Madame Sas, je le redis une fois pour toutes : il faut prendre garde au vocabulaire qu'on emploie. Je ne veux pas que l'écologie soit une punition, surtout quand elle devient un prétexte pour créer un impôt qui n'a plus rien à voir avec la réorientation écologique des comportements. En conséquence, quelle que soit la solution finalement retenue, le mot « écologie » ne sera pas accolé à des mots tels que « taxe » ou « impôt ». Si on veut réussir la transition écologique, il faut en donner une idée positive aux acteurs économiques et sociaux. Il faut que l'écologie soit un « plus » en termes d'activités, d'innovation, de recherche et de développement économique, et nous devons pour cela miser avant tout sur des solutions consensuelles.
Vous évoquez les déclarations que j'ai faites devant la commission d'enquête du Sénat, en particulier sur la question du trafic des camions étrangers : je crois n'avoir fait que formuler des remarques de bon sens. Nous pouvons nous accorder à reconnaître que le principal problème réside dans la traversée de notre pays par des camions venus de l'étranger – et qui sont donc bien des camions majoritairement étrangers. Ce problème est, comme vos interventions en témoignent, particulièrement sensible dans les zones frontalières depuis que certains voisins européens ont mis en place l'Eurovignette. Je n'ai pas de réponse toute faite à ce problème et j'aimerais que ma contribution à la réflexion ne soit pas caricaturée. Il me semble simplement que le bon sens nous commande de rechercher une solution du côté de l'instauration d'un péage de transit à nos frontières.
Il n'est pas normal que des camions puissent traverser la France sans rien payer – pas même leur gazole dont ils font le plein en Espagne ou en Belgique – en évitant le réseau autoroutier et en saturant nos routes. Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité ou pour limiter la pollution, on pourrait prendre des mesures ciblées pour reporter ce trafic sur les autoroutes quand cela est possible. C'était d'ailleurs l'objectif de l'écotaxe, qui devait aboutir à faire payer à peu près le même prix que les camions empruntent la route ou l'autoroute. Si on atteint le même résultat sans avoir à supporter le coût de l'installation de portiques, ce sera tout bénéfice, puisque nous pourrons consacrer aux travaux d'infrastructures ce qui ne passera plus dans les frais de collecte, dont je rappelle qu'ils absorbent 25 % du rendement de la taxe.
Ma proposition concernant les sociétés d'autoroutes est, elle aussi, de bon sens. Je ne reviendrai pas sur le prix auquel les autoroutes ont été vendues parce que je ne veux pas verser dans la polémique partisane, mais ces sociétés reconnaissent que leur valeur s'en est trouvée considérablement accrue et, de fait, elles dégagent deux milliards de bénéfices grâce à des péages qui, en définitive, sont assimilables aux portiques. Avec la moitié seulement de cette somme, nous couvririons le coût des travaux d'infrastructures auquel nous devons faire face. Un tel prélèvement serait d'autant plus légitime que, si on parvient à reporter une part du trafic des poids lourds vers les autoroutes, le chiffre d'affaires de ces sociétés s'en trouvera accru. En tout état de cause, ce serait du « gagnant-gagnant », puisque les grands groupes de travaux publics qui sont leurs actionnaires bénéficieront des travaux prévus dans le cadre des contrats de projets État-régions et des grands projets de transports collectifs. Il me semble qu'il y a là une voie de négociation avec ces entreprises. J'ai d'ailleurs confié à M. Francis Rol-Tanguy, ici présent, le soin d'engager des discussions en ce sens Il me semble que s'ouvrent là des perspectives intéressantes, même si j'ignore encore si la démarche aboutira.
La voie contractuelle et la recherche du consensus me paraissent préférables à une multiplication des textes et des prélèvements ou encore à un bras de fer avec les entreprises de travaux publics. Nous devons tous ensemble privilégier l'intérêt général de notre pays, qui peut d'ailleurs coïncider avec l'intérêt particulier des entreprises de travaux publics et servir l'aménagement du territoire.
