Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 30 avril 2014 à 11h30
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, ma préoccupation aujourd'hui est de rechercher avec vous les moyens de sortir de la situation complexe dont nous héritons. Nous avons en effet l'obligation de dégager les solutions les plus consensuelles afin de pouvoir engager au plus vite, notamment en signant le volet « Mobilité » des contrats de plan État-régions, les investissements d'infrastructures que nos territoires attendent – pour le développement des transports urbains, pour l'entretien du réseau routier et du réseau ferroviaire, etc. Tous ces travaux d'infrastructures nécessitent des moyens et créeront de l'activité, des emplois et du travail pour nos entreprises de travaux publics. Là est donc mon objectif principal.

L'affaire de l'écotaxe confirme ce que tous les élus de terrain savent d'expérience : les meilleures intentions du monde – au cas d'espèce parfaitement consensuelles au surplus, puisque la loi avait été votée à l'unanimité – peuvent se heurter à des réalités humaines, sociologiques ou géographiques bien différentes de ce à quoi on pouvait s'attendre, et c'est un euphémisme pour décrire ce qui s'est passé en Bretagne. C'est pourquoi j'ai cherché d'emblée à comprendre les raisons pour lesquelles cette région s'était si vivement opposée à l'écotaxe.

J'observe d'abord que le dispositif a été voté il y a six ans déjà, dans le cadre de la loi Grenelle, son principe ayant été accepté dès la Conférence environnementale de 2007. Le contrat avec le prestataire a été signé en 2011. Enfin, le 6 mai 2012, soit dans la dernière semaine du quinquennat précédent, un décret en a précisé les modalités d'application. C'est à partir de là que le mot « écotaxe » a cessé de convenir au dispositif mis en place. En effet, une véritable fiscalité écologique a comme premier objectif d'inciter les acteurs à adopter des comportements plus respectueux de l'environnement. Or on sait que, dans l'état actuel de nos infrastructures, les chargeurs n'ont pas la possibilité d'arbitrer en faveur du réseau ferroviaire, étant donné les très faibles capacités en fret de celui-ci. D'autre part, à partir du moment où l'on a pour objectif de financer des travaux d'infrastructures, il faut l'assumer politiquement. Il est très important, vis-à-vis de l'opinion et de nos interlocuteurs, que nous soyons clairs quant aux concepts que nous utilisons et quant à nos objectifs politiques. Or l'idée qui sous-tendait la création du dispositif était simple : il s'agissait de faire payer l'entretien des routes par ceux qui les utilisent, c'est-à-dire par les entreprises de camionnage, et d'étendre ainsi aux routes le principe du péage auquel l'usage du réseau autoroutier est déjà soumis. Pour cela, on a jugé qu'il suffisait d'installer des portiques sur les routes. Le problème, c'est qu'il est beaucoup plus difficile d'imposer des impôts nouveaux en période de crise économique, que ce soit aux entreprises de transport, qui ont déjà des marges très faibles, ou aux chargeurs, c'est-à-dire aux producteurs, sur lesquels cette aggravation de charges a été répercutée en vertu du décret du 6 mai 2012. Dans la situation économique que nous connaissons, l'hostilité très vive rencontrée par cette nouvelle taxation des entreprises est parfaitement compréhensible.

Avant le décret du 6 mai 2012, le dispositif reposait dans ses grandes lignes sur une répercussion au réel, qui nécessitait des calculs a priori de l'écotaxe générée par la prestation de transport, puis des calculs a posteriori de l'écotaxe réellement générée par cette prestation en fonction des trajets réellement entrepris, avec des règles de partage pour les transports impliquant plusieurs clients. Ce dispositif avait été considéré par les transporteurs comme très complexe, très insécurisant et fragilisant leurs relations commerciales, puisque nécessitant de modifier a posteriori le coût de la prestation de transport.

Le décret a fait prévaloir d'autres principes. Premièrement, devait être calculé pour chaque région le montant total de l'écotaxe généré par tous les transports effectués sur son territoire. Deuxièmement, ce montant était rapporté au montant cumulé de ces transports afin de déterminer le taux unique dans la région concernée. Troisièmement, toutes les prestations de transport dans la région, quel que soit le réseau utilisé, étaient affectées d'une majoration sur la base du taux ainsi calculé. En Bretagne, par exemple, il avait été estimé, en intégrant l'abattement de 50 % dont bénéficie la région, que l'écotaxe générée représentait 45 millions d'euros cependant que l'ensemble des prestations de transport se montait à 1 200 millions d'euros. Il en résultait que l'écotaxe représentait en moyenne 3,7 % des prestations de transport. On a donc décidé que tous les chargeurs paieraient pour tous les transports qu'ils commanderaient, y compris pour ceux dont le parcours s'achèverait sur le rail, une majoration de leur facture égale à 3,7 % de la prestation commandée. En conséquence, pour une entreprise bretonne, l'écotaxe devait se traduire – très douloureusement – par une majoration uniforme de 3,7 % de son budget transport. Les chargeurs y ont donc vu une simple taxe sur les prestations de transport, comme si un taux majoré de TVA avait été institué sur cette activité.

