Intervention de Elisabeth Pochon

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon :

Nous sommes réunis pour débattre de la transposition d’une directive sur le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Qualifions cela de texte de transition : la directive européenne que nous nous apprêtons à transcrire dans notre droit interne, dans les délais pour une fois, comme l’a fait remarquer Mme la rapporteure, ce qui nous vaudra donc d’échapper à l’amende cette fois-ci, est une étape dans la mutation progressive de notre procédure pénale. Cette mutation va dans le sens d’une plus grande prise en compte des droits du suspect et d’une place de plus en plus large faite au respect des droits de la défense et des libertés, corollaires de la présomption d’innocence.

À ce titre, le projet de loi s’inscrit dans la lignée de réformes telles que la loi du 15 juin 2000, la loi pénitentiaire de 2009 ou même la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui sera à nouveau retouchée. Il concerne les procédures pénales, le jugement et la garde à vue, parce qu’il est privatif de liberté, mais surtout, et c’est là son originalité, la phase de l’enquête préliminaire qui, dans 97 % des cas, est aujourd’hui une phase policière.

On dit souvent que cette phase est celle de tous les dangers pour les libertés. C’était évidemment le cas aux premiers temps de la procédure inquisitoire, mise en place par l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539. À cette époque, une personne pouvait être entendue sans savoir pourquoi ni à quel titre, et sans témoins ni avocat. Chacun conviendra que cette période est fort heureusement révolue et que beaucoup de chemin a été fait depuis. Des garanties ont été apportées aux suspects qui, depuis 1789, bénéficient de la présomption d’innocence, mais aussi aux policiers qui consignent les actes de procédure par écrit, un écrit qui, dans notre droit, qu’il soit civil ou pénal, est perçu comme la forme qui s’attache à la qualité de la procédure. Cependant, plus les procédures sont sophistiquées, ce qui est le cas de nos civilisations développées, plus les garanties reconnues aux suspects sont importantes, et plus les écrits occupent le temps utile des officiers de police judiciaire.

Sans doute faudra-t-il, si l’on veut aller encore plus loin, envisager d’introduire à ce stade de la procédure d’enquête davantage d’oralité. Les moyens modernes devraient nous le permettre : je pense notamment à la visioconférence, qui contribuera à approfondir les échanges entre enquêteur et procureur et entre suspect et avocat sans réduire trop le temps pendant lequel les policiers et les gendarmes font véritablement avancer l’enquête. Ce n’est toutefois pas le propos du texte que nous discutons aujourd’hui. Et ce n’est pas non plus pour demain, car l’effort d’adaptation de l’ensemble de la chaîne judiciaire sera considérable. Mais ce sera, je l’espère, pour après-demain – une raison de demander à notre collègue Sergio Coronado de patienter encore un peu !

Notre procédure doit nécessairement avancer de façon équilibrée en ménageant les droits fondamentaux mais également l’efficacité dans l’enquête, étant entendu que les garanties des uns sont aussi un gage de qualité du travail des autres. Nous sommes donc loin de l’ordonnance de 1539, et c’est heureux, mais n’avons pas fini notre besogne, nous en sommes convaincus.

Dans le cadre de la réflexion à venir, et le plus tôt sera le mieux, il faudra se demander, dans une optique d’efficacité mais également de raison et de logique pénale, s’il ne convient pas de revoir, conformément aux valeurs de notre temps, la répartition des domaines relevant des contraventions et des délits. La présente transposition concerne les délits. Le problème n’est pas seulement pragmatique : il ne s’agit pas simplement d’éviter la paralysie des enquêteurs. C’est une question plus large qui doit être conjuguée avec la recherche de la peine la plus efficace et la plus adaptée, la contravention pouvant, le cas échéant, être plus sévère.

Il s’agit aussi d’un texte de progrès. En effet, des progrès sont toujours possibles, il faut y croire et les envisager pour ne pas se faire prendre par le temps. À cet égard, nous regrettons que cette transposition n’ait pas été envisagée plus tôt, par l’ancienne majorité, qui a beaucoup réformé le droit pénal mais sans tenir compte de cette préoccupation.

Aujourd’hui, des progrès nous sont d’ores et déjà proposés, y compris grâce à la transposition par anticipation de la directive C. Notre rapporteure les a largement décrits, je n’y reviendrai que pour mémoire. Tout d’abord, la généralisation de la notification de ses droits au suspect, y compris du droit à l’information et du droit à un avocat, est une avancée majeure, même si certaines modalités de mise en oeuvre nécessiteront peut-être encore quelques réglages. Elle s’inscrit du reste dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011. Oui, une personne suspectée doit être expressément informée de sa faculté de quitter à tout moment les locaux du service d’enquête, ainsi que de la nature et de la date de l’infraction pour laquelle elle est mise en cause. Il est important de noter que tous les suspects sont concernés : les suspects entendus librement hors de toute garde à vue, ainsi que ceux qui font l’objet d’une audition dans le cadre non seulement d’une enquête de flagrance mais également d’une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire.

