Intervention de Christian Descheemaeker

Réunion du 30 avril 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres de la Cour des comptes :

Le rapport que je vais vous présenter est la réponse à une commande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale.

Le Paquet énergie-climat est un ensemble de textes européens – un règlement, trois directives et une décision – adopté en 2008, à charge pour chaque État de prendre les mesures nécessaires pour l'appliquer. La Cour des comptes a eu à traiter de la mise en oeuvre des mesures d'application de ce Paquet énergie-climat. Plutôt que de confier le travail à une seule chambre de la Cour, nous avons décidé de créer une formation interchambres comprenant une chambre énergie et une chambre climat, et nous avons fait appel à un comité d'experts indépendants pour affermir nos positions.

Le rapport de la Cour contient quatre messages.

Tout d'abord, la France s'est fixé des objectifs ambitieux sans suffisamment tenir compte de ses spécificités, dont la première tient à ce que l'économie de notre pays est l'une des moins émettrices de carbone. Le secteur de l'énergie pesant moins lourd que dans d'autres pays, le secteur des transports devient le premier émetteur de carbone, l'agriculture étant la principale émettrice des autres gaz à effet de serre.

Par ailleurs, les instruments communautaires de réduction des gaz à effet de serre ont pour le moment échoué ; quant aux mesures prises au niveau national, qui sont foisonnantes, il arrive qu'elles se contrarient.

En outre, les premiers résultats des mesures prises sont plutôt positifs dans la mesure où nous devrions atteindre les objectifs fixés, mais ils sont ambivalents car ils ont été réalisés en partie en raison de la crise économique.

Enfin, pour limiter le réchauffement climatique, il serait préférable que l'Europe et la France se fixent un objectif de réduction de l'empreinte écologique plutôt que des émissions. En effet, en important un produit fabriqué à l'étranger, nous importons aussi un contenu de carbone, donc de gaz à effet de serre.

Revenons au premier message : les objectifs du Paquet énergie-climat ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités françaises. Sans vous rappeler l'historique des négociations internationales – la Conférence de Rio en 1992, le protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005 – il faut garder à l'esprit que depuis 2009, la négociation internationale échoue à fixer pour les États membres des objectifs contraignants.

Toujours est-il que l'Union européenne, qui ne pèse pas lourd dans les émissions mondiales – 8 % seulement – s'est fixé avec le Paquet énergie-climat un ensemble hétérogène de trois objectifs ambitieux, dits « 3x20 ».

Le premier vise à réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020 par rapport au niveau de 1990, et non pas seulement à les stabiliser. Derrière cet objectif se profile la division par quatre des émissions en 2050.

Le deuxième objectif consiste à faire progresser d'ici à 2020 la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale jusqu'à ce qu'elle atteigne 20 %. La France est allée plus loin en retenant un objectif de 23 %.

Le troisième objectif est d'augmenter notre efficacité énergétique de 20 % en 2020, mais aucun texte ne rend cet objectif contraignant.

Il est plus facile d'atteindre un objectif que trois. En outre, on peut poursuivre deux objectifs qui vont dans le même sens, mais qui peuvent se contrarier dans certains cas. C'est exactement ce qui se passe avec les énergies renouvelables et le fameux problème de l'intermittence. La production d'une usine marémotrice est intermittente, mais cette intermittence est parfaitement prévisible puisqu'elle est liée aux horaires de marées. Le problème se pose lorsque l'intermittence n'est pas facilement prévisible, car elle désorganise la production et la distribution d'électricité. Nous en avons l'illustration avec ce qui se passe en Allemagne. La production allemande d'électricité fluctue selon que le vent souffle ou ne souffle pas, que le soleil brille ou ne brille pas. L'Allemagne peut se trouver un jour avec une production considérable d'électricité et ne plus en avoir du tout le lendemain. Et contrairement à ce qu'affirment certains, l'absence de vent dans le nord de l'Allemagne ne signifie pas nécessairement qu'il y a du vent dans le sud, et cela vaut également pour le soleil.

Or il n'existe pas de compensation pour équilibrer les fluctuations considérables de la production d'énergies renouvelables. En Allemagne, pour combler les déficits, l'électricité ne se stockant pas, on utilise le gaz et plus encore le charbon. Or les centrales au charbon sont très polluantes, ce qui a pour résultat l'augmentation des émissions de carbone.

Le recours aux énergies renouvelables en Allemagne produit donc un effet exactement inverse à celui recherché, à savoir la réduction des émissions de GEF, sans parler des problèmes liés aux réseaux de distribution et aux tensions avec la Pologne et la Tchéquie, l'électricité circulant sans passer la douane…

J'en reviens à la situation particulière de la France qui est l'un des pays les moins carbonés. Si l'on rapporte le volume des émissions au PIB, la France produit, pour 1 million d'euros de PIB, 227 tonnes d'équivalent CO2. C'est un chiffre très faible comparé aux autres pays – cela représente les deux tiers de la moyenne européenne.

