Madame la présidente, mesdames, messieurs, nous allons travailler cet après-midi sur un projet de loi visant à transposer la directive relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. C’est une directive dont l’objectif est de renforcer les droits de la défense, qui a été adoptée par le Parlement européen et par le Conseil le 22 mai 2012 et que nous devons transposer avant le 2 juin 2014. La plupart de ses dispositions sont déjà présentes dans notre droit positif, mais c’est aussi l’occasion de consacrer dans la loi une jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2011 et d’introduire les droits nouveaux contenus dans la directive qui concernent les personnes suspectées ou poursuivies.
Il est bon que nous gardions à l’esprit pendant tout le débat que cette directive relative au droit à l’information, la directive B, et la directive C, relative à l’accès à l’avocat, sont étroitement liées. Elles relèvent toutes les deux du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales. La directive C a été adoptée en novembre 2013 et ne doit être transposée qu’avant décembre 2016, mais les dispositions introduites par le Gouvernement dans le présent projet de loi anticipent un certain nombre des mesures qu’elle contient.
Ces deux directives relèvent en effet d’un dispositif commun. Nous sommes très précisément dans le cadre de la création de cet espace de liberté, de sécurité et de justice lancé à Tampere en 1999 par le Conseil européen. La justice a ainsi été introduite en tant que telle dans le droit communautaire. Du fait du traité de Lisbonne, l’intégralité du champ pénal est d’ailleurs dans le droit communautaire. Par conséquent, garder à l’esprit que ces deux directives sont liées, c’est comprendre qu’elles participent de la construction de cet espace, dont l’un des piliers fondamentaux est justement la reconnaissance mutuelle des procédures judiciaires et, en l’occurrence aujourd’hui, des procédures pénales.
La directive transposée par le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui et qui a été adopté par le Sénat le 24 février dernier introduit donc des droits nouveaux à tous les niveaux de la procédure, c’est-à-dire au stade de l’enquête, à celui de la poursuite ainsi qu’à celui du jugement.
Pour ce qui concerne l’enquête, ces droits sont au bénéfice des personnes entendues librement, de celles qui sont gardées à vue et de celles qui sont entendues sous statut de mis en examen ou de témoin assisté dans le cadre d’une instruction.
Pour ce qui est de la personne suspectée entendue librement d’abord, un véritable statut est érigé. Certains d’entre vous se souviennent probablement des débats sur l’audition libre que nous avons eus en 2011 dans le cadre de la loi sur la garde à vue. Ces débats ont été denses, mais le gouvernement de l’époque n’a pas souhaité en tirer les conséquences et n’a donc inscrit aucune disposition encadrant les conditions dans lesquelles les personnes pouvaient être entendues librement. La directive, elle, crée un véritable statut du suspect libre. Comme je le soulignais tout à l’heure, le présent projet de loi intègre aussi une jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2011 selon laquelle lorsqu’une personne est entendue librement, il convient de l’informer de la nature et de la date de l’infraction ainsi que de sa faculté de quitter les lieux des services d’enquête à tout moment.
Le Gouvernement a introduit bien entendu les droits supplémentaires contenus dans la directive : le droit au silence, c’est-à-dire que la personne doit être informée qu’elle peut garder le silence, le droit à un interprète et le droit à des conseils juridiques. Il a souhaité ajouter que lorsque l’infraction relève d’un délit ou d’un crime, la personne entendue librement peut avoir accès à un avocat. C’est une innovation qui relève non de la directive B qui doit être transposée aujourd’hui mais de la directive C, relative à l’accès à l’avocat, dont le délai de transposition est plus long.
C’est une réelle innovation, cohérente avec le reste puisqu’elle consolide le statut de la personne entendue librement, donc du suspect entendu librement. Si un délit ou un crime peut lui être reproché, cette personne peut recourir à un avocat. Cela dit, l’exécutif ayant un certain nombre de contraintes, cette importante disposition n’entrera en application qu’en janvier 2015. En effet, l’exercice budgétaire est déjà entamé, et permettre l’accès à l’avocat suppose de permettre l’accès à l’aide juridictionnelle. Nous avons estimé les besoins correspondants entre 11 et 25 millions d’euros. Il faut donc que l’exécutif abonde l’aide juridictionnelle pour que ce nouveau droit soit effectif.
Le Sénat a amélioré le texte du Gouvernement, notamment en précisant le point de départ de la garde à vue lorsque celle-ci fait suite à une audition libre. Il a ainsi consacré une jurisprudence de la Cour de cassation qui considère de façon constante que la durée de l’audition commencée librement doit être imputée sur la durée de la garde à vue. Votre commission des lois, à l’initiative de la rapporteure, a précisé que l’heure du début de la garde à vue est fixée à l’heure à partir de laquelle la personne a été privée de liberté.
