Je voudrais aborder trois points : la dualité « militaire et civile » depuis plus de cinquante ans, le missile M51 et le rôle joué par Airbus DS en en tant que maître d'oeuvre de ce programme et, enfin, la nécessité de maintenir la pérennité des compétences et des technologies que nous avons développées.
Forte de près de cinquante ans de développement continu dans le domaine des lanceurs militaires - missiles balistiques – et lanceurs civils – Ariane – la France développe des compétences de haut niveau dans la maîtrise d'oeuvre globale de systèmes complexes et spécifiques liés au domaine spatial afin d'apporter toute la maîtrise et la crédibilité technique nécessaire à la dissuasion.
En effet, un missile balistique est un petit lanceur qui envoie ses « charges utiles » avec une vitesse de 25 000 kmheure, soit une vitesse légèrement inférieure à celle nécessaire à un lanceur de satellites pour s'affranchir de l'attraction terrestre. La portée du missile dépend directement de la vitesse initiale qui lui est donnée.
La base industrielle construite sur la dualité « civile et militaire » est le fruit d'une politique résolue et inscrite dans la durée, qui a permis à l'industrie française, notamment Airbus DS, société issue de la fusion d'Astrium et d'Aérospatiale, d'atteindre le niveau mondial qui n'existe qu'aux États-Unis, en Russie et maintenant, dans une certaine limite, en Chine.
En effet, depuis 1960 se sont succédé en quasi-alternance les programmes militaires et les programmes civils qui ont permis la mise en place et le maintien d'un socle industriel français efficace. Les principes et les technologies utilisés sont en très grande partie analogues pour un missile balistique et un lanceur spatial.
En conséquence, le fort retour d'expérience de la filière Ariane bénéficie directement à la défense et à la dissuasion. Les 59 succès consécutifs contribuent à la crédibilité du savoir-faire français pour la dissuasion, et la compétitivité commerciale face à la forte concurrence mondiale dans le domaine des lanceurs civils, représentée par la Russie, les États-Unis et la Chine.
Des compétences spécifiques ont toutefois été développées pour les missiles de la composante océanique stratégique compte tenu de sa spécificité : une phase sous-marine et une phase d'entrée dans l'atmosphère. Pour préserver l'invulnérabilité du SNLE, et donc notre capacité de frappe en second, outre les caractéristiques de discrétion du sous-marin, il faut être capable de lancer en immersion un lot de missiles quasi simultanément - compétence que seuls les États-Unis et la Russie possèdent pour l'instant. Il nous faut assurer une grande portée au missile pour permettre SNLE de se diluer dans une zone maritime très vaste tout en restant capable d'atteindre des objectifs lointains.
Nous devons également garantir le caractère imparable de l'arrivée sur les objectifs des têtes nucléaires. Nous apportons donc des solutions à l'État pour garantir la pénétration des armes du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), en tenant compte des spécificités liées à la rentrée dans l'atmosphère et à la prise en compte des défenses anti missiles balistiques.
Nous devons aussi apporter une garantie permanente de la disponibilité et l'efficacité du système mer-sol balistique stratégique (MSBS), c'est-à-dire un stockage et un entretien adaptés à ces missiles, dont la durée de vie est de trente ans.
Nous devons enfin respecter les exigences de sûreté nucléaire qui n'existent pas dans le domaine spatial civil.
Je souhaite aborder à présent le rôle d'Airbus DS comme acteur majeur depuis près de quinze ans de la modernisation de la composante océanique de dissuasion.
Pour répondre au choix politique de traiter toutes les menaces potentielles, il convenait d'avoir un missile capable de plus longue portée. La DGA a signé avec nous en 2000 un contrat « au forfait » pour une mise en service opérationnel en 2010 de l'ensemble du système d'armes « Missile Balistique M51 ».