En France, la production d'électricité étant très largement d'origine nucléaire et hydraulique, elle est cinq à six fois moins émettrice de carbone que celles de l'Allemagne et des Pays-Bas, et dix fois moins émettrice que celles de Pologne et de Chine.

De ce fait, le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre est celui des transports, qui représente 28 % des émissions, pour l'essentiel dues au transport routier, et dont les émissions se sont nettement accrues entre 1990 et 2004. Le deuxième secteur est l'industrie – 22 % des émissions. Celles-ci sont en diminution, mais nous ne sommes pas en mesure de faire la part entre ce qui relève de l'amélioration des techniques de production et de dépollution et la diminution de la production industrielle due aux difficultés économiques et aux délocalisations.

L'agriculture produit 21 % des émissions nationales de gaz à effet de serre, alors que le niveau européen se situe autour de 9 %. Certes, ce n'est pas le dioxyde de carbone qui est en cause, car l'agriculture émet relativement peu de CO2 ; c'est le protoxyde d'azote et le méthane, le premier étant dû aux engrais, le second à l'élevage. Ces chiffres sont intéressants, d'autant que les mesures prises dans le domaine agricole sont peu nombreuses.

Les émissions du secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, sont stables en France alors que les pays voisins sont parvenus à les réduire. Nous avons tendance à améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments, mais l'isolation est une entreprise complexe. Par ailleurs, l'augmentation des surfaces du parc de logements contrebalance les efforts obtenus.

La situation démographique de la France n'est pas suffisamment prise en compte. Notre population, comme celle de l'Irlande, connaît une évolution plus dynamique que les autres pays d'Europe, de sorte que les objectifs contraignants acceptés par la France seront plus difficiles à tenir pour elle à terme et dans l'immédiat. Sans doute avons-nous accepté ces contraintes parce que nous n'avons pas décomposé tous les éléments de la négociation et toutes les étapes qui ont abouti à ce processus. Il ne s'agit pas de dire que le Gouvernement n'a pas négocié, mais le résultat de la négociation, toutes proportions gardées, est plus contraignant pour nous que pour d'autres pays.

Deuxième message adressé dans son rapport par la Cour : les mesures prises sont foisonnantes, mais pas toujours cohérentes entre elles.

Au plan communautaire, le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre est un échec. Ce mécanisme compliqué n'a pas réussi à donner au carbone une valeur économique suffisamment dissuasive. En outre, il s'est traduit à ses débuts par une fraude massive à la TVA, qui a occasionné pour la France une moins-value de recettes de 1,6 milliard d'euros.

Quant au captage et au stockage de CO2, la rentabilité des projets est faible. Il existe des démonstrateurs, mais les procédés consistant à enfouir le carbone capté n'ont pas encore dépassé le stade expérimental.

Au plan national, les mesures sont très nombreuses. Leur coût est estimé approximativement à 19,8 milliards d'euros, dont 3,6 milliards de crédits budgétaires de l'État. La Cour des comptes regrette que le document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique, annexé à la loi de finances, ne dispense pas une information complète sur ce sujet.

Parmi ces mesures, le crédit d'impôt développement durable permet de financer des travaux d'isolation dans des conditions qui fluctuent d'une année sur l'autre. Il faut savoir que le coût public pour éviter l'émission d'une tonne de gaz carbonique par le biais de l'isolation est de 21 euros quand il est de 432 euros en recourant à l'énergie solaire thermique, soit une multiplication par vingt. Mieux vaut donc privilégier l'isolation des toits et des murs pour une meilleure utilisation des crédits.

D'autres mesures concernant le logement manquent d'efficacité : l'éco-prêt à taux zéro et le diagnostic de performance énergétique qui se révèle peu fiable. En revanche, le fonds chaleur ayant fait la preuve de son utilité, la Cour plaide – chose rare – pour une augmentation de ses moyens, actuellement trop limités.

Le soutien aux énergies électriques renouvelables repose sur le tarif d'achat qui est financé par le consommateur au travers de la contribution au service public de l'électricité. On connaît les effets pervers de ce mécanisme qui est à l'origine de la bulle dans l'énergie photovoltaïque. Quant à la filière éolienne, son développement est freiné par la rigidité du cadre réglementaire. La géothermie, pour sa part, est victime de la lourdeur du code minier.

Dans l'agriculture, les rares mesures portent de surcroît sur les émissions de gaz carbonique alors que celles-ci ne représentent que 8 % des gaz à effet de serre émis par ce secteur. Pour être efficace, l'action devrait être orientée vers la fertilisation et l'élevage.

Dans le secteur des transports, les mesures sont onéreuses et faiblement efficientes. Le coût de la tonne de gaz carbonique évitée est ainsi de 1 000 euros pour les infrastructures. J'indique à cet égard que le TGV est moins miraculeux qu'on ne le dit, car il faut intégrer le coût de la construction du train et de la ligne.

