Intervention de Amiral Charles-édouard de Coriolis

Réunion du 16 avril 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Charles-édouard de Coriolis, commandant des forces sous-marines et de la force océanique stratégique :

La permanence de la dissuasion nucléaire est le moteur principal de la motivation de nos équipages. Nous assurons cette permanence depuis 1972, soit plus de quarante ans sans discontinuer : 471 patrouilles ont été effectuées et seulement 15 ont été interrompues, une heure ou deux, pour procéder à des évacuations sanitaires.

Sa mission principale est de fournir une capacité de frappe en second, c'est-à-dire en réplique à une frappe massive sur le territoire français par exemple. Cette capacité de frappe en second lui est conférée par la permanence à la mer et l'invulnérabilité de ses sous-marins. Ceux-ci sont capables d'infliger des dommages inacceptables à un adversaire éventuel : chaque sous-marin est capable de transporter jusqu'à 96 têtes nucléaires de 100 kilotonnes chacune, à comparer aux 20 kilotonnes d'Hiroshima et Nagasaki.

Depuis 2001, la dissuasion s'est adaptée au contexte géostratégique et cible les centres de pouvoir et non plus des populations en tant que telles. La force océanique peut également être employée dans le cadre d'un avertissement nucléaire.

Toutes ces nouvelles dispositions offrent désormais au président de la République la boîte à outils dont il a besoin. Il y a un lien direct entre le chef de l'État et le commandant du sous-marin. Cette chaîne de mise en oeuvre est tout à fait fondamentale.

Tous les moyens de renseignement des armées convergent vers les sous-marins nucléaires. Je transmets ainsi aux sous-marins le meilleur renseignement possible, qu'il vienne de nos forces ou de l'OTAN.

Notre réseau des transmissions nucléaires est l'unique réseau en France résistant à l'impulsion électro-magnétique nucléaire.

La crédibilité technique et opérationnelle repose sur la cohérence des moyens dédiés à la dissuasion : ses deux composantes, les transmissions nucléaires, les moyens conventionnels nécessaires à sa protection et à son fonctionnement, les programmes consacrés à son renouvellement ou à son entretien.

J'ai l'habitude de dire à mes équipages que le président utilise tous les jours la dissuasion, même s'il ne l'emploie pas.

Pour compléter les propos du chef d'état-major sur la permanence à la mer, je voudrais préciser que celle-ci ne signifie pas tenir en permanence un stade d'alerte élevé. Ce stade d'alerte est modulable par le président de la République et peut aller de quelques jours à quelques heures. Aujourd'hui un SNLE est ainsi en permanence à la mer, un deuxième est à la mer ou susceptible d'y être sous faible préavis, un troisième pouvant également participer à la posture mais avec un délai plus long. C'est cette permanence à la mer qui a déterminé notre format de quatre sous-marins minimum, nombre qui a été également retenu par les Britanniques.

Je vais dire quelques mots sur l'invulnérabilité de nos SNLE. Pour la préserver, nous sommes attentifs à l'évolution des techniques.

La discrétion de nos sous-marins comprend à la fois la furtivité et le durcissement dans les domaines acoustiques et non acoustiques. Nous travaillons aussi sur la dilution, à savoir la mobilité, capacité à naviguer à une vitesse élevée pendant longtemps, et la dispersion, c'est-à-dire dans une grande zone de déploiement. Je tiens à saluer à cette occasion le service de santé des armées qui, en nous fournissant un médecin et deux infirmiers, capables de pratiquer des interventions sous anesthésie générale, nous donne la possibilité d'assurer cette permanence à la mer.

Le service hydrographique de la marine (SHOM) nous rend aussi de grands services grâce à son travail de relevés des fonds marins. Si seule la connaissance de la tranche d'eau entre 0 et 30 mètres est nécessaire pour les bâtiments de surface, la force sous-marine a besoin pour sa part d'une connaissance plus approfondie.

La particularité de la vie en espace confiné est seulement partagée avec la vie à bord des stations spatiales. Le personnel fait naturellement l'objet d'un suivi médical tout particulier. Grâce à l'Observatoire de surveillance des Vétérans, nous savons, en quarante ans d'expérience et sur une population de 17 000 sous-mariniers, qu'il n'existe pas de pathologie particulière liée à la navigation sur sous-marin nucléaire.

