Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, la réforme de la garde à vue du 14 avril 2011 a incontestablement renforcé les droits de la défense. Chacun conviendra toutefois qu’elle reste insuffisante au regard des exigences européennes, qu’il s’agisse des bénéficiaires des droits reconnus ou de l’étendue du droit d’accès au dossier. C’est pourquoi nous jugeons opportun ce projet de loi qui vise à transposer deux directives participant à l’édification d’un socle européen de droits et garanties procéduraux élémentaires.

Avant d’aborder quelques aspects de cette transposition, permettez-moi deux remarques. Tout d’abord, même si le recours à la procédure accélérée s’explique par la nécessité de transposer la directive B du 22 mai 2012 au plus tard le 2 juin 2014, nous regrettons cette manière précipitée de légiférer qui, en matière de droits de la défense et de contradictoire, ne saurait être satisfaisante. Ensuite, je fais mienne la remarque de Mme la rapporteure : comme de nombreux professionnels, nous ne pouvons que désapprouver la révision au compte-gouttes de notre procédure pénale, faite pour se conformer aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme et du droit de l’Union européenne. Nous plaidons pour notre part en faveur d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, permettant d’assurer d’une part un rééquilibrage entre les magistrats du parquet et ceux du siège et d’autre part l’efficacité de l’enquête ainsi que le respect du contradictoire et des libertés fondamentales.

Ceci étant précisé, ce projet de loi comporte plusieurs avancées significatives, même s’il connaît aussi des insuffisances. Il propose tout d’abord des avancées pour les personnes mises en cause mais non placées en garde à vue, avec la création d’un véritable statut du suspect libre. L’audition d’un suspect libre sera désormais strictement encadrée. Si les dispositions prévues viennent ici combler le grand vide juridique existant en cas d’audition d’une personne suspecte en-dehors du cadre réglementé de la garde à vue, nous regrettons cependant que le projet de loi ne limite pas la durée de l’audition libre, ce qui aurait constitué une garantie procédurale pour le suspect.

Autre avancée notable : le projet de loi renforce le contradictoire dans la phase préparatoire du procès pénal. Il élargit ainsi le droit d’être assisté par un avocat en cas d’audition libre et en cas de confrontation entre un suspect libre et une victime, laquelle pourra aussi être assistée d’un avocat. Il s’agit là d’une avancée indispensable, comme l’est aussi l’ouverture d’un droit d’accès au dossier pour les parties.

Le projet de loi prévoit certes d’ouvrir le contradictoire à l’issue de la garde à vue lorsque le procureur de la République envisage une comparution immédiate ou une comparution par procès-verbal de la personne qui lui est déférée, mais il est permis de douter de l’efficacité de cette mesure si l’avocat ne bénéficie toujours pas de l’accès à l’intégralité du dossier de son client. Par ailleurs, la possibilité pour les parties ou pour leur avocat de demander au tribunal, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, par conclusion écrite, qu’il soit procédé à tout acte qu’ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité, constitue également une avancée que nous tenons à souligner. De même, l’allongement du délai entre la notification d’une citation directe ou d’une convocation par l’officier de police judiciaire et l’audience permettra l’exercice effectif des droits de la défense.

Si le projet de loi renforce les droits à l’information des personnes privées de liberté, ces avancées semblent peu significatives compte tenu du fait, nous y reviendrons au cours du débat, que la principale revendication quant aux personnes gardées à vue est relative à l’accès au dossier par l’avocat. Les pièces de la procédure dont celui-ci peut, depuis la loi de 2011, prendre connaissance sont limitativement énumérées à l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Avec ce projet de loi, le suspect libre n’aura accès qu’au procès-verbal de son audition et la personne gardée à vue ne pourra pour sa part que consulter le procès-verbal de notification de sa garde à vue, son dossier médical et ses procès-verbaux d’audition à l’exclusion de toutes les autres pièces de la procédure.

Le Gouvernement, comme vient de nous le confirmer Mme la garde des sceaux, nous propose ici une transposition a minima des objectifs de la directive de 2013, transposition qui est préjudiciable aux droits de la défense. Comme Mme la rapporteure l’a souligné dans son rapport, cette transposition a minima est d’ailleurs critiquée par les représentants des avocats, par le Syndicat de la magistrature et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui considèrent que ce projet de loi doit être l’occasion de donner aux avocats un accès intégral au dossier de la garde à vue afin de garantir l’exercice des droits de la défense. C’est la position que nous défendrons ici.

Pour conclure, vous ne serez pas surprise, madame la garde des sceaux, que j’insiste sur la nécessité d’attribuer à la justice les moyens nécessaires afin de rendre effectifs les nouveaux droits reconnus par ce projet de loi. Les professionnels insistent à juste titre sur les coûts de cette réforme, qui sont visiblement sous-évalués dans l’étude d’impact. Ainsi, n’est pas pris en compte le coût des copies des nouveaux formulaires de notification, non plus que la nécessaire adaptation des logiciels de rédaction de procédure pour établir les procès-verbaux de notification, ou encore les frais de traduction dans toutes les langues. De même, l’impact de ce texte sur l’aide juridictionnelle sera très important ; là encore, l’estimation du Gouvernement est contestée par les services d’enquête et par les barreaux.

C’est pour toutes ces raisons, et tout en continuant de regretter l’absence d’une réforme d’ensemble de notre procédure pénale, que les députés du Front de gauche voteront en faveur de ce texte qu’ils veulent considérer comme une première étape dans le renforcement des droits de la défense.

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