Pour ma part – et je le redirai lors du débat sur la transition énergétique –, je crois beaucoup à la politique contractuelle. Je ne veux plus qu'on accumule les normes et les contraintes. Face à une norme nouvelle, aussi fondée qu'elle soit, la première réaction est d'essayer de la contourner. Je n'ai pas envie que les acteurs économiques gaspillent leur intelligence à ce jeu et nous la nôtre à les contrer : j'ai envie de les impliquer dans des actions positives. C'est pourquoi mon ministère donnera la priorité aux politiques contractuelles, notamment en matière de transition énergétique. Il s'agira de mutualiser les bonnes pratiques des entreprises et des territoires qui ont déjà anticipé cette transition. Nous progresserons beaucoup plus vite en entraînant nos concitoyens vers un horizon positif qu'en les assommant de règles imposées d'en haut.
Il en va de même dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui. Il y a d'un côté des régions, des villes, des départements qui ont besoin d'infrastructures et des entreprises qui ont besoin de commandes publiques, d'un autre côté des Français qui ne veulent plus d'impôts nouveaux et, d'un autre côté encore, des camions étrangers qui ne paient rien. Peut-être qu'en mettant bout à bout toutes ces données, on va finir par trouver une solution …
Il n'est pas question de manoeuvre dilatoire, monsieur Marleix. J'aurais préféré que ce problème soit réglé avant mon arrivée au ministère, mais les échéances sont déjà fixées : votre mission fera connaître ses conclusions le 15 mai et la commission d'enquête du Sénat – présidée par une parlementaire UMP – fera de même le 27 mai. Il faudra donc trancher en juin. Que ce soit après les élections européennes me réjouit plutôt : il sera ainsi possible de prendre des décisions courageuses en évitant toute instrumentalisation dans un but électoral.
Les difficultés que vous avez évoquées, monsieur Straumann, se retrouvent dans toutes les zones frontalières et l'institution d'un péage de transit me semble susceptible d'y remédier.
À ce stade, monsieur Bies, j'ouvre des pistes et je recherche en toute transparence les solutions les plus acceptables, sans me préoccuper pour l'instant de leurs modalités techniques – tâche qui revient plutôt à votre mission.
Une des raisons du caractère un peu baroque de la carte du réseau taxable, monsieur Giraud, est que certains départements ont demandé que leur réseau routier soit soumis à l'écotaxe. Mais vous avez raison de mettre en garde contre les dangers d'une régionalisation de ce dispositif : notre pays souffre déjà d'inégalités territoriales et ce n'est donc pas le moment que l'État se désengage. Sous réserve d'un examen plus approfondi tenant compte de la situation particulière des régions frontalières, il me semble que mieux vaut généraliser un système équitable.
Je salue votre honnêteté intellectuelle, monsieur Le Fur : vous avez dressé un véritable réquisitoire contre l'écotaxe pourtant inventée par le gouvernement que vous souteniez ! La réaction de la Bretagne est tout à fait légitime, voire saine s'agissant d'une région périphérique, et devrait nous inciter à prendre en compte l'identité géographique. Une zone périphérique n'est pas dans la même situation qu'une zone frontalière qui subit, elle, la pression forte des camions, et je ne suis pas du tout choquée qu'une région mette en avant sa spécificité. C'est aussi cela la diversité et la richesse de la France.
Il ne faut pas opposer les régions les unes aux autres, monsieur Savary. En revanche, je suis d'accord avec vous sur la nécessité de trouver un système qui mette à contribution le trafic étranger.
Je le redis, madame Alaux : j'attendrai les conclusions de la mission d'information et de la commission d'enquête sénatoriale et les décisions interviendront au mois de juin. J'espère que nous parviendrons à faire émerger des solutions consensuelles qui permettront de mettre en mouvement toutes les forces vives et de lancer au plus tôt les appels d'offres pour les grandes infrastructures que notre pays attend.