J'ai éprouvé un profond soulagement en entendant M. Bouchaud déclarer que l'élite n'allait pas uniquement dans les classes préparatoires !
Les classes préparatoires aux grandes écoles sont dans une situation unique au monde : entre le secondaire et le supérieur, elles ne sont pas rattachées à des universités mais délivrent des formations supérieures non diplômantes. Elles dépendent donc du budget de l'enseignement scolaire.
Ces classes prépas sont clairement une filière d'excellence. Tout d'abord, elles opèrent une sélection sur dossier à l'entrée. Ensuite, la dépense intérieure d'éducation, c'est-à-dire le coût par élève, est nettement supérieure à celle des autres filières. Entre un étudiant de première année à l'université et un élève de classe prépa, le coût est à peu près doublé. Cette dépense permet aux classes prépas d'offrir un taux d'encadrement doublé lui aussi. La quantité n'est pas toujours gage de qualité, mais, avec deux fois moins d'élèves par enseignant, on peut espérer que le temps consacré à chaque élève produit des résultats.
Cette dépense permet aussi de mieux rémunérer les enseignants. Ils disposent d'un salaire net mensuel moyen de 4 800 euros, dont 900 euros proviennent d'heures supplémentaires, sachant que leur salaire peut grimper, en fin de carrière jusqu'à 9 800 euros mensuels, dont 4 000 euros d'heures supplémentaires. Leurs collègues certifiés enseignant dans le secondaire finissent, quant à eux, à 3 500 euros en moyenne et les maîtres de conférences commencent avec environ 2 800 euros net et terminent aux alentours de 4 200 euros.
En résumé, l'existence des CPGE amène à une situation où ce sont les meilleurs élèves qui bénéficient des meilleures conditions de travail et de moyens financiers supérieurs. Ce constat est partagé par de très nombreux observateurs, notamment le rapport d'information du Sénat sur la diversité sociale et l'égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, présenté par le socialiste Yannick Bodin.
L'égalité des chances est un objectif récurrent dans les discours des ministres de l'éducation. Le système scolaire, l'école dans son ensemble, devrait offrir à tous les élèves une égalité d'opportunités au départ. Mais, dans les faits, on place le lièvre et la tortue sur une même ligne. Pire, avec les classes prépas, on offre aux lièvres une piste lisse, droite, avec des entraîneurs de qualité et motivés. Quant aux tortues, elles auront droit à la fac, aux IUT, bref, à un champ bien labouré. Le sénateur Yannick Bodin parle d'une filière coûteuse pour l'État et d'une « aristocratie » enseignante pour une filière présentant une « discrimination de fait ».
Pourtant, les propositions vont toujours dans le sens d'une démocratisation des CPGE afin d'envoyer les meilleurs élèves de toute origine sociale dans ces filières. Il s'agirait donc de lever l'autocensure pour aider les jeunes à oser les CPGE et d'encourager l'accès à ces filières. La même logique sous-tend l'amendement porté dans la loi « ESR » par MM. Vincent Feltesse et Jérôme Guedj pour permettre aux meilleurs élèves des lycées en zone prioritaire d'intégrer les CPGE. Il a suscité des remous incroyables auprès des étudiants parce qu'il signifiait que les bons élèves, d'où qu'ils viennent, devaient intégrer les classes prépas et que l'université était réservée aux déchets ! Ce présupposé contribue à renforcer un système français à deux vitesses, partagé entre des filières d'excellence très sélectives pour quelques happy few et l'université qui sert de déversoir pour les autres.
C'est pourquoi le groupe écologiste recommande le basculement complet des classes prépa dans l'enseignement supérieur et leur rattachement budgétaire à la Mission interministérielle de la recherche et de l'enseignement supérieur – la MIRES. Les enseignants deviendraient des professeurs agrégés de l'enseignement du second degré enseignant dans le supérieur.
Nous prônons aussi la suppression des concours d'entrée aux grandes écoles, et leur remplacement par des sélections sur dossier, moins discriminantes. Cela permettrait de revoir en profondeur l'objectif des classes prépas, qui deviendraient une formation intégrée aux licences et non une préparation aux concours. Nous sommes bien conscients que ces propositions sont révolutionnaires et qu'elles ne seront pas adoptées de sitôt. En attendant, nous sommes favorables à la révision de la pondération des heures de services, qui permettrait d'augmenter les moyens donnés aux élèves les plus en difficulté de l'éducation prioritaire.
De plus, nous recommandons une révision en profondeur des moyens alloués aux universités. Elles sont exsangues et ne peuvent plus délivrer leurs formations dans de bonnes conditions, notamment dans les premières années de licence. Il convient donc de réaffecter une partie de l'argent mis dans le crédit impôt recherche vers l'enseignement supérieur et la recherche publics pour les revaloriser et leur donner de réels moyens pour travailler.
Je terminerai par un hommage à mon collègue Yves Durand qui a examiné le cas de la Finlande, classée première par l'enquête PISA de 2003 après avoir réformé son système éducatif à partir des années soixante-dix. Or il n'y a pas de classe prépa en Finlande. Le ministère de l'éducation de ce pays oriente principalement les budgets vers la formation des étudiants, dans le but d'apporter un soutien individuel dès le moindre décrochage. De cette façon, et uniquement de cette façon, la Finlande a réduit considérablement les inégalités sociales. Pour en savoir plus, je vous renvoie à l'excellent article du Wall Street Journal de février 2008 « What Makes Finnish Kids So Smart ? »