Intervention de Jean-Charles Hourcade

Réunion du 22 avril 2014 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Charles Hourcade, directeur général de France Brevets :

La brevetabilité du vivant est en effet un enjeu. Cependant, l'activité de France Brevets est essentiellement tournée vers le monde des sciences dites dures – l'électronique, la physique, la mécanique, la chimie… – et s'arrête à la lisière du monde du vivant.

Aux États-Unis, environ 10 milliards de dollars ont été investis dans la défense de droits de propriété intellectuelle sous des formes diverses et variées. Il s'agit par là d'obtenir des retours sur investissements dans les nouvelles formes de l'économie des brevets.

Des centaines de milliers de brevets sont déposées chaque année. Dans le classement des déposants, on note la montée de la Chine, désormais au troisième rang mondial. La place de la France – en sixième position – reste honorable. On constate enfin le dynamisme de l'industrie de la Corée du Sud, qui traduit la focalisation de ce pays sur les enjeux liés aux brevets.

Si France Brevets est une première en Europe, il s'agit du quatrième fonds d'intervention sur les brevets à capitaux publics dans le monde après le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, trois pays où la notion de politique industrielle est une réalité forte et où, sous des formes variables, l'intervention de l'État est une composante du dispositif. C'est particulièrement vrai en Corée du Sud où le fonds brevets, Intellectual Discovery, est doté de 400 millions de dollars, financés par le gouvernement, et associe les grands noms de l'industrie coréenne à travers des conseils stratégiques. La mission de ce fonds est de défendre l'écosystème national d'innovation, à savoir le tissu des PME et des centres de recherche publique. Quand on interroge des responsables coréens sur le fait de savoir contre qui est dirigée cette défense, ils répondent : d'une part contre la Chine, perçue comme le concurrent industriel le plus important, et, d'autre part, contre l'appétit jugé souvent excessif de leurs propres chaebol.

France Brevets a été créé en mars 2011 sur l'initiative conjointe de l'État, dans le cadre du programme des investissements d'avenir (PIA), et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), laquelle souhaitait développer des opportunités d'investissements sur un temps long. Or la propriété intellectuelle relève de la catégorie d'actifs à cycle long : la durée de vie d'un brevet est de vingt ans. Il est indispensable, afin d'optimiser une intervention sur les brevets, de raisonner sur des plans à dix ans. De moins en moins d'acteurs se plient à cette discipline de planification. La CDC, quant à elle, a jugé qu'il pouvait y avoir là une opportunité intéressante pour un investisseur, comme elle, patient, d'intérêt général, et de temps long. L'État visait à assurer la cohérence du PIA et en particulier du Fonds national de valorisation de la recherche, lequel articule trois composantes : les sociétés d'accélération du transfert de technologies – SATT –, les consortiums de valorisation thématique – CVT – et France Brevets – censée garantir, tel un filet de sécurité, un retour sur l'investissement en matière de recherche et corriger la situation actuelle où la valorisation des brevets issus de la recherche publique reste en deçà de ce qui serait possible.

La création de France Brevets a répondu par ailleurs à une absence : il n'existait pas, en France, de structure d'intervention dédiée aux spécificités du marché international du brevet, à savoir une structure connaissant parfaitement les règles du jeu, capable d'interventions, dotée des moyens nécessaires, et réunissant l'expérience – qui ne s'acquiert qu'au niveau international – de la négociation sur les grandes affaires de brevet.

Notre rôle consiste à déployer toute une série de moyens et à les apporter aux détenteurs de brevets, qu'il s'agisse d'entreprises ou de laboratoires de recherche. Notre intervention se distingue de celle d'acteurs parfois qualifiés de patent trolls – chasseurs de brevets – mus par la recherche de gains importants à très court terme. Les deux premiers marqueurs de notre intervention sont la stratégie à long terme et l'organisation des retours d'investissement et de cash vers la recherche, qu'elle soit publique ou privée : il nous importe que la part la plus importante possible des montants collectés revienne bien à la recherche, compte tenu bien sûr du respect de l'équilibre économique de l'opération, ce qui n'est pas du tout le cas dans l'approche américaine de type patent troll où les acteurs organisent une coupure définitive entre le business sur brevet et le monde de la recherche, en achetant des brevets à des universités pour en tirer le maximum de profits dont aucun, in fine, n'iront à la recherche au-delà de ce qui aura été négocié au départ.

Le troisième et dernier marqueur de notre rôle est le respect de critères déontologiques exigeants : nous ne nous intéresserons qu'à des brevets dont nous sommes convaincus de la valeur, de la pertinence, de la solidité. Nous menons les négociations avec les licenciés potentiels dans une approche amicale afin de trouver un juste équilibre entre les besoins de financement de la recherche et les contraintes économiques. Toute l'équipe de France Brevets vient de l'industrie et connaît bien le sujet. Reste que si l'approche est amicale, elle est également déterminée : au-delà d'un certain seuil, si un industriel refuse de négocier et se met en situation de contrefaçon de droits de brevets dont nous avons la gestion, nous assignons.

Parmi nos modalités d'intervention, le patent factory, qui se situe le plus en amont de la génération d'un brevet, est celle par le biais de laquelle nous allons accompagner des détenteurs de brevets – en général des structures de recherche publique – afin d'enrichir leur portefeuille de brevets. Cette stratégie s'inscrit typiquement sur une durée de l'ordre de huit à dix ans. Sont en effet nécessaires trois années de procédures pour faire déposer un brevet, puis au moins trois à cinq années de maturation et d'efforts « d'évangélisation » pour que les technologies brevetées finissent, si tout se passe bien, par s'imposer, et enfin plusieurs années pour le développement du marché. Il faut donc compter une dizaine d'années avant la génération de revenus.

Pour autant, il faut pouvoir apporter des financements à nos partenaires à plus court terme. À cette fin, nous développons des stratégies d'alliance en propriété intellectuelle – IP Alliance – qui visent des technologies relativement matures dont certaines peuvent d'ores et déjà connaître un début d'adoption sur le marché. Nous allons regrouper des portefeuilles pour constituer des portefeuilles de brevets puissants qui vont faciliter la négociation et la prise de licence.

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