Je saisis cette occasion pour saluer l’excellent travail fourni par Mme Untermaier, qui avait déjà démontré qu’elle pouvait grandement améliorer un texte dont elle avait la charge. En prenant en considération les demandes, sinon contradictoires, du moins divergentes des professionnels du terrain, votre rapporteure a réussi à concilier ces deux exigences que sont la protection des personnes et l’efficacité des enquêtes. Les dispositions que votre commission des lois a choisi d’adopter en témoignent.
Ainsi, elle a proposé que lors de la convocation à une audition, l’officier de police judiciaire informe la personne, lorsqu’elle a droit à un avocat, des conditions d’accès à l’aide juridictionnelle. Cette information pourra se faire au moyen d’un document communiqué à la personne ou par un affichage dans les locaux des services d’enquête. Par ailleurs, il est prévu que la personne entendue librement puisse accepter ou refuser expressément de commencer l’audition avant l’arrivée de son avocat.
Ce texte améliore également les droits des personnes gardées à vue, notamment parce qu’il prévoit que l’infraction qui leur est reprochée doit leur être signifiée et les motifs de la garde à vue leur être énoncés. Ces personnes peuvent avoir accès à la copie des pièces du dossier, droit jusque-là réservé à l’avocat. Enfin, elles reçoivent une déclaration écrite récapitulant l’ensemble de leurs droits.
Votre rapporteure est aussi à l’initiative d’une disposition selon laquelle lorsqu’une garde à vue est prolongée sans que l’intéressé soit présenté devant le procureur de la République ou devant le juge des libertés et de la détention, il peut contester par écrit la mesure de prolongation.
À l’initiative de Sergio Coronado, la commission des lois a adopté une disposition qui permet aux avocats d’avoir accès à l’entier dossier. Ce sujet est d’actualité depuis ce matin, avec une intensité quelque peu inattendue… Permettez-moi de vous présenter déjà les arguments de droit et d’opportunité que je développerai tout à l’heure, lors de la discussion approfondie que nous aurons sur cette disposition.
Pour ce qui est des arguments de droit, il est établi que la directive B n’impose pas l’accès à l’ensemble du dossier durant la garde à vue. Son article 7 indique que la personne doit avoir accès aux documents qui sont essentiels pour contester, conformément au droit national, la légalité de l’arrestation ou de la détention. Notre constitution ne définit pas en tant que telle les droits de la défense, mais le Conseil constitutionnel les a reconnus comme relevant des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, leur donnant donc valeur constitutionnelle. Dans son examen du projet de loi, le Conseil d’État a interprété l’accès au dossier comme un accès à des documents essentiels. Les jurisprudences du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme ne permettent pas de considérer qu’il y a là injonction ou même préconisation pour l’accès au dossier intégral.
S’agissant des arguments d’opportunité, je rappelle que la directive B porte sur le droit à l’information, tandis qu’une autre directive, relative au droit d’accès à un avocat, est en cours de transposition.
L’accès à l’entier dossier soulève par ailleurs un certain nombre de difficultés pratiques. Ainsi, le dossier est constitué au fur et à mesure de la garde à vue et n’est finalisé que lors de la levée de la mesure. Par ailleurs, si la garde à vue a été décidée par une commission rogatoire, il est évident que les enquêteurs ne disposent pas de la totalité du dossier.
La jurisprudence européenne elle-même émet un certain nombre de dérogations à la libre disposition de toutes les pièces du dossier, pour des raisons liées aux nécessités de l’enquête ou à la sécurité des personnes. Si nous permettions l’accès à l’entier dossier, il nous faudrait, dans notre droit interne, définir le plus précisément possible les pièces qui pourraient faire l’objet de cette dérogation. Sans cela, nous exposerions la procédure à des contestations et la fragiliserions, ce qui n’est pas souhaitable pour l’action de la justice.
Indépendamment de ces arguments de droit et d’opportunité, je considère que nous devons construire de façon pérenne les droits de la défense dans la procédure pénale, d’autant que 3 % seulement des procédures pénales font l’objet d’une information judiciaire : 97 % des procédures relèvent du parquet, où il n’y a que peu de fenêtres pour le contradictoire. Il est donc nécessaire d’améliorer l’architecture même de notre procédure pénale.
C’est la raison pour laquelle j’ai confié, le 3 février 2014, une mission à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon. Avec le concours d’un haut fonctionnaire de police, d’un avocat, d’un procureur de la République et d’un magistrat du siège, il formulera pour juin des propositions sur l’architecture même de la procédure pénale, de façon à introduire plus de phases contradictoires.
Cette mission travaillera bien sûr sur la question de l’accès à l’entier dossier. Cette mesure est déjà sur la table, d’abord parce qu’elle est réclamée depuis plusieurs années par les avocats, et parce que certains d’entre eux ont introduit, en décembre 2013 et en janvier 2014, des procédures en annulation sur ce fondement. Je suis persuadée qu’il faut consolider la procédure pénale et mieux assurer les droits de la défense mais, compte tenu de l’objet de la directive B et de la nécessité de définir préalablement les pièces du dossier susceptibles d’échapper à cet accès intégral, je vous proposerai de différer cette disposition.
