Je voudrais dissiper deux malentendus.
Tout d'abord, les classes préparatoires font pleinement partie de l'enseignement supérieur. Elles accueillent des bacheliers, elles sont gérées directement par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. Il n'y a aucune ambiguïté.
Ensuite, je conteste le terme de fracture. Marc Even a parlé de la filière littéraire, mais il y a aussi les écoles doctorales qui réunissent dans un partenariat étroit grandes écoles et universités, et où se retrouvent les étudiants issus des masters des universités et des grandes écoles. Ne focalisons pas sur une dichotomie qui n'existe pas, ou plus.
L'ambiguïté vient peut-être du statut des professeurs de classe préparatoire. Sur ce point, je précise qu'aucun d'entre eux n'a un traitement de base de 5 800 euros. Ce niveau correspond au groupe C III qu'un professeur de classe préparatoire n'atteint pas – il relève du groupe A III. Un professeur agrégé enseignant en classe préparatoire qui ne ferait aucune heure supplémentaire toucherait un traitement de 3 900 euros par mois. Si vraiment celui-ci atteint 9 800 euros, je rappelle qu'il existe un encadrement du cumul de rémunérations et que, très probablement, les services d'un trésorier-payeur général n'ont pas fait leur travail.
S'agissant des écarts de traitement entre le professeur de classe préparatoire et celui de sixième, madame la députée, dans la fonction publique comme ailleurs, on prend en compte la qualification. Jusqu'à preuve du contraire, on ne recrute pas massivement les professeurs de sixième parmi les agrégés, les docteurs, voire les anciens élèves des écoles normales supérieures ou de Polytechnique. Par ailleurs, ils n'ont ni les mêmes grades, ni la même charge de travail. Je ne me prononce pas sur le niveau de la rémunération des professeurs de sixième, mais il ne me paraît pas anormal qu'il y ait une différence avec celle d'un professeur de classe préparatoire.
Quant au coût élevé des classes préparatoires, il faut comparer ce qui est comparable. En deux ans, un élève de classe préparatoire suit à peu près 1 800 heures d'enseignement et il peut entrer directement en master, au pire en L3. Il s'agit là d'un rythme accéléré. Quelle est donc la part des étudiants qui obtiennent leur licence en trois ans ? Pour les autres, le coût se cumule et on ne peut se contenter, pour le mesurer, de prendre une photographie instantanée. Il faut raisonner dans la durée. La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche tente d'apporter des solutions à un problème capital, la coexistence de filières sélectives – BTS, IUT, classes préparatoires – et un système qui ne l'est pas, l'université. Du coup, nombre de bacheliers technologiques et professionnels se retrouvent à l'université parce qu'ils n'ont pas été pris ailleurs. Leur présence minore le coût d'un étudiant dans un premier temps, mais le majore ensuite du fait de la longueur du parcours nécessaire à l'obtention d'un diplôme. L'un des objectifs du dispositif bac–3bac+3 devrait sans doute être de rendre plus opérationnel le processus d'orientation.
Venons-en aux lycées parisiens. J'ai été proviseur du lycée Faidherbe de Lille et du lycée Montaigne de Bordeaux avant d'être nommé à Paris. Au risque de vous étonner, c'est à Paris que j'ai le plus de boursiers. Et, à Paris, je n'ai pas que des Parisiens, ils sont même minoritaires. Le système fait en sorte que ce sont plutôt les étudiants qui viennent à nous. Et il y a en quelque sorte une « prime » aux boursiers provinciaux puisqu'ils sont proportionnellement plus nombreux parmi les internes.
Puisque la question de l'amont des classes préparatoires a été posée, je vais répondre. Au préalable, j'observe que, en deuxième année de médecine, ou à la fin de la deuxième année de droit, et en tout cas en master, les profils des étudiants à l'université sont les mêmes que ceux des grandes écoles. Il faut donc s'interroger sur les causes. Sans qu'il soit question de se défausser sur les lycées, les collèges et l'école primaire, il faut admettre qu'en amont, le système repose sur une pure affectation en vertu du principe selon lequel tous les élèves sont égaux, en particulier au collège et au lycée. En procédant de la sorte, on ne prépare pas aux études supérieures, préparation qui doit commencer bien avant la terminale pour avoir quelque chance de succès.
Je déplore moi aussi – je suis le président de l'association des lycées à classe préparatoire – que vingt et un départements n'aient pas de classe préparatoire, mais je ne suis pas certain qu'en multipliant les classes préparatoires sur le territoire, on obtienne le résultat souhaité. À un moment, il faut bien procéder par concentration et il ne me paraît pas scandaleux que les étudiants bougent. Au demeurant, les trois lycées que j'ai dirigés sont très différents : le lycée Faidherbe est un lycée local, le lycée Montaigne beaucoup moins, le lycée Louis le Grand pas du tout. En fait, Louis le Grand est à la fois un lycée de province et un lycée très international.
La solution a été évoquée par madame Doucet – qui connaît bien le lycée Montaigne pour y avoir enseigné – quand elle a parlé du nombre insuffisant de places en internat.
Ensuite, je rappelle que les classes préparatoires ne sont pas le seul moyen d'entrer dans les grandes écoles. On oublie trop souvent les IUT : 80 % des titulaires d'un diplôme universitaire de technologie (DUT) entrent en grande école, même si ce n'est pas à Polytechnique. Le système universitaire a su intégrer les grandes écoles.
Je déplore comme vous les mauvais résultats de la France dans les trois dernières enquêtes PISA. Auparavant, nos « très bons » étaient parmi les meilleurs et nous avions un lot de mauvais élèves si bien que notre école apparaissait sélective. Je vous rassure, elle l'est moins aujourd'hui, parce que les meilleurs ont baissé ! Cela veut dire que l'enjeu n'est rien de moins que la reconstruction du collège et du lycée et, dans une moindre mesure, du primaire. La solution réside aussi dans la fonction et dans le contenu des enseignements. Savez-vous qu'un élève arrivant aujourd'hui en terminale S a perdu l'équivalent d'une année de terminale C, à neuf heures hebdomadaires de maths et cinq de physique ? Voilà le résultat de ce qui se passe entre la sixième et la terminale. J'ignore le chiffre des pertes pour la voie littéraire mais il doit être du même ordre.
Pour remédier aux inégalités sociales, il faut s'attaquer à ce problème et pas seulement aux classes préparatoires qui placent l'ouverture sociale au coeur de leurs préoccupations.