L'entraînement se fait aujourd'hui aux deux tiers sur simulateur et un tiers à la mer. Un cycle d'entraînement sur SNLE dure dix mois avec six ou sept postes de manoeuvre par cycle.

Nous avons besoin d'un soutien opérationnel fort. Les forces nucléaires disposent de l'environnement nécessaire à leur mise en oeuvre autonome et en sûreté. Mais la protection des approches, à l'entrée et à la sortie du goulet de Brest mobilise donc des moyens d'escorte importants.

Nos SNA participent à la crédibilité de la dissuasion car ils sont en quelque sorte la vitrine de nos forces sous-marines aux yeux du monde. Leur activité aussi bien en opérations qu'en exercice témoigne du niveau opérationnel de l'ensemble des forces sous-marines. Leur disponibilité participe au renforcement de la crédibilité de notre dissuasion.

L'invulnérabilité des SNLE, gage de crédibilité de la dissuasion, repose autant sur les performances matérielles que sur la qualité des équipages.

Mon principal défi est d'armer ces SNLE. Il faut avoir à l'esprit qu'un SNLE c'est la base spatiale de Kourou, en plongée, propulsée par une centrale nucléaire ! Sont localisées au même endroit trois technologies à haute complexité. J'ai besoin d'experts. La marine les recrute, les sélectionne, les forme ensuite en plusieurs étapes : électricien-mécanicien, atomicien. J'observe un niveau en mathématiques et en physique à l'entrée qui décroît et qui nécessite une formation plus poussée de notre part. Sur un équipage de 110 personnes, nous avons une vingtaine d'atomiciens. Chaque cas est unique et fait l'objet du plus grand suivi de notre part pour qu'il aille au bout du cursus. Chacun fait une carrière de 17 à 19 ans, avec 20 000 heures de plongée en moyenne avant de vouloir arrêter de naviguer, à un moment où la pression familiale est plus forte.

Je dois également composer avec une génération « e-connectée » qui doit accepter de se déconnecter pendant les soixante-dix jours de sa mission. Il leur faut une motivation forte pour cela.

Le soutien technique « métier » pour des installations aussi complexes est également primordial. La propulsion nucléaire navale est un joyau que nous sommes les seuls à détenir avec les États-Unis, la Russie et la Chine – le Royaume-Uni a acheté celle des Américains. Le MCO permet d'assurer la disponibilité des sous-marins et de maintenir la confiance des équipages dans la sûreté de leurs bâtiments, ce qui est un facteur important de la pérennité des forces sous-marines.

Un petit mot sur la résilience des infrastructures. Les infrastructures de l'Île Longue ont aujourd'hui plus de quarante ans et il faut leur donner encore quarante ans de vie, en les rénovant tout en continuant à assurer la posture.

Avant de conclure, je vais dire quelques mots sur la force aéronavale nucléaire (FANU). Avec les forces aériennes stratégiques (FAS) de l'armée de l'air, elle constitue la seconde partie de la composante aéroportée de la dissuasion. Concrètement, il s'agit de disposer de la capacité pour les Rafale F3 de l'aéronautique navale à mettre en oeuvre le missile air sol moyenne portée amélioré (ASMP-A), comme le fait l'armée de l'air, mais depuis le porte-avions Charles de Gaulle. La FANU bénéficie de l'ensemble des avantages offerts par l'outil porte-avions.

C'est une force non-permanente bien qu'activable à tout moment - en dehors des périodes d'indisponibilité du porte-avions. Elle constitue une composante autonome, qui peut être mise en oeuvre seule, sans complément des moyens de la FOST ou des FAS. Les moyens humains et matériels de la FANU bénéficient d'une qualification opérationnelle permanente et sont prélevés sur le vivier organique « conventionnel ». Ces moyens ne sont pas dédiés. L'essentiel de l'entraînement nécessaire à la qualification opérationnelle de la FANU est effectué lors de missions conventionnelles - vols tactiques, exercices de mécanisation à bord - et ne nécessite que très peu de potentiel dédié.

Elle bénéficie de la souplesse d'emploi ainsi que du caractère ostentatoire qu'offre l'outil porte-avions : exercice de la pression politique dès l'appareillage du port-base ou durant le transit, capacité de prépositionnement ou de redéploiement sans contrainte géographique et capacité de démonstration de force graduée.

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