Dans le cadre de notre travail, nous avons examiné les boursiers des classes préparatoires de l'académie de Nantes, afin d'étudier le lien entre la bourse et l'origine sociale des élèves. Sur les 1 080 boursiers, 53 % se situaient entre les échelons 0 et 1 sachant que l'échelon 0 correspond à l'exonération des droits d'inscription et de la cotisation sociale, et l'échelon 1 à une bourse annuelle de 1 400 euros. Les échelons 4, 5 et 6 représentaient plus d'un quart des boursiers et, parmi les échelons 5 et 6, 8 % des élèves déclaraient que le chef de famille est membre des catégories cadre supérieur et profession intellectuelle et 10 % d'entre eux qu'il était ouvrier. Ces données sont à l'image de statistiques nationales plus anciennes, datant de 2007, qui révélaient une baisse de la part des boursiers d'origine ouvrière et, inversement, une augmentation de la part des boursiers des catégories employé, profession intermédiaire et cadre.
Finalement, la question à laquelle il faut répondre est : à quelle catégorie socioprofessionnelle appartiennent les élèves ? Et quel type de classe préparatoire fréquentent-ils ? Dans l'académie de Nantes, dans les prépas de proximité, nous avons observé une proportion significative d'élèves issus de milieux défavorisés. Et nous avons voulu suivre ensuite leur parcours professionnel qui est aussi le fruit d'habitus culturels. Le capital social peut expliquer des différences dans l'accès au marché du travail.
S'agissant de la rémunération, pourquoi ne pas comparer celle des enseignants de classe préparatoire avec des universitaires ? Je sais que je prêche pour ma paroisse, mais la similitude des tâches me frappe : nous aussi, nous avons la responsabilité d'étudiants qui préparent des concours ; nos cours aussi nécessitent un travail de préparation important et doivent être actualisés ; nos étudiants aussi sont exigeants et demandent que nos cours ou d'autres documents soient mis en ligne ; nous aussi, nous corrigeons des copies longues en grand nombre… À l'université, il n'y a pas de retour, me répondra-t-on. C'est souvent vrai mais, en ce qui me concerne, tous mes étudiants ont la correction des partiels. Et, à l'université, on a aussi des responsabilités administratives, des recherches à faire et on est évalué sur ses publications. Bref, j'ai dix ans d'ancienneté et je touche 2 400 euros par mois. J'ai une prime de recherche de 1 000 euros par an, que je fasse de la recherche ou pas. Il se trouve que j'en fais.
Pour moi, la question centrale est de savoir comment bonifier les ressources des meilleurs élèves. C'est ce que font les classes préparatoires ; elles arrivent à transformer des élèves moyens en de bons élèves. Dans notre travail, nous insistons beaucoup sur la pédagogie du proche, sur la proximité entre les enseignants et les élèves, sur le soutien individualisé. Les colles sont un moment d'échange privilégié entre les enseignants et les élèves. C'est l'occasion de corriger les lacunes mais aussi de comprendre les élèves. La question est de savoir quels éléments de ce modèle éducatif peuvent être transposés dans le secondaire et le supérieur.
Pour améliorer la mixité sociale, l'information est décisive. Et, en ce qui concerne l'orientation des élèves, elle est assez défaillante. Ainsi, à l'université, certains de mes étudiants ne connaissent pas les classes préparatoires aux grandes écoles. Et il arrive que des élèves soient pris en classe préparatoire parce qu'un enseignant, plus rarement un conseiller d'orientation, leur a ouvert les yeux et su démystifier cet univers qui n'est pas qu'élitiste et impitoyable. Il est très important que les élèves, quel que soit leur milieu social, puissent se repérer dans le labyrinthe éducatif et faire des choix avisés.
L'insuffisance de places d'internat et l'absence de classe préparatoire dans certains départements ne sont pas neutres parce que certains étudiants de milieux très défavorisés n'ont pas les moyens de changer de lieu de résidence.
Il est vrai que les élèves des milieux populaires s'autocensurent et refusent d'envisager une classe préparatoire. Il faut donc aider ces jeunes à s'autoriser à le faire et les convaincre que cette formation n'est pas réservée à une élite. Les classes préparatoires sont suffisamment diverses pour qu'ils puissent s'y épanouir.
Dans ce qui mérite d'être transposé, la proximité enseignantélève est fondamentale de même que la disponibilité des enseignants avec lesquels les élèves correspondent par mail ou par téléphone. En outre, le travail de correction permet aux élèves de progresser : il s'agit d'une évaluation formative, qui fait défaut à l'université. Ces méthodes maintiennent les élèves dans une attitude positive et les font progresser. Elles permettent aussi aux enseignants d'adapter leur pédagogie et de comprendre rapidement les difficultés des élèves.
Je ne saurais ni décrire l'école idéale ni donner les moyens de lutter efficacement contre les inégalités. Toutefois, il me semble important de retarder le plus longtemps possible le moment de l'orientation puisque l'on sait que les inégalités d'orientation prennent le pas sur les inégalités scolaires. C'est un point qu'il faut impérativement souligner.
Sans doute les enseignants devraient-ils être formés à la diversité des élèves, qu'elle soit sociale, scolaire ou culturelle. L'entre soi satisfait les familles, mais aussi les enseignants qui ne savent pas toujours s'accommoder de cette diversité. Cela s'apprend. On peut aussi lutter contre la ségrégation inter et intra-établissements. Les classes moyennes et supérieures scolarisent leurs enfants dans des établissements qu'ils ont tendance à coloniser, de façon à reconstituer des classes de niveau. Parallèlement, entre un établissement d'excellence de centre-ville et un autre établissement situé dans une zone d'éducation prioritaire, il y a tout un monde. Mais, je n'ignore pas qu'il est difficile de passer du discours aux actes car les familles, et c'est compréhensible, recherchent ce qu'il y a de mieux pour les enfants. La question de la ségrégation est à poser à une échelle globale, au-delà des stratégies individualistes.