Ce contrat couvrait le missile lui-même, avec les performances concernant notamment la portée, la précision et la souplesse d'emploi, ce qui impliquait un missile presque deux fois plus gros que le précédent, le missile M45. Le contrat couvrait aussi les moyens de production pour pouvoir livrer les premiers lots de missiles M51, en 2010. Il comprenait les moyens de mise en oeuvre à bord du SNLE, c'est-à-dire la composante embarquée du système d'armes dissuasion et une refonte de la base opérationnelle de l'Île Longue pour permettre la mise en oeuvre du M51. Pour cette dernière opération, le niveau d'investissement a été comparable à celui du Stade de France avec la particularité pendant les travaux de ne pas gêner la mise en oeuvre opérationnelle des missiles M45 en service. Le contrat couvrait enfin la garantie de la « pénétration » des armes, face à la modernisation des défenses DAMB, le respect des normes de sécurité nucléaire avec les démonstrations et les essais associés et le maintien en condition opérationnelle du système d'armes pour assurer la permanence de la posture.
Vingt-six ans après la mise en service du missile précédent M4, le défi technologique scientifique et industriel a été relevé. La mise en service opérationnel du missile M51 et l'embarquement du premier lot de missiles sur le SNLE le Terrible ont été réalisés en 2010 en respectant précisément les performances, le calendrier et les coûts prévus contractuellement.
Ce résultat a été rendu possible grâce à une maîtrise d'ouvrage forte, avec une responsabilité directe de la DGA, couplée à une volonté politique forte et pérenne, et à la responsabilité de maîtrise d'oeuvre globale confiée à Airbus, fort de son expérience dans le domaine spatial. Le mode de pilotage d'une société privée comme Airbus a permis d'assurer la réactivité et la recherche optimale des solutions, notamment dans la conduite de la chaîne de sous-traitance, face aux nombreux aléas et interfaces inévitables sur un programme d'ensemble aussi ambitieux que celui-ci. Une utilisation optimale des données des programmes précédents, des savoir-faire entretenus par le développement et la production d'Ariane 5 ont permis la mise en place d'outils de simulation et de limiter ce programme avant sa mise en service opérationnel en 2010 à seulement quatre tirs de qualification et à un tir d'acceptation.
Ce résultat est le fruit de l'investissement de plus de 4 000 ingénieurs, techniciens et compagnons qui se sont engagés dans ce projet complexe ; pour moitié environ, ils proviennent des principaux partenaires et de sous-traitants issus de nombreuses PME, dont le travail sur cette haute technologie de l'espace est très valorisant.
Nos principaux partenaires industriels sont DCNS, Safran, Thales, Sodern, Souriau, Zodiac, avec qui des relations étroites sont nouées depuis de nombreuses années.
La filière industrielle complète du M51 représente plus de 450 industriels français, dont 140 fournisseurs directs et 40 maîtres d'oeuvre de sous-systèmes - 25 % d'entre eux sont des PME ou TPE.
Les effectifs des bureaux d'études français pour les lanceurs d'Airbus DS représentent environ 1 200 personnes, dont les compétences sont en grande partie duales, civiles et militaires. Les sites d'Airbus concernés sont ceux des Mureaux et Saint-Médard-en-Jalles, en Aquitaine, et le détachement d'Airbus sur le site de l'Île longue.
De façon plus générale, la partie « Espace » d'Airbus DS apporte à la France 7 000 emplois directs, pour un chiffre d'affaires de 3,1 milliards d'euros, dont 900 millions d'euros pour la défense nationale. Plus de 50 % de ce chiffre d'affaires est directement redistribué à plus de 1 400 fournisseurs produisant en France.
Pour les emplois indirects liés aux activités spatiales, le chiffre de 100 000 emplois en France a été avancé par la Cour des comptes en 2012. Le Gouvernement considère qu'un euro investi dans le spatial génère vingt euros d'activité.
Je vais à présent évoquer notre avenir et les enjeux industriels pour la composante océanique de dissuasion.
Le maintien dans le service opérationnel du système d'armes océanique de dissuasion suppose l'« appairage » continu entre le sous-marin, la base opérationnelle de Brest, le missile stratégique, et la charge utile, composée des têtes nucléaires et des aides à la pénétration.
Les calendriers de ces trois programmes majeurs sont étroitement coordonnés pour optimiser les rendez-vous et les adaptations, ce qui nécessite une vision et un pilotage à long terme de l'ensemble du calendrier.
Les deux premiers lots des nouveaux missiles M51, en version M51.1 c'est-à-dire avec les têtes nucléaires TN75 provenant du M45, ont été embarqués en 2010 sur le SNLE le Terrible et, à l'été 2013, sur le Vigilant, suite à son adaptation.
