Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

J’observe que le Gouvernement est également conscient de ce fait puisque le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer plus encore l’indépendance de la justice est prêt. Il ne dépend plus que de l’opposition que ce projet aille à son terme. Par ailleurs, notre garde des sceaux Christiane Taubira a confié une mission à M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d’appel de Lyon, en février 2014, pour réviser l’ensemble de l’architecture de l’enquête pénale. Nous vous remercions de cette initiative, madame. Nous regrettons simplement que le calendrier de cette mission n’ait pu être compatible avec l’examen du présent projet de loi, mais il est vrai que l’exercice était difficile.

J’en viens au contenu du projet de loi, que vous avez exposé de façon magistrale, madame la garde des sceaux. Rappelons simplement l’importance de la création du statut de suspect libre. Désormais, la personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction qui sera auditionnée par les services d’enquête se verra notifier l’ensemble de ses droits avant le début de l’interrogatoire. Ces droits ne sont pas nouveaux : c’est l’obligation de leur notification en début d’audition qui est nouvelle, et qui renforce leur effectivité. S’ajoute tout de même un droit nouveau, celui de pouvoir demander l’assistance d’un avocat dans le cas où la personne serait soupçonnée d’avoir commis un délit ou un crime.

Ce droit à l’information des droits est renforcé également pour toutes les personnes privées de liberté, et ce à tous les stades de la procédure.

Le renforcement du débat contradictoire à tous les stades de la procédure pénale est également au coeur du nouveau dispositif législatif, avec d’une part le droit nouveau d’être assisté par un avocat en cas d’audition libre mais également en cas de confrontation de la victime avec le suspect libre, et d’autre part l’ouverture d’un droit d’accès au dossier aux parties alors qu’il était jusqu’ici réservé aux seuls avocats. Les parties pourront donc demander une copie des pièces de la procédure, qui leur sera transmise à titre gratuit.

Enfin, le Gouvernement a proposé de supprimer la possibilité de porter la garde à vue de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures en cas de délit d’escroquerie en bande organisée prévue par l’article 706-88 du code de procédure pénale, pour tirer les conséquences, parce qu’il fallait bien le faire, de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013 concernant la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale. La commission des lois a, pour sa part, présenté une solution alternative. Nous avons, depuis, retravaillé ensemble, et nous discuterons de cette proposition.

La commission des lois, pour ce qui est de ses principaux apports, a tout d’abord souhaité clarifier, à l’article 62 du code de procédure pénale, le statut des différentes personnes entendues par les services d’enquête et préciser l’articulation entre ces différents statuts, témoin libre, témoin retenu pendant au plus quatre heures, suspect libre et suspect placé en garde à vue.

Plusieurs amendements renforcent le caractère effectif ou simplificateur des droits accordés au suspect libre. Ainsi, il est fait obligation à l’officier de police judiciaire de rappeler brièvement, si besoin est, les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle lorsqu’il notifie le droit d’être assisté par un avocat, et d’établir un procès-verbal de l’audition dans lequel sera notifiée l’information ainsi donnée sur tous les droits prévus par l’article 1er du projet de loi.

Lorsqu’une convocation écrite est adressée ou remise au suspect libre, ce qui reste une faculté pour les services d’enquête, l’obligation est faite d’y mentionner l’infraction pour laquelle la personne convoquée est suspectée, sauf si les nécessités de l’enquête ne le permettent pas, ainsi que son droit d’être assistée par un avocat, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle pourra obtenir, avant sa venue, des conseils juridiques. Ces dispositions nous paraissent aller dans le bon sens.

Enfin, suivant nos propositions, la commission a également précisé explicitement qu’il était possible d’auditionner le suspect hors la présence de son avocat, sur décision expresse de l’intéressé.

Concernant les personnes gardées à vue, a été réintroduite dans le projet de loi telle qu’elle existait dans le code de procédure pénale la possibilité de notifier immédiatement les droits d’une personne étrangère qui ne comprend pas le français par la remise d’un document traduit dans une langue qu’elle comprend, sans attendre l’arrivée de son interprète. Cette mesure me semble utile.

Suivant la proposition de nos collègues du groupe écologiste Sergio Coronado et Paul Molac, la commission a également voté la possibilité pour l’avocat d’une personne gardée à vue de consulter l’ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l’exercice des droits de la défense. Précisons que le Sénat n’avait pas remis en cause l’accès restreint aux pièces du dossier pendant la garde à vue : procès-verbal de notification de la garde à vue, procès-verbal d’audition du gardé à vue et certificat médical. Je ne m’étends pas sur cette question dont vous avez longuement parlé et dont nous allons bientôt débattre.

Enfin, pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013, la commission a proposé de limiter les possibilités de prorogation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures à une seule prorogation de vingt-quatre heures en cas de délit d’escroquerie en bande organisée. Néanmoins, durant tout le week-end, nous avons travaillé sur cette question en relation avec le Gouvernement, qui a mis en avant un risque d’inconstitutionnalité. Nous l’avons entendu et nous vous proposons un autre dispositif, adopté par la commission des lois au titre de l’article 88, consistant à maintenir la prolongation possible jusqu’à quatre-vingt-seize heures mais en renforçant les droits de la défense par la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue et en caractérisant le délit dans sa complexité et dans des faits en lien hors le territoire national.

Pour ce qui est de la procédure devant les juridictions de jugement, plusieurs amendements ont été adoptés par la commission, tendant soit à renforcer la qualité du débat contradictoire – ainsi en est-il de l’accès direct au dossier pour la personne déférée devant le procureur de la République et convoquée au tribunal en comparution immédiate ou par procès-verbal lorsqu’elle n’est pas assistée d’un avocat – soit à faciliter la procédure de jugement – le président du tribunal correctionnel pourra ainsi ordonner lui-même les suppléments d’information demandés par les parties, et ce avant l’audience. Vous avez déjà évoqué tout cela, madame la garde des sceaux.

Pour conclure, je considère aujourd’hui, compte tenu des nombreuses auditions que j’ai menées, y compris dans le cadre d’un atelier législatif citoyen dans ma circonscription dont vous pourrez lire le compte rendu dans mon rapport, que ce projet de loi comporte des avancées indéniables en faveur des personnes suspectées et poursuivies et clarifie les droits de chacun selon son statut, témoin, suspect libre ou suspect privé de liberté.

C’est pourquoi je vous invite à adopter ce projet de loi, moyennant néanmoins un certain nombre d’amendements, principalement destinés à rétablir un certain équilibre entre l’efficacité de l’enquête et le respect du contradictoire et des libertés fondamentales dans certaines situations. Cette recherche d’équilibre, dont les auditions nous ont permis de mesurer l’impérieuse nécessité, a été notre préoccupation. Elle le sera tout autant dans le débat qui nous attend.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur les conséquences, pour les finances publiques et l’efficacité du service public, des dispositions proposées, qui supposeront un effort budgétaire important à compter de 2015 en faveur des missions « Justice » et « Police ». Il conviendra d’être vigilants. L’étude d’impact prend en compte cette dimension à l’exacte mesure des effets du dispositif législatif tel que projeté par le Gouvernement. Enfin, la charge administrative que représente toute nouvelle disposition législative ne peut pas non plus être méconnue par les législateurs que nous sommes. Nous en avons vraiment tenu compte lorsque nous avons proposé les modifications que je viens de vous présenter. Je vous remercie.

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