Vous l’avez tous dit, notre débat d’aujourd’hui est d’une grande importance. Qui en effet pourrait estimer que voter une loi qui a pour objectif de renforcer les droits de la défense est négligeable, inutile ou inopportun ? Personne bien sûr ! Et même si nous avons quelques raisons de poser des questions, voire de manifester quelques réserves ou réticences, nous ne pouvons qu’être d’accord avec vous sur la nécessité de mettre en oeuvre dans notre droit positif les directives européennes et de le faire de la manière la plus coordonnée possible.
S’agissant de la directive du 22 mai 2012, je ferai cordialement remarquer à Mme Pochon qu’il était difficile pour la précédente assemblée de la transposer dans notre droit positif. Entre le 22 mai 2012 et l’élection de la nouvelle assemblée au mois de juin, c’eût été un peu compliqué ! Quoi qu’il en soit, si nous voulons appliquer la règle, cette directive doit être transposée au plus tard le 2 juin prochain. Je me félicite que nous ayons tous, depuis une dizaine d’années, suivi le chemin permettant de rattraper le temps perdu, nous souciant de ne plus être hors délai. La France a connu il y a dix ans des situations anormales en la matière. Nous sommes en passe de transposer les directives dans le calendrier initialement prévu, ce qui est une bonne chose.
Cette directive prévoit que les personnes soupçonnées et entendues en audition libre doivent être informées de leurs droits fondamentaux. Elles doivent être avisées de la qualification, de la date et du lieu présumé de l’infraction qu’elles auraient commise. Elles doivent être informées de leur droit de quitter à tout moment les locaux où elles sont entendues, ce qui fait la différence avec la procédure de la garde à vue. Elles doivent pouvoir être accompagnées et assistées par un interprète ou un avocat, et bénéficier gratuitement de conseils juridiques.
Cette directive prévoit également que l’on notifie systématiquement l’ensemble de leurs droits fondamentaux aux personnes privées de liberté, c’est-à-dire gardées à vue, placées en détention provisoire ou faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.
Tout cela est important et nous n’avons pas grand-chose à dire, sauf que, madame la ministre – c’est un débat que nous avons eu à deux reprises en commission et encore tout à l’heure – il y a probablement matière à modifier certaines appellations. J’ai fait remarquer en commission qu’il n’était pas satisfaisant que le titre d’un chapitre fasse mention d’une personne « suspectée » alors que l’article correspondant fasse référence à une personne « soupçonnée ». Les mots ont de l’importance. Je ne voudrais pas être un mauvais augure, mais il nous faut une réponse sur ce point. Dans l’opinion publique, le statut de personne mise en examen et bénéficiant à ce titre de la présomption d’innocence n’est-il pas, finalement, plus anodin et plus flatteur que celui de « suspect » ? Car ce « suspect », qui certes serait auditionné librement, n’en serait sans doute pas moins, pour le commentateur et l’opinion, aussi coupable que le mis en examen bénéficiant de la présomption d’innocence. Ce sujet important n’a pas été tranché en commission. Je souhaite qu’il le soit aujourd’hui ou alors en CMP.
S’agissant de la deuxième directive, votre explication, madame la garde des sceaux, n’est pas satisfaisante. Nous avons encore plus de deux années pour transposer cette directive que vous avez choisi de transposer aujourd’hui en raison du lien qui existe avec la première. Nous nous retrouvons donc dans une procédure accélérée qui est justifiée pour un texte sur lequel nous ne devons pas prendre de retard mais qui est utilisé comme véhicule pour transposer une autre directive beaucoup moins urgente. Et pourtant vous avez conclu en voulant mettre un terme à cette politique visant à réformer notre code pénal au coup par coup, au cas par cas, pas à pas…
Cette directive du 22 octobre dernier soulève plusieurs questions, voire plusieurs réserves. S’agissant d’abord de la question de l’urgence, vous transposez seulement une partie de la directive. Nous aimerions connaître les raisons pour lesquelles, tant qu’à faire, vous ne la transposez pas complètement. Vous avez fait le choix d’anticiper la date butoir pour certaines dispositions, pas pour les autres. Madame la ministre, n’est-ce pas contradictoire ?
Ma deuxième réserve, vous l’avez évoquée, ainsi que Mme la rapporteure et les orateurs précédents. La rapporteure a dit clairement en commission que toutes les personnes auditionnées dans le cadre de ce projet de loi – avocats, magistrats, représentants de la police, de la gendarmerie ou des douanes, universitaires, associations des droits de l’homme… – critiquaient cette révision à petits pas de notre procédure pénale, au rythme des condamnations éventuelles par la Cour européenne des droits de l’homme ou des dispositions plus contraignantes formulées par le Conseil constitutionnel.
Tout le monde recommande, tout le monde souhaite… mais on attend toujours une réforme d’ensemble de la procédure pénale, qui serait probablement utile et qui permettrait de trancher cette question qui nous taraude : sommes-nous sous l’emprise d’un droit européen qui deviendrait de plus en plus anglo-saxon ? Devons-nous craindre pour notre procédure inquisitoire au profit de la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne telle qu’on la voit poindre dans l’esprit, si ce n’est dans la lettre d’un certain nombre de formules européennes ?
Trois points méritent d’être soulevés. Pour ce qui est de l’aide juridictionnelle d’abord, vous avez partiellement répondu en disant que le dispositif ne pourrait être effectif qu’à compter de 2015. C’est raisonnable, mais on peut tout de même s’interroger sur une transposition maintenant pour une mise en oeuvre en 2015. Et quel en sera le coût ? Vous l’évaluez entre 13 et 25 millions, mais d’autres vont jusqu’à 30 millions. C’est beaucoup. Comment cela sera-t-il pris en charge par votre budget ?
Ensuite, puisqu’il est désormais possible pour le témoin assisté d’avoir accès au dossier de la procédure, le secret de l’instruction n’est-il pas de plus en plus un secret de Polichinelle, quelque chose à quoi l’on s’accroche alors que l’on sait fort bien que son avenir est d’ores et déjà écrit – et qu’il n’est pas positif ?
Enfin, j’en viens au délit d’escroquerie en bande organisée et à la prolongation de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures, actuellement en vigueur. On nous a dit qu’il valait mieux suivre le Conseil constitutionnel et en rester au délai de quarante-huit heures. Finalement, nous avons transigé en commission des lois à soixante-douze heures. Et puis, heureuse surprise je l’avoue, la commission a donné tout à l’heure au titre de l’article 88 – nous y avons contribué – un avis favorable à l’amendement de notre rapporteure sur cette question. Il faudra nous assurer que nous irons au bout. En effet, les fonctionnaires des douanes notamment affirment qu’il ne serait pas possible de démontrer l’escroquerie en bande organisée en soixante-douze heures. Or l’escroquerie à la TVA coûte cher à notre pays. Les quatre-vingt-seize heures de garde à vue sont donc essentielles.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous ne pouvons pas nous inscrire contre ce projet de loi qui permet de mettre en place dans notre droit positif des dispositions reconnues unanimement à l’échelle européenne comme étant nécessaires. Mais les incertitudes que j’ai pointées et dont vous-même ne niez pas la réalité, après les deux lectures en commission et après vous avoir entendue, conduisent notre groupe à une position d’abstention que nous espérons prospective. Si la commission mixte paritaire, à l’issue de nos débats, aboutit à une plus grande cohérence et une plus grande efficacité, cette position se transformera peut-être en vote positif… Mais nous n’en sommes pas là. Aujourd’hui, avec regret mais avec la certitude de contribuer utilement au débat, le groupe UMP s’abstiendra.