Intervention de Frédéric Cuvillier

Séance en hémicycle du 29 avril 2014 à 21h30
Activités privées de protection des navires — Présentation

Frédéric Cuvillier, secrétaire d’état chargé des transports, de la mer et de la pêche :

…puisqu’il s’agit d’une part d’assurer la sécurité de nos navires, d’autre part de renforcer la compétitivité du pavillon français et du transport maritime.

Ce projet de loi était, je le rappelle, l’un des engagements forts pris par le Gouvernement après la réunion du Comité interministériel de la mer. Il a fait l’objet d’un travail approfondi et d’un suivi particulièrement étroit de la part des services de mon ministère, en lien avec ceux des ministères de l’intérieur et de la défense, ainsi que du Secrétariat général de la mer.

Je veux rendre hommage à l’excellent travail accompli par les parlementaires – j’y reviendrai – mais aussi à un travail plus ancien : le remarquable rapport sur la piraterie rendu en janvier 2011 par M. Jack Lang à la demande du Secrétaire général des Nations Unies. Ce rapport insistait déjà à l’époque sur les recommandations formulées à partir de 1999 par l’Organisation maritime internationale. Il a révélé combien il est important que les États se saisissent de ce sujet de toute urgence. C’est dans cette lignée que s’inscrit le texte que je soumets aujourd’hui à la représentation nationale, qui correspond d’ailleurs aussi à l’une des préconisations formulées dans l’excellent rapport de M. Arnaud Leroy sur la compétitivité des transports maritimes, rendu le 12 novembre dernier.

C’est dire combien nous avons souhaité agir rapidement après la réunion du Comité interministériel de la mer. Nous voici donc ici réunis pour donner un fondement législatif à cette évolution du droit très attendue. Et pour cause : la piraterie fait peser une menace majeure sur le commerce maritime international et sur la sécurité des approvisionnements. Malgré un recul apparent au large de la Corne de l’Afrique – où nous avons appris encore aujourd’hui que des otages avaient été libérés – et dans le détroit de Malacca, le phénomène s’accentue toutefois dans d’autres régions, notamment dans le Golfe de Guinée. En 2013, le Bureau maritime international a recensé un total de plus de 264 attaques.

Outre ses conséquences physiques et psychologiques sur les marins, ce phénomène entraîne également pour les armateurs de lourdes conséquences dont le montant annuel total oscillerait entre 5 et 8,5 milliards d’euros – ce qui s’explique par le renchérissement des primes d’assurance et par les dispositions opérationnelles prises pour éviter certaines zones.

Assurer la sécurité du transport maritime constitue donc un enjeu économique considérable pour les armateurs dont les navires transitent ou opèrent régulièrement dans ces zones à haut risque. Pour garantir la protection des navires civils battant pavillon français, l’État a d’ores et déjà mis à disposition des équipes de protection embarquée de la marine nationale composées d’un effectif total de 152 militaires. Le déploiement de ces équipes, dont l’efficacité et la qualité sont largement saluées par les armateurs, présente toutefois des contraintes d’ordre logistique et diplomatique qui ne sont pas toujours compatibles avec les délais commerciaux très serrés des professionnels. Malgré cette implication, toutes les situations à risque ne peuvent aujourd’hui être couvertes par la marine nationale, alors même que le besoin réel de protection armée est croissant, vous en conviendrez.

Les dispositifs de sécurité que le projet de loi a pour objet d’autoriser et d’encadrer viennent en complément – et non en substitution – de ce qui existe déjà, ainsi que des différents dispositifs visant à prévenir les attaques. Je pense notamment à la mise en place de centres spécialement destinés au signalement de la présence de navires dans les zones à risque. S’il est adopté, le projet permettra aux armateurs de mieux protéger les navires battant pavillon français.

Il s’agit d’autoriser les armateurs à recourir à des agents d’entreprises privées de sécurité pour faire face aux risques croissants d’attaque. Le Gouvernement a souhaité donner suite à cette demande qui émane notamment des armateurs, afin de mieux assurer la sécurité des navires battant pavillon français, de leur équipage et de leur cargaison : c’est un impératif de sécurité.

C’est aussi un impératif de compétitivité, disais-je. En effet, en présentant ce projet de loi, j’entends également renforcer l’attractivité du pavillon français. C’est un enjeu majeur : la France dispose de la première surface maritime en Europe. De très nombreux États européens disposant d’une façade maritime et d’une flotte de commerce importante se sont d’ores et déjà dotés d’un tel dispositif. Le Gouvernement a donc souhaité donner aux navires français les mêmes outils que ceux dont disposent leurs concurrents étrangers. Ainsi, le présent projet de loi participera du renforcement de la compétitivité du pavillon français.