Il est prévu prochainement la livraison du troisième et dernier lot de missiles M51 et la mise en service d'une nouvelle version du M51 (le M51.2) afin de pouvoir équiper le missile des nouvelles têtes nucléaires TNO. Les flux financiers moyens consacrés à la dissuasion qui transitent par Airbus DS ont été environ de 700 millions d'euros ces dernières années, mais avec des perspectives significativement réduites dans les prochaines années.
En effet, pour tenir compte des perspectives économiques générales de la défense, la société réalise des efforts importants pour réduire les coûts tout en améliorant en permanence la qualité de ses travaux.
Ainsi, un travail conséquent a été mené avec la DGA au cours des deux dernières années pour permettre d'atteindre dans les prochaines années une baisse des coûts de 30 % pour le MCO du système d'arme, une baisse de plus de 20 % étant déjà acquise jusqu'en 2016. Ce travail de réduction des coûts a aussi été réalisé sur les activités de production des missiles.
Sur la base de ces engagements financiers, et après une longue phase de conception initiale qui a permis de mettre en oeuvre les approches plus récentes en matière de « design to cost », le développement de version M51.3 va ainsi pouvoir débuter cette année avec toutefois une montée en puissance étalée.
Cette version du M51, qui concerne l'étage supérieur du missile et les moyens sols associés a pour but, d'une part, de traiter les obsolescences et, d'autre part, de répondre à l'échéance des dix prochaines années aux évolutions des besoins opérationnels : adaptation du système aux nouvelles charges utiles, précision et souplesse d'emploi en portée et pénétration.
Airbus adapte fortement son outil industriel pour accompagner la baisse des crédits de développement tout en préservant au mieux les compétences clés. Après une réduction de plus de la moitié de ses effectifs depuis une bonne dizaine d'années, la réduction qui se poursuit avec une baisse de l'ordre de 15 % sur les trois prochaines années, le seuil critique du maintien des compétences est aujourd'hui atteint. Cela nous conduit, en liaison avec la DGA, à opérer un suivi détaillé des socles des différents métiers. Disposer du réservoir de compétences est en effet essentiel pour pouvoir accompagner la vie du missile dans toutes ses phases opérationnelles.
La poursuite des adaptations du missile aux besoins opérationnels se fera dorénavant de façon progressive sans avoir recours au développement d'un nouveau missile, à l'inverse de ce qui fut nécessaire pour passer du M45 au M51. Chaque amélioration ne présentera donc qu'une couverture partielle des compétences clés pour l'ensemble du MSBS. Il importe donc, dans ce cadre, que des études de R&T - programmes d'études amont - puissent être menées pour permettre l'entretien de toutes les compétences et préparer les technologies futures. Ces compétences concernent en particulier les métiers touchant directement aux performances spécifiques du missile stratégique comme, par exemple, le domaine hydrodynamique et aérodynamique, le domaine de la pénétration et le domaine du guidagenavigation. Ceci dans l'hypothèse où les autres compétences seront couvertes par les développements du lanceur Ariane, en particulier Ariane 5 ME, très complémentaire du M51.3 sur ce point.
Une veille technologique et industrielle est également effectuée auprès des autres puissances spatiales à l'occasion des différentes observations de tirs de missiles ou lanceurs civils que nous faisons.
En conclusion, l'industrie française reste parmi les toutes premières du monde en termes de maîtrise des technologies de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux, drainant toute l'activité civile, développée grâce à l'autonomie d'accès à l'espace que possède la France.
Cette industrie stratégique et régalienne s'inscrira normalement dans les ressources que l'État pourra y consacrer en soulignant que le maintien de la pérennité de ces compétences est un point critique qui mérite une attention permanente.
La mise en place de la phase de développement de la version M51.3 et les décisions concernant Ariane – poursuite du programme Ariane 5ME ou choix de conception d'Ariane 6 – par la prochaine conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, prévue fin 2014, conditionnent ce maintien des compétences. Ce point est vital pour garantir à l'avenir l'accès à l'espace et donc la pérennité de la capacité de dissuasion océanique de la France.