On comprend par cet exemple que le dispositif, déjà extrêmement complexe, était devenu, en outre, totalement incompréhensible sur le plan des principes, en particulier pour une région périphérique. Tout le monde étant assujetti, et ce quel que soit le mode de transport, il avait perdu tout caractère d'incitation à adopter des comportements écologiquement vertueux. Or, pour qu'un dispositif de ce type soit accepté, il faut qu'il soit clair, que ses objectifs soient précis et qu'on puisse démontrer qu'il permet de les atteindre.

D'autres points m'ont posé question. Je précise qu'à ce stade, je me contente de vous faire part de mes interrogations et que le Gouvernement attendra les conclusions de votre mission d'information et celles de la commission d'enquête sénatoriale pour prendre des décisions. Je rappelle qu'après que le gouvernement Ayrault a suspendu la mise en oeuvre de l'écotaxe, Ecomouv' a accepté de s'engager dans une négociation amiable, à laquelle participe un conciliateur que j'ai mandaté à cet effet, M. Pierre-François Racine, dans le cadre d'un comité présidé par M. Daniel Labetoulle. Pour l'heure, je me contente de poser sur ce dossier un regard neuf, loin de toute considération partisane. Mon but est de comprendre ce qui s'est passé et surtout de trouver les moyens pratiques et si possible consensuels de sortir de la situation actuelle, sans avoir à passer par des textes législatifs ou réglementaires.

Cela étant, les termes du contrat liant l'État à Ecomouv' ont de quoi surprendre. Ainsi les capitaux propres de cette société sont rémunérés à hauteur de 17 %, ce qui est très rare, surtout dans une activité sans risque. En outre, le coût de la collecte représente 25 % de son montant, soit au minimum 270 millions d'euros pour une recette de 1,15 milliard d'euros. C'est un coût extrêmement élevé. D'autres points posent question, comme l'engagement d'assurer un taux de recouvrement supérieur à 99,8 %. Par ailleurs, l'exécution de certaines prestations par l'entreprise a connu des retards.

J'entends dire aussi – mais ce point est à vérifier – que les technologies mises en oeuvre ne sont pas forcément les plus efficaces ni les plus récentes. Je pense notamment aux portiques. Dans certaines communes, les habitants et les maires ont mal vécu le fait qu'ils aient pu être installés sans permis de construire alors même qu'ils agressent le regard plus que bien des aménagements soumis à cette contrainte. En outre, ayant eu la curiosité de visiter une entreprise de transport, j'ai constaté qu'elle parvenait très bien à suivre l'itinéraire de ses camions sans avoir besoin de tels équipements. Ceux-ci pourraient enfin poser problème à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, dans la mesure où ils permettent de contrôler les déplacements de tous les véhicules sans distinction.

À ceux qui m'objectent qu'une dénonciation du contrat d'Ecomouv' entraînerait des frais d'indemnisation élevés pour l'État – certains parlent de 800, voire de 900 millions d'euros –, je réponds que l'État aussi a subi des préjudices, en raison notamment des retards dans l'exécution du contrat ou de certains engagements mirobolants de l'entreprise quant aux performances techniques des installations. Il ne s'agit pas pour moi d'entrer dans une logique contentieuse, qui n'est pas souhaitable en ce qu'elle ralentirait encore la prise de décision ; je veux simplement indiquer qu'il y a un espace de négociation qui permettra à toutes les parties prenantes, si on trouve un dispositif plus astucieux, de se mettre autour de la table pour discuter. Je pense que nous sommes entre protagonistes intelligents, capables de remettre à plat les choses dans le respect des intérêts de chacun. La mission qui est la nôtre, comme elle est celle de la Représentation nationale, est de défendre prioritairement l'intérêt général, d'assurer la protection des entreprises en période de crise économique et de faire en sorte que les travaux d'infrastructures soient rapidement engagés.

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