La réforme de 2011 sur les droits des gardés à vue est heureusement complétée, tant elle avait été conçue a minima, avec des mesures comme le droit de demander la non-prolongation de la garde à vue et l’accès à un éventuel dossier médical, ou la mise en place et la remise d’une déclaration écrite récapitulant les droits des personnes suspectées ou poursuivies et privées de liberté parce que placées en garde à vue ou arrêtées à la suite d’un mandat national ou européen ou placées en détention provisoire.

Enfin, l’amélioration du contenu de l’information des personnes poursuivies devant les juridictions d’instruction ou de jugement concerne le témoin éventuellement suspect, le témoin assisté, le mis en examen, l’accusé ou le prévenu. Bien qu’ils ne soient pas directement concernés par l’enquête, des droits leur sont reconnus, à titre conservatoire en quelque sorte : droits à un interprète et à la traduction et droit au silence.

Dans tous les cas, soulignons que c’est l’effectivité de l’accès « en temps utile » au dossier, nécessaire à l’exercice des droits de la défense en cas de poursuites devant le tribunal correctionnel qui est recherchée : c’est une bonne chose qui place notre projet bien loin d’un texte de simple affichage.

Le prévenu est ainsi informé de son droit à un avocat et à des conseils juridiques. On peut noter l’amélioration des droits de la défense et des poursuites sur convocation en justice par officier de police judiciaire ou par citation directe, ainsi que la possibilité pour la victime de se faire assister par un avocat face à un suspect entendu en audition libre, cela à l’initiative du Sénat.

Ce texte implique des moyens dans la durée. La presse regorge de titres plus ou moins inquiétants, promettant multiplication des gardes à vue, annulations de procédure ou effets secondaires. Cela entretient une polémique favorisant le sempiternel affrontement entre police et avocats, comme s’il était impossible que chacun concoure au rendu d’une bonne justice, celle qui répond aux besoins de la société, qui respecte la victime mais également les libertés fondamentales de chaque citoyen.

L’avocat a un rôle à jouer, sans entraver les enquêtes. C’est un professionnel du droit. Pour autant, on ne peut nier les incidences de ces nouvelles dispositions sur le travail des officiers de police judiciaire. Mais la question de l’équité à tous les stades de la procédure est posée : on ne peut passer sous silence que chaque changement dans les routines installées nécessite un temps d’adaptation, d’évaluation, puis éventuellement de rectification. Avec ce texte, le pied est dans la porte, mais il faudra encore la pousser.

Certains se demandent pourquoi se précipiter. Nous devons dire que nous tenons compte de l’augmentation des tâches administratives que cela occasionnera pour les officiers de police judiciaire, qu’il pourra y avoir des problèmes de moyens, de locaux, de temps, que les procédures risquent de s’allonger et que cela aura des incidences en termes de coûts.

L’effectivité des droits dépendra de la capacité des services d’enquête et des avocats d’exercer leur travail dans des conditions acceptables. Cela suppose d’en tirer les conséquences en termes de moyens matériels et humains et éventuellement de revoir le budget de notre justice.

On ne doit pas priver la justice de cette première marche à franchir pour trouver un équilibre entre l’enquête et les droits de chacun. Aujourd’hui, on sait que la chaîne pénale est un tout et qu’il faut l’appréhender de façon globale, transversale. Chacun à sa place doit y concourir sans défiance, collaborer à l’expression et au respect du travail de chacun. Comme le disait volontiers Robert Badinter, il nous faut « collaborer à une justice de notre temps ».

Cette réforme est imposée par l’Europe, dont la vision, en matière de procédure pénale, est très pragmatique et très attachée au respect du contradictoire, garant d’un procès équitable. Elle ne transpose la directive qu’a minima, ce que certains regretteront, pour ménager autant que possible les principes qui fondent notre procédure pénale, caractérisée par une enquête inquisitoire aménagée qui allie une recherche du fond de l’affaire avec le respect des droits de la défense et des droits émergents des victimes.

Il apparaît évident qu’une réforme en profondeur de notre procédure devient incontournable. Toutefois, une telle modification de l’esprit et de la règle de la procédure pénale, très délicate, aurait été hors de propos puisqu’elle constitue l’objet de la mission Beaume.

Il reste que, dans la phase policière du procès pénal, l’enquête préliminaire, notamment la coexistence de la procédure écrite avec la mise en oeuvre de nouvelles obligations qui ont leur logique en procédure orale, peut poser des problèmes d’articulation logique et de moyens. Mais cette transposition renforce les droits de la défense. Mieux encore, elle permet de la sécuriser. Elle favorise la conception d’une réforme cohérente et concertée, en ne réitérant pas les erreurs de la gouvernance passée qui consistait à répondre au coup par coup aux nouveaux impératifs imposés par l’Europe.

Nous ne devons pas subir l’Europe. Nous ne la subissons pas, nous en sommes les acteurs. Les améliorations du texte apportées par les amendements du Parlement en sont les témoins.

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