Le projet de loi dont nous sommes saisis a pour objet de transposer deux directives visant à renforcer les droits de la défense dans le cadre des procédures pénales.
Il s'agit tout d'abord de la directive 201213UE du 22 mai 2012 qui vise à établir des normes minimales dans l'ensemble des États membres en ce qui concerne le droit des personnes suspectées ou poursuivies à être informées de leurs droits fondamentaux et à avoir accès aux pièces de la procédure. Cette directive doit être transposée en droit interne au plus tard le 2 juin 2014, ce qui explique l'engagement de la procédure accélérée sur ce projet de loi.
La transposition concerne ensuite une partie de la directive 201348UE du 22 octobre 2013, pour celles de ses dispositions relatives au droit d'accès à un avocat pour les personnes suspectées, dans le cadre de l'audition libre, étant précisé que l'ensemble de cette directive, qui vise à introduire le contradictoire à tous les stades de la procédure pénale, devra être transposé au plus tard le 27 novembre 2016.
Ces directives ont été adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la mise en oeuvre du programme de Stockholm pour la période 2010-2014, qui prévoyait de renforcer la confiance mutuelle au sein de l'Union européenne par l'établissement de règles minimales relatives à la protection des droits procéduraux en matière pénale afin qu'elles soient dûment mises en oeuvre et appliquées au sein des États membres.
Il faut à cet égard rappeler que notre Commission a déjà été amenée à intervenir dans ce cadre lorsqu'elle a été saisie du projet de loi de transposition de la directive relative aux droits à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, qui a donné lieu à l'adoption de la loi du 5 août 2013, sur le rapport de notre collègue Marietta Karamanli.
Notre Commission sera de nouveau conduite à modifier le code de procédure pénale au rythme des transpositions de la directive relative à la protection des victimes et des trois propositions de directives du 27 novembre 2013 relatives aux garanties en faveur des personnes vulnérables dans le cadre des procédures pénales, à l'aide juridictionnelle provisoire, et au renforcement de la présomption d'innocence pour les personnes suspectées ou poursuivies.
L'ensemble des personnes que j'ai auditionnées – avocats, magistrats, représentants de la police, de la gendarmerie et des douanes, universitaires, associations de défense des droits de l'homme – sont critiques à l'égard de cette révision à petits pas de notre procédure pénale, au rythme des condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ou des transpositions de directives. Elles réclament toutes une réforme d'ensemble de la procédure pénale permettant d'assurer un rééquilibrage entre les magistrats du parquet et les magistrats du siège, d'une part, l'efficacité de l'enquête et le respect du contradictoire et des libertés fondamentales d'autre part.
Si je partage ce point de vue, je me dois de citer la professeure Mireille Delmas-Marty selon laquelle, « si l'ordre juridique doit s'assembler un jour en un tableau, c'est à condition d'accepter qu'il se construise “par petites touches” ». En tout état de cause, cette mise en cohérence doit se poursuivre, notamment avec la transformation en contraventions de certains délits, sujets dont nous reparlerons avec Dominique Raimbourg, rapporteur du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines. Il me faut également constater qu'une réforme d'ensemble ne pourra être engagée qu'à partir du moment où le Parlement aura adopté le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour assurer l'indépendance de la justice, ce qui suppose de réunir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du Congrès. J'appelle notre Commission à s'unir sur ce sujet.
Sur le fond, ce projet de loi renforce sensiblement les droits de la défense.
Il crée le statut du « suspect libre » : désormais, la personne, soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction, qui sera auditionnée par les services d'enquête ne sera plus privée de ses droits fondamentaux au seul motif qu'elle peut à tout moment quitter les lieux. L'officier de police judiciaire devra lui notifier l'ensemble de ses droits avant de commencer l'interrogatoire : droit de connaître la qualification, la date et le lieu présumés de l'infraction, droit de quitter les lieux à tout moment, droit d'être assisté par un interprète le cas échéant, droit au silence, droit d'être assisté par un avocat en cas d'infraction punie d'une peine d'emprisonnement, qui constitue un droit nouveau issu de la directive du 22 octobre 2013, et droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits dans des structures d'accès au droit.
Le projet de loi renforce les droits à l'information des personnes privées de liberté, c'est-à-dire des personnes gardées à vue, placées en détention provisoire ou faisant l'objet d'un mandat d'arrêt. Ces personnes se verront désormais systématiquement notifier l'ensemble de leurs droits fondamentaux à tous les stades de la procédure : par l'officier de police judiciaire et le juge d'instruction au cours de l'enquête, par le procureur de la République au moment de la décision sur l'engagement des poursuites, par le président du tribunal correctionnel ou de la cour d'assise au moment du jugement. Il est également proposé de remettre à toutes les personnes privées de liberté un document écrit récapitulant l'ensemble de ces droits qu'elles pourront conserver pendant toute la période de privation de leur liberté.
