Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du 29 avril 2014 à 21h30
Activités privées de protection des navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Assemblée nationale doit examiner à présent le projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires. Ce projet de loi vise principalement à lutter contre la piraterie maritime en autorisant les armateurs à recourir aux services de gardes armés privés à bord des navires sous pavillon national. En guise de préambule, le groupe écologiste tient à rappeler que le développement exponentiel du transport commercial, par la route ou par la mer, est la conséquence directe d’un modèle économique fondé sur la consommation intensive des ressources, modèle qui arrive à bout de souffle. Les difficultés causées par cet état de fait existent, comme aujourd’hui la question sécuritaire, et nous ne pouvons les éluder : tôt ou tard, il faudra les régler. C’est l’objet de cette loi, j’y reviendrai. Mais s’attaquer aux conséquences ne suffit pas. Il faut avant tout s’attaquer aux causes, en favorisant l’émergence de sociétés économes en matières premières et en relocalisant nos économies.

Ceci étant précisé, je tiens à souligner le très bon travail du rapporteur au fond, mon collègue Arnaud Leroy qui, après avoir rédigé un rapport sur la compétitivité des transports et des services maritimes, a su porter cette loi équilibrée devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et maintenant en séance publique de notre assemblée. Il convient de souligner également le rapport d’information construit et argumenté sur les entreprises de services de sécurité et de défense – les ESSD –, rendu en février 2012 par nos collègues députés de la commission de la défense, Christian Ménard et Jean-Claude Viollet. Ce rapport estimait que la France était « désormais prête à autoriser l’embarquement de personnels privés armés à bord des navires commerciaux traversant des zones dangereuses ».

Les sujets relatifs à la sécurité – a fortiori la sécurité privée – font souvent l’objet de positions tranchées, voir caricaturales. Or, les débats sur ce texte devant les différentes commissions ont démontré que, lorsque les enjeux de sécurité sont abordés avec rigueur et sérieux, loin des faits divers, alors la représentation nationale, dans toutes ses composantes, peut traiter ces sujets dans un relatif consensus. Il faut s’en réjouir et s’en inspirer pour d’autres textes. Ce texte ne doit pas, selon moi, être abordé sous le strict angle de la sécurité des biens et des personnes.

Il a trait également et avant tout à la compétitivité des transports et des services maritimes, thème du rapport de mon collègue Arnaud Leroy. Je ne reviendrai pas sur mes remarques préliminaires, mais parce que les échanges entre les différentes régions du monde continueront à perdurer, nous avons encore besoin, pour de longues années, de routes maritimes sûres, nonobstant la nécessité d’un changement de modèle économique.

La piraterie maritime constitue aujourd’hui une menace majeure pour le commerce maritime international, mettant en péril la sécurité des approvisionnements. Si, ces dernières années, on a pu noter un net recul des attaques dans l’océan Indien, elles se sont a contrario accentuées dans le golfe de Guinée. Au total, toutes zones géographiques confondues, ce sont ainsi plus de 200 attaques qui ont été recensées en 2013 par le Bureau maritime international.

Au-delà des atteintes physiques et psychologiques pour les équipages, qu’il ne faut jamais perdre de vue, les conséquences économiques du développement de la piraterie maritime sont lourdes pour les armateurs, puisqu’elles représentent 7 à 12 milliards de dollars par an. Elles sont imputables pour moitié aux dépenses de carburant – résultant de l’accélération de la vitesse de transit dans les zones à risques –, ainsi que des coûts liés aux assurances, des dépenses de sécurité et des primes aux équipages.

Actuellement, seules quelques mesures préventives existent en France : signalement volontaire de la présence du navire dans une zone à risque, mesures passives et non létales de nature à faire obstacle à la prise du navire, procédure d’analyse de risque approprié au navire et au voyage considéré. En outre, le Gouvernement a engagé des forces navales dans des opérations conduites à l’initiative de l’Union européenne ou de l’OTAN, et prévu la mise à disposition d’équipes de protection embarquées de la marine nationale. Cependant, ces mesures restent insuffisantes, puisque l’État ne répond favorablement qu’à 70 % de la trentaine de demandes annuelles, et souvent incompatibles avec les contraintes commerciales.

L’autorisation, pour les armateurs, de recourir à des services de protection privée est donc un impératif de compétitivité pour les entreprises ayant recours au pavillon, tout autant que pour l’attractivité de ce dernier. La France est l’un des derniers pays européens à ne pas avoir autorisé la protection de navires par les entreprises privées. Onze nations sur quinze bénéficiant d’une flotte commerciale importante autorisent déjà cet usage contractuel de la sécurité privée, et se sont dotées de dispositifs législatifs et réglementaires relatifs.

Toutefois, et j’insiste fortement sur ce point, la recherche de la compétitivité commerciale ne doit pas être un prétexte pour accepter toutes les dérives sécuritaires. Il était naturellement hors de question pour le groupe écologiste, comme d’ailleurs pour la quasi-majorité de mes collègues, d’accepter un nouveau type de mercenariat en haute mer, avec des mercenaires qui auraient envahi les ports, entraînant avec eux les dérives que l’on peut imaginer. On l’a compris, c’est là que réside, en réalité, l’enjeu principal du texte : protéger les navires par le recours à des sociétés de sécurité privées, mais en encadrant strictement ce recours au moyen de principes auxquels nous sommes attachés.

Autant le dire tout de suite, ce texte équilibré répond à nos inquiétudes. Sans faire ici l’exégèse de chaque article, nous voulons saluer plusieurs points du projet de loi : le recours aux entreprises de sécurité privée uniquement dans des zones à risques et sur certains types de navires définis par décret ; la mise en place d’un agrément administratif et d’une certification obligatoire des entreprises, ce qui doit permettre un contrôle rigoureux de 1’accès au secteur – les acteurs de la sécurité privée des navires se professionnalisent, sur des compétences portant tout autant sur les aspects liés à la protection elle-même que sur les compétences maritimes.

En ce qui concerne le secteur très délicat de l’armement, le projet de loi permet la mise en place d’un dispositif strict indispensable. La nécessaire transparence de l’activité est permise à travers l’instauration d’un régime de contrôles administratifs sur le territoire national et à bord des navires, avec un suivi régulier des activités. Bref, si le groupe écologiste est fermement opposé au développement d’une société où le tout sécuritaire prédominerait, il sait faire preuve de responsabilité lorsque la situation exige que les personnes et les biens soient protégés – à condition, évidemment, que de solides garanties soient érigées afin de préserver les libertés. Dans la mesure où ce texte permet cet équilibre et à la condition qu’il ne soit pas dénaturé par l’examen des différents amendements en séance, nous voterons pour l’adoption de ce projet de loi.

Pour finir, alors que nous traitons du sujet de la piraterie, qui entraîne parfois des prises d’otages, permettez-moi, mes chers collègues, d’avoir une pensée pour la famille et les amis de Gilberto Rodrigues Leal, enlevé en novembre 2012 et dont le décès a été annoncé récemment. Je pense également à Serge Lazarevic et à sa famille, dernier otage français dans le monde, retenu au Sahel depuis son enlèvement en novembre 2011. Nous espérons tous un dénouement rapide et heureux à ce terrible drame, qui nous rappelle que nous avons le devoir de protéger nos concitoyens.

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