Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 30 avril 2014 à 15h00
Modification de la loi no 2007-1545 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Notre première hésitation tenait à l’indispensable indépendance de la fonction. Son mode de nomination nous paraissait excessivement lié au Président de la République et nous avions déposé un amendement pour que l’Assemblée nationale, et particulièrement la commission des lois, soit davantage associée à la désignation du contrôleur général. Le rapporteur avait repoussé notre amendement.

Depuis lors, la situation a évolué positivement. Tout d’abord, la révision constitutionnelle de 2008 a introduit le Contrôleur général dans la liste des nominations sur lesquelles la commission des lois doit émettre un avis. Ce n’est pas encore un vote positif aux trois cinquièmes, comme nous le suggérions dans notre amendement en 2007, mais c’est tout de même mieux que la situation que nous combattions à l’époque.

Et puis surtout, madame la garde des sceaux, votre prédécesseure Mme Dati, sur proposition, m’a-t-on raconté, de son directeur de cabinet Patrick Gérard, a suggéré au Président de la République de nommer M. Jean-Marie Delarue, dont le plus grand bien a déjà été dit à cette tribune. Je m’associe pleinement à ces propos : Jean-Marie Delarue a réussi à installer une fonction dont l’indépendance est aujourd’hui reconnue.

Mais le chantier a été très long. Si la loi a été définitivement votée le 18 octobre 2007, et promulguée le 30 octobre, les décrets d’application ont pris beaucoup de temps puisqu’ils n’ont été publiés que le 12 mars 2008. Et la nomination du contrôleur a dû encore attendre, puisque le conseiller d’État Jean-Marie Delarue n’a été nommé que le 12 juin 2008. Je salue néanmoins la pérennité, désormais, de ce « mécanisme national de prévention », pour reprendre la terminologie de la convention idoine des Nations unies.

Avec le recul, on peut en effet affirmer sans risque d’être démenti que son intégration au sein du défenseur des droits, comme l’idée en avait été exprimée, aurait eu pour conséquence de diluer ses missions et d’en affaiblir la force. C’est donc à bon droit que plus personne aujourd’hui ne remet en cause l’existence de cette autorité administrative indépendante. Cela renforce d’ailleurs l’exigence pesant sur le Président de la République, qui devra bientôt faire une proposition de nomination pour la succession de Jean-Marie Delarue.

La seconde crainte que nous avions en 2007 portait sur les moyens juridiques mis à la disposition du contrôleur. Nous estimions à l’époque que le projet ne lui garantissait pas le droit d’obtenir des informations, dans la mesure où il ne lui était conféré, pour l’essentiel, qu’un droit d’alerte. Les années n’ont que partiellement apaisé notre inquiétude, comme l’a très bien souligné Mme la rapporteure. Un certain nombre de remarques du contrôleur, notamment sa dernière recommandation, en urgence, concernant le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, publiée au Journal officiel du 23 avril dernier, fait mention le fait, je cite, que « pendant et après la visite » celui-ci a eu des difficultés à se faire communiquer des documents administratifs. Notre texte comble cette carence ; il ne sera désormais plus possible de refuser au contrôleur les renseignements qu’il souhaite obtenir.

Enfin, nous nourrissions en 2007 quelques interrogations sur la capacité de l’administration à tenir compte de ses remarques. C’était tout l’enjeu du pouvoir d’injonction, dont le contrôleur général est dépourvu, à la différence du défenseur des droits. Nous avions, là aussi, proposé par amendement de lui accorder un pouvoir d’injonction, estimant que les autorités administratives indépendantes qui ont ce pouvoir disposent ainsi d’une capacité de sanction et, du coup, sont plus crédibles. L’Assemblée nationale ne nous avait pas suivis, le rapporteur estimant que « seule la concertation entre les acteurs se révélerait efficace ». Nous avions, avec vous, madame la rapporteure, à l’occasion de la loi pénitentiaire de 2009, proposé de nouveau un amendement dans ce sens, mais nous n’avons pas eu plus de succès qu’en 2007.

Il est vrai qu’avec persévérance, Jean-Marie Delarue a toujours dit n’avoir pas besoin de ce pouvoir d’injonction. C’est l’objet d’un échange permanent avec lui, et il a réaffirmé ce point de vue lors de sa dernière audition par la commission des lois. Les faits, vous l’avez rappelé, lui ont du reste donné raison : l’intensité de ses contrôles, la force de son verbe, la justesse de ses préconisations font que ses recommandations sont plus ou moins suivies d’effet. Il arrive que certaines ne le soient pas totalement. Je rappelle par exemple, madame la garde des sceaux, la recommandation, publiée le 6 décembre 2012, sur les Baumettes ; un certain nombre des préconisations du contrôleur n’ont pas été suivies par l’administration.

Vous ne nous avez pas proposé, madame la rapporteure, d’ajouter ce pouvoir d’injonction dans le texte. Nous en resterons donc là, avec peut-être l’intention d’y revenir un jour. Cela ne nous empêchera évidemment pas de voter le texte qui nous est proposé.

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