Permettez-moi de rappeler ce dont chacun ici est convaincu : la flotte de commerce française incarne un secteur économique décisif. Il faut faire en sorte que nos compagnies maritimes nationales et notre pavillon demeurent compétitifs. Ce secteur rassemble en effet plus de trois cents navires et représente un gisement d’emplois considérable. Il compte dans ses rangs des géants nationaux qui figurent parmi les premiers armateurs au monde. À eux seuls, les marins représentent 12 500 emplois qui dépendent directement de cette activité.

Grâce à ce projet de loi, nous estimons que plusieurs centaines d’emplois directs pourront être créés afin de sécuriser les navires battant pavillon français qui, face à la menace pirate, sont vulnérables dans l’ensemble des zones à risque – zones que le Gouvernement veillera à définir en lien étroit avec les armateurs.

Conscient du caractère exceptionnel que revêt le fait d’autoriser des acteurs privés à assurer la sécurité des navires marchands, le Gouvernement a, dans le présent projet, veillé à ce que cette pratique s’exerce conformément aux lignes directrices définies au niveau international et à ce qu’elle soit strictement encadrée à de nombreux égards, afin d’éviter d’éventuelles dérives. Elle sera ainsi encadrée en sorte de n’être autorisée que dans les zones à haut risque de piraterie et que sur certains types de navires. Si des équipes de protection de trouvent à bord de navires naviguant en dehors de ces zones, leurs armes devront être remisées, de même que dans les eaux territoriales des pays fréquentés par les navires – sauf en cas d’accord particulier conclu avec lesdits pays, en application du principe bien connu du « passage inoffensif » défini par la Convention internationale de Montego Bay. De même, l’accès aux secteurs concernés sera strictement encadré grâce à la mise en place d’un agrément administratif similaire à celui qui existe pour les activités de protection exercées à terre – je pense notamment aux convoyeurs de fonds –, agrément auquel s’ajoutera une certification externe obligatoire des entreprises.

Vous demandez également l’apport de garanties professionnelles pour tous les acteurs, qu’il s’agisse des dirigeants et des gérants qui devront être titulaires d’une autorisation d’exercer, ou des agents qui devront posséder une carte professionnelle après examen de leur moralité, de leurs compétences maritimes et de leurs compétences en matière de protection armée. Les référentiels de formation seront définis par l’État et les centres de formation seront également agréés pour délivrer des formations adéquates.

Nous encadrerons aussi les conditions d’armement par un dispositif strict : seules certaines catégories d’armes et de munitions seront autorisées. Les modalités d’acquisition, de détention, de transfert et de stockage des armes et des munitions à bord seront précisément réglementées.

Nous voulons également garantir la transparence de l’activité par des contrôles administratifs réalisés sur le territoire national et à bord des navires, ainsi que par un suivi régulier des activités des entreprises et de leurs agents. Nous devons en outre assurer la transparence et la traçabilité de l’activité par plusieurs dispositifs tels que la déclaration d’embarquement des équipages de sécurité, la tenue de registres d’activité ou encore le signalement des incidents.

Enfin, nous ne devons rendre possible l’usage de la force que dans le cadre strict de la légitime défense.

C’est la responsabilité de l’État de s’assurer que les navires battant pavillon français ont les moyens de se protéger. Ce texte recherche un équilibre entre l’ouverture aux entreprises privées d’une activité susceptible d’employer des armes et un encadrement strict sur plusieurs aspects que je viens de détailler, et dont les principes sont prévus par les dispositions de la présente loi.

Madame et messieurs les rapporteurs, je vous remercie pour le travail de qualité que vous avez mené en commission. Je remercie également l’ensemble des parlementaires de leur implication sur ce sujet précis et technique, mais ô combien important économiquement. La question est également d’importance pour ce qui est de la position de la France et de son implication pour garantir la sécurité et permettre à nos armateurs d’assurer leur activité économique dans de bonnes conditions. Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour la qualité des échanges que nous avons eus, ainsi que pour les remarques, indications ou suggestions visant à améliorer le texte.

Je salue l’implication de la commission du développement durable, qui montre notre volonté partagée d’un encadrement sérieux de la protection privée des navires afin d’assurer leur sécurité, mais aussi notre volonté pragmatique, qui nous permet d’offrir aux compagnies françaises de transport maritime les meilleures conditions de travail et de compétitivité.

Plus largement, au-delà même du fait qu’à côté de ce dispositif nouveau, la Marine nationale conservera l’ensemble de ses prérogatives, la France continue à agir au niveau international pour lutter contre la piraterie, notamment en participant à différentes opérations initiées par l’Union européenne ou par l’OTAN – je pense, par exemple, à l’opération Atalante – et reste très active sur le plan diplomatique. Il s’agit d’un texte important et attendu, car c’est un engagement du Gouvernement. C’est aussi un chantier que le Parlement a voulu mener avec pour objectif d’aboutir à un texte opérationnel. Je vous remercie pour la qualité de vos travaux et j’espère que ce texte, qui est attendu, recueillera l’unanimité ou du moins un large consensus.

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