Le texte améliore également les droits des personnes entendues par le juge d’instruction comme témoins assistés ou comme personnes mises en examen. Il prévoit notamment que leur soient notifiés leur droit au silence et leur droit d’être assistées par un interprète et un conseil juridique.
Les parties pourront désormais demander une copie des pièces du dossier, droit jusque-là réservé aux avocats. En contrepartie, la commission des lois, sur proposition de la rapporteure, a adopté une disposition qui me paraît particulièrement bienvenue : le triplement du montant de l’amende applicable aux parties qui en communiqueraient la copie à des tiers, amende qui passe de 3 750 à 10 000 euros. Cette contrepartie à l’accès direct des parties au dossier de la procédure me paraît indispensable pour garantir le secret de l’instruction, la présomption d’innocence et l’efficacité des enquêtes.
S’agissant des autres phases de la procédure, la poursuite et le jugement, le texte prévoit que, par parallélisme, la personne soit également informée de ses droits au moment de la délivrance de la citation directe ou de la convocation en justice. La personne pouvant également avoir accès à une copie des pièces du dossier, le texte précise le délai dans lequel les pièces sont mises à disposition. En citation directe, elles peuvent être immédiatement consultées au greffe du tribunal concerné ; en cas de convocation en justice, le tribunal dispose de deux mois.
Le projet de loi permet aussi aux parties de demander des investigations supplémentaires. Existant de manière implicite, pratiquée dans un certain nombre de juridictions, cette possibilité sera inscrite dans le code de procédure pénale. En cas de refus, la juridiction devra s’en expliquer par un avis motivé. Si elle fait droit à cette demande, elle pourra demander à l’un des membres de la formation de jugement ou à un juge d’instruction de procéder à ce supplément d’information.
Vous avez ajouté à cela la possibilité pour le président du tribunal correctionnel d’ordonner lui-même avant l’audience, s’il les juge justifiées, ces investigations supplémentaires. C’est une façon très utile de mettre à profit la période qui précède l’audience. Bien entendu, le président du tribunal correctionnel, ainsi que le président du tribunal d’assises, doit informer les prévenus ou les accusés de leur droit au silence et de leur droit à être assistés d’un interprète.
Les personnes présentées au procureur de la République dans le cadre d’une comparution immédiate ou suite à procès-verbal pourront être assistées d’un avocat, lequel pourra exposer au procureur des éléments d’appréciation. Le procureur pourra modifier ses intentions en matière d’action publique et, le cas échéant, décider d’une instruction préparatoire.
Voilà l’essentiel des dispositions et droits nouveaux contenus dans ce projet de loi. Pour ce qui fait encore débat, je rappelle que des travaux sont en cours. Jusqu’à maintenant, notre procédure pénale a été modifiée sous le coup de décisions, de censures qui émanaient des cours suprêmes, nationale ou européenne, par à-coups et sans cohérence. Il nous faut changer de méthode, car il est clair que notre procédure pénale manque de cohérence.
Ce changement de méthode nous permettra tout d’abord d’apaiser quelque peu les contestations, car les procédures pénales actuelles cristallisent les critiques, à la fois celles des avocats qui considèrent qu’ils ne peuvent pas assurer de manière satisfaisante les droits de la défense de leurs clients et celles des enquêteurs, policiers et gendarmes, pour qui ces modifications successives fragilisent les enquêtes, nuisent à leur efficacité et pénalisent au final l’action judiciaire.
Surtout, il faut renforcer la sécurité juridique afin de ne plus nous retrouver à devoir modifier la procédure pénale dans l’urgence, voire à faire face à des annulations de procédure, ce qui peut arriver lorsque, par exemple, la Cour de cassation exerce son contrôle de conventionnalité – lequel, toujours rétroactif, peut conduire à annuler des procédures – ou encore lorsque le Conseil constitutionnel censure une disposition – s’il ne renvoie pas sa censure à l’avenir, s’il la considère comme immédiatement applicable, des procédures peuvent être annulées.
Ce changement de méthode tient compte de ces critiques afin d’améliorer l’efficacité de l’enquête pénale et d’assurer la sécurité juridique la plus complète possible à nos procédures. Pour cette raison ai-je chargé le procureur Jacques Beaume de cette mission. Ses propositions nous permettront de penser globalement la procédure pénale, de la moderniser, de prendre en considération tous les progrès du droit européen que nous devons transposer dans notre droit interne, et de faire en sorte que les enquêtes soient efficaces. L’on craint trop souvent d’introduire du contradictoire ou d’améliorer les droits de la défense dans le cadre des enquêtes pénales, alors que l’expérience a prouvé que l’efficacité de ces enquêtes s’en trouvait au contraire grandie.
Le 06/05/2014 à 09:54, laïc a dit :
Beaucoup trop long ce discours, pour quelqu'un qui veut simplifier les démarches administratives, ça manque de cohérence. Parlons peu, mais parlons bien, disais je ne sais plus qui...
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