'économie française. En Europe, elle représente près de 7 % de la population salariée, soit 11 millions d'emplois ; en France, elle représente 10 % du PIB, près de 200 000 structures employant 2,4 millions de salariés, soit 1 emploi privé sur 8 : des emplois bien souvent non délocalisables et ancrés dans la vie des territoires.
Ce secteur est très dynamique en termes de création d'emplois : ces dix dernières années, les entreprises de l'économie sociale et solidaire ont créé 440 000 nouveaux emplois, soit 23 % de hausse contre 7 % dans le secteur privé.
Alors que l'engagement associatif a été décrété « grande cause nationale 2014 », il est bon de rappeler que 80 % des emplois de l'économie sociale et solidaire proviennent des associations. J'ajoute que 50 % des emplois d'avenir créés depuis fin 2012 dépendent du secteur de l'économie sociale et solidaire.
C'est aussi un gisement d'emplois pour l'avenir : l'étude d'impact du projet de loi évoque 100 000 emplois supplémentaires créés et, d'ici à 2020, près de 600 000 emplois seront à renouveler en raison des départs à la retraite dans des secteurs porteurs comme les services à la personne, la petite enfance ou l'économie circulaire.
Avec ce texte de loi, le financement du secteur de l'économie sociale et solidaire est également mieux assuré, grâce en particulier à la nouvelle définition de l'agrément « entreprise solidaire d'utilité sociale » en lieu et place de l'agrément « entreprise solidaire ». Les acteurs de l'économie sociale et solidaire pourront s'appuyer sur trois grands leviers d'investissement : 500 millions d'euros dédiés dans le cadre de BPI France, 100 millions d'euros dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir 2 sous forme d'appels à projet et 40 millions d'euros du Fonds d'innovation sociale.
Il faut ajouter à ces financements spécifiques une mesure fiscale de soutien à la vie associative entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2014 et portant l'abattement de la taxe sur les salaires des associations employeuses de 6 000 à 20 000 euros pour un montant de plus de 300 millions d'euros : au total, 70 % des associations ne paieront plus de taxe sur les salaires.
Le texte du projet de loi initial comprend cinquante-trois articles répartis en huit titres dont je souhaite évoquer à présent devant vous les principales dispositions.
L'article 1er définit, pour la première fois, le périmètre de l'économie sociale et solidaire, en retenant une approche inclusive. Au-delà des coopératives, des associations, des mutuelles et des fondations, le champ de l'économie sociale et solidaire comprendra donc officiellement des sociétés qui partagent et inscrivent dans leurs statuts les grands principes de lucrativité limitée, de participation et d'impartageabilité des réserves.
Les articles 3 à 6 consacrent l'existence des grandes institutions représentatives de l'économie sociale et solidaire : le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire à l'échelon national et les chambres régionales comme représentation territoriale.
L'article 5 favorise le lien avec le reste de l'économie à travers les pôles territoriaux de coopération économique, sortes de clusters innovants ou pôles de compétitivité du secteur, et la prise en compte de l'économie sociale et solidaire dans les contrats de développement territorial.
Les articles 9A et 9 prévoient de réserver des marchés publics à des structures employant des personnes handicapées et défavorisées et de mettre en place un schéma des achats socialement responsables pour les acheteurs publics.
L'article 10 définit pour la première fois la notion de subvention, aujourd'hui essentiellement jurisprudentielle, ce qui est source d'insécurité juridique et conduit parfois des administrations locales à recourir à la procédure lourde du marché public ou des appels d'offres.
Le titre II crée un nouveau droit pour les salariés en cas de cession d'une entreprise. Dans les PME de moins de 250 salariés, le chef d'entreprise aura l'obligation d'informer préalablement ses salariés de son intention de céder l'entreprise. Les salariés auront ainsi l'opportunité, s'ils le souhaitent, de proposer une offre de reprise, ce qui constituera une réponse possible, dans nombre de cas, au phénomène des entreprises saines qui, chaque année, disparaissent faute de repreneurs, détruisant ainsi des emplois.
Le texte comprend ensuite des dispositions à destination de chacune des familles de l'économie sociale et solidaire. Les coopératives constituent un volet majeur, sachant que les 8 000 coopératives de notre pays emploient 300 000 salariés et représentent plus de 70 % du chiffre d'affaires global du secteur. Reconnues au niveau européen et international, elles obéissent à des « principes coopératifs » qui les distinguent des sociétés de droit commun : leurs activités sont réalisées au profit mutuel de leurs membres, lesquels doivent être impliqués dans leur gouvernance de façon égalitaire, et leurs bénéfices doivent être prioritairement mis en réserve. Le projet de loi modernise les statuts et assouplit les règles en modifiant notamment la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération pour harmoniser autant que possible les différents régimes coopératifs.
Le texte vise par ailleurs à développer les sociétés coopératives ouvrières de production, les SCOP, en vue d'y créer 40 000 emplois en cinq ans, avec notamment la création d'un statut de SCOP d'amorçage : les salariés pourront désormais créer une SCOP en étant minoritaires au capital.
Les sociétés coopératives d'intérêt collectif sont confortées aux articles 21 et 22 : les collectivités pourront détenir 50 % du capital, contre 20 % aujourd'hui.
Dans le titre IV, consacré aux sociétés d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance, les articles 34 et 35 lèvent certains verrous juridiques qui rendent aujourd'hui plus difficile la conclusion de contrats de coassurance entre des mutuelles, des assurances et des institutions de prévoyance, ainsi que de contrats collectifs d'une manière générale. L'article 36 institue des certificats mutualistes et des titres paritaires, qui permettront à certaines mutuelles et institutions de prévoyance de mieux satisfaire à leurs contraintes de fonds propres.
Les titres V – articles 40 A à 44 – et VI – articles 45 à 48 –, consacrés respectivement aux associations et aux fondations, réforment et étendent aux fondations le titre associatif, qui est modernisé, car il a rencontré peu de succès depuis sa création. Les conditions juridiques de fusion et de scission d'associations sont également précisées, ainsi que la capacité juridique de certaines associations et fondations à recevoir des libéralités ou à gérer des biens.
Le projet de loi est donc très riche, et la commission des Finances s'en est justement saisie pour avis. Si la saisine porte sur différents aspects du texte – la définition de la subvention, le dispositif local d'accompagnement, les dispositions afférentes aux sociétés d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance, aux associations, fondations et fonds de dotation –, j'ai souhaité insister sur un point qui me paraît essentiel, à savoir le développement de la vie associative et la reconnaissance de l'engagement associatif. C'est pourquoi je vous proposerai des amendements sur la définition de la subvention, le dispositif local d'accompagnement et diverses mesures de nature à améliorer la vie associative.