Enfin, la politique d'exemplarité de l'État reste lettre morte, faute de crédits.

Ces différentes mesures ne constituent pas un ensemble cohérent. Pour y remédier, le pilotage interministériel pourrait être assuré plus fortement par la Direction générale de l'énergie et du climat.

Troisième message : les premiers résultats sont positifs, mais contrastés. Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 13 % depuis 2005, en dépit d'une faible contribution des transports et de l'agriculture, que compense une plus forte contribution de l'industrie en raison de la crise économique.

L'objectif d'une réduction de 20 % semble accessible même s'il repose sur des hypothèses volontaristes, voire irréalistes dans certains domaines comme la construction de logements neufs ou la rénovation thermique des bâtiments. En outre, les outils de modélisation font défaut pour aider à la décision.

Les énergies renouvelables enregistrent des progrès sensibles. Leur part représente aujourd'hui 13 %, contre 10 % en 2005. Mais cette augmentation profite davantage à l'électricité qu'aux sources de chaleur, alors que le rendement est plus élevé pour ces dernières que pour la première. L'objectif de 20 % paraît là difficile à atteindre, sauf à consentir des efforts bien plus importants, notamment financiers.

Je reviens sur la question de l'intermittence des principales énergies renouvelables. Compte tenu de son extrême variabilité, la production d'électricité d'origine renouvelable est très inférieure à la puissance installée – elle n'en représente que 20 %. Pour compenser cette insuffisance, il n'existe pas, à ce jour, de meilleure solution que les centrales thermiques qui malheureusement fonctionnent au charbon plutôt qu'au gaz. La préférence va au charbon, moins coûteux aujourd'hui en raison de l'évolution des prix aux Etats-Unis. Mais ce phénomène n'était pas prévisible il y a cinq ans.

Il faut également intégrer dans le coût du développement des énergies renouvelables celui du transport. La modernisation du réseau de distribution actuel, qui n'est pas adapté à une production éolienne, engendre un coût supplémentaire.

La France consacre chaque année 37 milliards d'euros, publics ou privés, aux investissements dans le domaine de l'énergie, pour des projets aussi divers que l'installation d'une pompe à chaleur chez un particulier ou une ligne à grande vitesse. Pour réaliser la transition énergétique, ce montant devrait augmenter d'un tiers, voire doubler jusqu'en 2050. La Cour en déduit qu'il est souhaitable de faire porter les efforts plus sur les économies d'énergie que sur la décarbonation de la production d'énergie.

Pour ce faire, des actions dans le domaine des transports, de l'agriculture et du bâtiment doivent être menées. En matière de transports, la réduction de la consommation des voitures est une réalité – moins que ne le prétendent les constructeurs automobiles cependant – mais pour les camions, les progrès sont moindres.

Les mesures à prendre auront nécessairement un impact sur les modes de vie. Cela signifie, au-delà de 2020, une baisse de la consommation de viande et une diminution de l'utilisation des transports routiers.

Le quatrième message est relatif à la prise en compte de l'empreinte écologique. C'est une idée qui fait son chemin. La poursuite de l'objectif de réduction des émissions sur un territoire donné peut conduire à délocaliser celles-ci, ce qui est ennuyeux du point de vue non seulement économique, mais aussi climatique – à l'échelle de la planète, le lieu des émissions importe peu. Cet objectif n'est pas fondé sur un raisonnement très solide même s'il est plus facile à mesurer. Mesurer l'empreinte écologique est cependant chose faisable – on parle déjà de fuite de carbone pour désigner le fait de faire produire à l'étranger quelque chose qui émet beaucoup de carbone.

Avec les panneaux photovoltaïques, on se trouve face à un paradoxe : leur développement a été soutenu par des politiques nationales, mais leur bilan carbone global, sur leur cycle de vie qui n'est pas très long, est négatif dès lors que les plaques de silicium qui les composent sont importées de Chine, compte tenu des émissions de carbone chinoises. Pour éviter de tels effets pervers, les émissions de gaz à effet de serre liées aux importations doivent être mieux prises en compte, ce que permet la notion d'empreinte carbone.

Il est intéressant de noter que l'empreinte carbone de la France – 545 millions de tonnes de gaz carbonique – est plus importante que ses émissions – 410 millions de tonnes. Nous importons plus de carbone que nous en exportons.

Derrière le raisonnement de la Cour, qui justifie la préférence pour la notion d'empreinte, se trouve l'idée qu'il est difficile d'être cohérent en cherchant à atteindre en même temps trois objectifs. Le prochain Paquet énergie-climat devrait obéir à une autre logique, définissant un seul objectif décliné en sous-objectifs. Il faut éviter que les objectifs se télescopent comme le montre l'exemple de l'Allemagne où les émissions augmentent.

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