Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 5 mai 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

En fait, non seulement nous pouvons avoir le sentiment que nous n’avançons qu’à petits pas, mais, qui plus est, que ces petits pas sont poussifs, et que la réforme de notre législation pénale vient toujours plusieurs années après la jurisprudence et les textes européens qui consacrent la nécessité de permettre un usage plein et effectif des droits de la défense. En effet, il a fallu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme « Dayanan contre Turquie » du 13 octobre 2009 puis « Brusco contre France » du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et des arrêts de la Cour de cassation du 19 octobre 2010, pour que voie le jour le projet de loi permettant à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue. Cette loi, adoptée le 14 avril 2011, constitua un premier pas important.

Cependant, déjà à l’époque, de nombreuses voix dénonçaient les insuffisances, notamment parce que la personne « suspectée », mais entendue sans être placée en garde à vue, ne bénéficiait d’aucun droit, mais aussi et surtout parce que l’avocat n’avait toujours pas accès à l’intégralité du dossier concernant la personne en garde à vue, et ne pouvait ainsi « l’assister » de manière efficiente. Si le projet de loi contient des avancées indéniables pour les droits de certains mis en cause, il néglige les droits des personnes placées en garde à vue.

En la matière, il n’est pas possible de commencer par affirmer qu’on déplore la stratégie des petits pas – comme l’a fait Mme la rapporteure lors de nos débats en commission – pour dire ensuite que ce texte ne serait qu’une première étape, et qu’une autre, plus ambitieuse, devrait suivre, au vu des conclusions d’une mission récemment installée, chargée de mener une réflexion plus ample sur l’enquête pénale et qui doit rendre ses conclusions sous peu – et surtout au vu d’une directive du 22 octobre 2013, relative « au droit d’accès à un avocat », qui doit être transposée avant le 27 novembre 2016 !

Lors de la mise en place de la mission Beaume, je crois me souvenir que vous aviez déclaré, madame la ministre, qu’« il ne faut pas attendre le dernier moment pour transposer une directive, il faut être dans une logique d’anticipation ». Cette activité législative au coup par coup, dominée par l’urgence, empêche toute réflexion cohérente. Cela permet en outre le report, sans cesse renouvelé, de toute amélioration qui paraîtrait trop complexe ou délicate à mettre en oeuvre, comme la reconnaissance pour l’avocat du droit d’accéder à l’intégralité du dossier dès la garde à vue.

Je plaide pour que nous adoptions dès à présent des mesures essentielles aux droits de la défense et dont on sait, depuis longtemps, qu’elles s’imposeront à nous dans quelques mois. Je plaide pour que le texte voté soit ambitieux, d’autant qu’il contient des avancées significatives pour les droits des personnes mises en cause dans une procédure pénale, que ce soit au niveau de l’enquête, de l’information judiciaire ou du jugement, même si des améliorations doivent être apportées afin de conférer à ces nouvelles mesures toute leur plénitude. C’est ainsi le cas des dispositions concernant l’audition de la personne « suspectée » non placée en garde à vue, le rappel du droit au silence, ou l’apparition du contradictoire à la fin de la phase d’enquête.

Le projet de loi prévoit, en son article 1er, que « la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas en garde à vue » bénéficiera désormais d’un certain nombre de droits, notamment celui d’être informée de ce qui lui est reproché, de son droit de quitter les lieux à tout moment, de son droit de garder le silence et, si elle est entendue pour un crime ou un délit puni d’emprisonnement, de son droit d’être assistée d’un avocat. Il est précisé que ces droits sont accordés quel que soit le cadre juridique de l’audition : enquête préliminaire ou de flagrance, information judiciaire. Ce sont là des avancées qu’il convient de souligner. En vertu de l’article 7, les mêmes droits sont conférés à la personne placée dans une situation similaire dans le cadre d’une procédure douanière.

Jusqu’à présent, au regard de la loi de 2011 qui est venue confirmer la possibilité de ces « auditions libres » et de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 2011, la personne entendue sous ce régime ne bénéficiait d’aucun droit particulier, à part celui d’être informée « de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ».

Enfin, le droit à l’assistance de l’avocat est la question délicate du texte. Permettez-moi de me concentrer un instant sur l’amendement que j’ai déposé et qu’une majorité de mes collègues – à la fois socialistes et de l’opposition – a jugé utile et nécessaire de voter en commission. Les pièces de la procédure dont l’avocat peut prendre connaissance depuis la loi de 2011 sont limitativement énumérées par l’article 63-4-1 du code de procédure pénale. Ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat « d’assister » effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent – silencieusement d’ailleurs.

On pouvait attendre – car, comme je l’ai rappelé en commission, la directive le permet sans l’imposer – que l’avocat ait désormais la possibilité d’avoir connaissance de l’intégralité du dossier pour pouvoir remplir sa mission de conseil.

Les auditions, ainsi que les éléments recueillis à l’occasion des investigations menées pendant ce laps de temps, ont en effet un poids crucial dans le dossier. La défense a un rôle primordial à jouer pendant cette période où seule la communication de l’intégralité des éléments à charge et à décharge permet « l’exercice effectif des droits de la défense », selon les termes de la directive.

Cette restriction du droit d’accès au dossier est, en outre, quelque peu contradictoire avec l’esprit de la directive, qui indique que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la « légalité » de la privation de liberté.

La contestation de la légalité de la garde à vue, au sens de la directive, peut intervenir beaucoup plus tôt que ne le prétend l’étude d’impact, notamment quand il s’agira pour l’intéressé de demander que la garde à vue ne soit pas prolongée parce qu’elle ne serait pas légale, par exemple en raison de l’absence de motifs rendant plausible sa participation aux faits.

Les avancées apportées par le texte dans ce domaine sensible sont donc modestes, là où les exigences de la jurisprudence de la cour de Strasbourg et des textes européens, qui s’imposeront dans quelques mois à la France, sont élevées, ce qui crée un décalage de moins en moins admissible.

L’accès au dossier est une composante essentielle du droit d’être assisté, tout comme la possibilité pour l’avocat de participer aux investigations et aux auditions. Cela nous est rappelé par plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Récemment, le tribunal correctionnel de Paris a, sur le fondement de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, annulé des procès-verbaux de garde à vue, au motif que l’avocat n’avait pas eu accès au dossier. Il n’est pas interdit de penser que ce moyen de nullité va être de plus en plus fréquemment soulevé, avec succès, par les avocats, entraînant ainsi l’annulation des procédures.

Cette situation a d’autant moins de sens que la directive du 22 octobre 2013, qui doit être transposée d’ici deux ans, prévoit que, tout au long des procédures pénales, les suspects et les personnes poursuivies doivent avoir « droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire » ainsi que lors des mesures d’enquête ou de collecte de preuves.

Chers collègues, il nous est donné de faire la loi, de la faire en toute liberté et en toute indépendance. C’est ce à quoi je nous invite, malgré les déclarations un peu martiales, ce matin, du ministre de l’intérieur.

1 commentaire :

Le 06/05/2014 à 12:24, laïc a dit :

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C'est dommage que le pays des droits de l'homme fasse si peu de cas des .. droits de l'homme.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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