Je remercie notre rapporteure pour le travail qu'elle a effectué. Il serait en particulier intéressant qu'elle accepte de nous donner quelques informations sur l'atelier législatif citoyen qu'elle vient d'évoquer.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui contribue à la modification de la tradition judiciaire française sous l'influence des pratiques anglo-saxonnes imposées par le droit européen.
Presque trois ans jour pour jour après la réforme de la garde à vue du 14 avril 2011, adoptée sous la précédente législature, nous sommes amenés à retoucher à nouveau ce cadre afin d'introduire un statut de « suspect libre ».
Je tiens à souligner l'importance des efforts fournis par les officiers de police judiciaire pour intégrer dans leurs pratiques professionnelles les nombreuses contraintes induites par la réforme de 2011. Le projet de loi qui nous est soumis accroît la complexité de leur travail, et je me dois de me faire l'écho, après Mme la rapporteure, des inquiétudes exprimées par les policiers et par leurs organisations syndicales.
Le projet de loi procède à l'institution d'un statut de « suspect libre » alors même que le Conseil constitutionnel avait reconnu la conformité avec la Constitution de l'audition libre dès lors que la personne avait reçu notification de ses droits.
L'utilité du régime de l'audition libre était de permettre le recueil d'informations d'une manière plus rapide et moins formelle que la procédure de garde à vue, et ainsi de remédier à la tendance inflationniste au placement en garde à vue observée au cours de la dernière décennie. La majorité de l'époque avait renoncé à créer un statut de « suspect libre » pour des raisons de distinction juridique entre le régime de la garde à vue et celui de l'audition libre. Le rapprochement des deux régimes opéré par le présent texte fait en effet peser un risque sur la différenciation de ces procédures, car les droits du suspect libre sont alignés sur ceux du gardé à vue.
Le projet de loi introduit le droit pour le gardé à vue de consulter lui-même les pièces du dossier jusqu'alors réservées à l'avocat. Le risque de destruction ou d'altération de ces pièces par l'intéressé implique de ne lui en remettre que des copies : cela ne manquera pas de renchérir les coûts de fonctionnement et la complexité des gardes à vue. Il en est de même pour le document de notification des droits qui doit être remis au gardé à vue. Madame la rapporteure, il me semble que l'affichage d'une copie dans les cellules n'est pas susceptible de résoudre ce problème ; cette solution accroîtrait en tout état de cause la charge de travail des officiers de police judiciaire.
Le droit existant doit être maintenu en matière de restriction de l'accès à l'ensemble des pièces du dossier pendant la phase policière de l'enquête, restriction qui est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation et à l'article 6, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif au procès équitable.
Dans le cadre de l'élargissement des conditions d'accès au dossier pendant la phase judiciaire de l'enquête, il est proposé de fournir gratuitement aux avocats ou à l'intéressé une première copie du dossier. Cela ne manquera pas d'entraîner une augmentation des frais de justice. En outre, cette gratuité de la copie excède les obligations prescrites par la directive européenne, selon laquelle seule la consultation, et non la détention, doit être gratuite.
D'autres dispositions trouveraient mieux leur place dans la prochaine réforme de la procédure pénale : l'introduction du contradictoire au stade de la détermination des poursuites envisagées et la possibilité pour l'avocat ou la partie de demander un supplément d'information avant toute audience au fond et à tout moment au cours des débats. Ces dispositions risquent de susciter des manoeuvres dilatoires qui ne manqueront pas d'allonger les délais de traitement des affaires.
Je tenais à déplorer l'introduction par le Gouvernement au Sénat d'un amendement mettant fin aux gardes à vue de quatre-vingt-seize heures en matière d'escroquerie en bande organisée. Cet amendement est une véritable catastrophe pour les services enquêteurs. Cet amendement a été inspiré par cette logique qui a déjà conduit la Chancellerie à se montrer plus restrictive que les juges lors de l'interdiction des balises de géolocalisation qui avait précédé le projet de loi portant sur ce sujet. À présent, c'est en matière d'enquêtes sur les escroqueries en bande organisée qu'elle estime qu'on ne peut courir le risque d'une question prioritaire de constitutionnalité, eu égard à la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013. Pourtant, les Sages ne visent pas ce délit dans leur décision, et la justification avancée par la ministre, considérant que cette disposition « est très certainement contraire à la Constitution », est pour le moins approximative.
Comme la rapporteure le mentionne elle-même, la réduction du délai de garde à vue portera un sévère coup d'arrêt aux enquêtes menées dans ces affaires qui réunissent un grand nombre de personnes. Leur complexité explique la nécessité de disposer d'un délai de quatre-vingt-seize heures pour procéder aux arrestations de suspects et pour pouvoir retenir les personnes en cause afin qu'elles ne se concertent pas en cours d'enquête. En outre, les services de police estiment que les montants des préjudices subis dans le cadre de ces délits seraient d'environ 1,5 milliard d'euros par an, les victimes étant aussi bien des personnes physiques que des entreprises, ou même l'État. Nous présentons en conséquence un amendement qui vise à supprimer cette disposition tant qu'une solution alternative permettant de proposer la prolongation de ces gardes à vue ne sera pas avancée par la rapporteure ou le Gouvernement.