Le projet de loi marque une nouvelle étape en faveur du contradictoire à tous les stades de la procédure pénale. La loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence avait déjà renforcé considérablement le contradictoire et les droits de la défense au cours de l'instruction préparatoire. La loi du 14 mars 2011 l'avait également fait au stade de la garde à vue. Le présent projet de loi poursuit cette démarche en élargissant le droit d'être assisté par un avocat en cas d'audition libre et de confrontation de la victime avec le suspect libre en cas de délit puni d'une peine d'emprisonnement transposant de ce fait partiellement la directive 201348UE. Il donne également un droit d'accès au dossier aux parties, droit jusqu'alors réservé aux seuls avocats. Les parties pourront demander une copie des pièces de la procédure qui leur sera transmise à titre gratuit pour le premier exemplaire. Je précise néanmoins que le projet de loi ne remet pas en cause l'accès restreint aux pièces du dossier pendant la garde à vue, tel qu'il est prévu par l'article 63-4-1 du code de procédure pénale. Je vous invite à constater que cette mesure, justifiée par le respect du principe de l'égalité des armes entre les parties, qu'elles soient ou non assistées d'un avocat, risque néanmoins de porter atteinte au secret de l'instruction.
Le projet de loi crée également un nouveau droit en permettant à la personne poursuivie et à son avocat de présenter des observations au procureur de la République sur l'opportunité des poursuites qu'il envisage – il faut relever que la victime ne sera pas consultée à ce stade, mais sera simplement informée de la date de l'audience. Les parties et leurs avocats auront la possibilité de demander un supplément d'information en cas de citation directe ou de convocation par officier de police judiciaire sans attendre l'audience sur le fond. L'allongement des délais d'audiencement en cas de citation directe ou de convocation par un officier de police judiciaire permettra un exercice effectif des droits de la défense qui sera mieux à même de préparer ses arguments.
Enfin, par un amendement adopté en séance publique au Sénat, le Gouvernement a proposé de supprimer la possibilité de porter la garde à vue de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures en cas de délit d'escroquerie en bande organisée prévue par l'article 706-88 du code de procédure pénale. Il entend ainsi tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale. Le Conseil a en effet considéré que, à l'exception du délit prévu par le dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes relatif à la contrebande, à l'importation ou à l'exportation de marchandises dangereuses, « les délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » ne peuvent justifier qu'il soit porté atteinte à la liberté individuelle et aux droits de la défense de manière disproportionnée à travers la prorogation de la garde à vue jusqu'à quatre-vingt-seize heures.
Si je partage l'analyse du Gouvernement sur la nécessité de tirer les conséquences de cette décision jurisprudentielle en cas de délit d'escroquerie en bande organisée, je propose, par amendement, une solution alternative au retour pur et simple au droit commun de la garde à vue. Je considère en effet que nous trouverions un équilibre entre le respect de la liberté individuelle et des droits de la défense, d'une part, et la nécessité de se doter des instruments permettant de démontrer des escroqueries en bande organisée particulièrement complexes, en limitant à une seule prorogation de vingt-quatre heures, la garde à vue de quarante-huit heures, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 706-88. Cette prolongation, portant la garde à vue à un maximum de soixante-douze heures, ne pourrait intervenir que sous le contrôle du juge, et s'il existe des raisons impérieuses la justifiant tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction. Cette possibilité tient compte des évolutions du monde actuel qui voit la corruption se globaliser et les flux financiers circuler dans un espace immatériel, ce qui rend très complexe la tâche des enquêteurs.
Après les nombreuses auditions que j'ai menées, y compris dans le cadre d'un atelier législatif citoyen qui s'est déroulé dans ma circonscription, je considère que ce projet de loi comporte des avancées indéniables en faveur des personnes suspectées et poursuivies tout en préservant l'efficacité de l'enquête pénale. C'est pourquoi je vous invite à l'adopter ainsi qu'un certain nombre d'amendements principalement destinés à améliorer, en pratique, l'effectivité des droits des personnes concernées sans trop entraver le travail des services d'enquête et des magistrats – nous avons eu le souci de maintenir cet équilibre.
Je souhaite enfin appeler votre attention sur les conséquences, pour les finances publiques et l'efficacité du service public, des dispositions proposées, qui supposeront de consentir, à compter de 2015, un effort budgétaire important en faveur des missions « Justice » et « Sécurité », auquel il conviendra d'être vigilants.