En effet, pourquoi les élus locaux continueraient-ils à déployer un plan global sur leur territoire, sachant que l’État pourrait venir le faire à leur place sans qu’ils aient à investir ? Non seulement ils n’auraient rien à payer, mais ils pourraient même espérer un abondement de leur dotation globale de fonctionnement en contrepartie de l’installation de bornes sur leurs terrains communaux ! Ces nouveaux dispositifs pourraient donc s’avérer désincitatifs.
Dans les départements insuffisamment convaincus, ne trouveront-ils pas là le prétexte pour ne pas étendre davantage le réseau lorsque les axes principaux seront équipés, puisque les infrastructures de recharge seront considérées comme suffisantes ? Or, on le sait, le véhicule électrique est aujourd’hui totalement adapté aux trajets domicile-travail, beaucoup plus qu’aux longs trajets et aux circuits autoroutiers en particulier, pour lesquels une vitesse de 130 kilomètres par heure réduit considérablement l’autonomie.
Pour convaincre nos populations locales, le déploiement doit être réfléchi au niveau local, avec un maillage territorial qui doit être suffisamment développé pour être suffisamment sécurisant, et donc persuasif au moment de l’acte d’achat. Les outils sont en place pour réussir ce pari, notamment avec les aides de l’ADEME à hauteur de 50 %, que vous avez mises en place. Plus de vingt départements se sont déjà engagés dans cette démarche et une quarantaine s’apprête à l’initier.
Ne devrait-on pas plutôt retarder la date limite des dossiers auprès de l’ADEME, fixée aujourd’hui au 31 décembre 2014 ? Essayons plutôt d’être persuasifs – les premiers exemples de déploiement pourraient y aider –, au lieu de mettre une fois de plus la main de l’État là où ce n’est pas vraiment utile.
Monsieur le ministre, vous vous étiez exprimé exactement en ce sens, le 28 mai dernier, devant l’association des maires de France, en insistant sur le rôle fondamental des collectivités locales : vous expliquiez que « seules les collectivités locales connaissent les flux des trajets domicile-travail sur leurs territoires » et que ce serait « plus rapide » si c’était un opérateur, mais « plus pertinent » si c’étaient les collectivités qui assuraient ce maillage territorial.
Avec ce futur opérateur, ne serons-nous pas confrontés aux mêmes lacunes que dans le champ de la mobilité téléphonique, avec les zones blanches, ou dans celui de la fibre optique, dont le déploiement est partagé entre les zones rentables et celles qui ne le sont pas ? Aux zones rentables l’opérateur privé, à charge pour les communes moins peuplées, donc moins rentables, de payer leurs propres infrastructures de charges ? À moins que vous n’ayez pensé à une péréquation ?
Si nous partageons l’objectif d’un déploiement national, nous regrettons l’absence d’allusion, dans le texte que vous nous demandez de voter, aux quelques obligations s’imposant à cet opérateur : péréquation, zones blanches – vous avez tout de même un peu évoqué le sujet –, maillage équilibré.
S’agissant de l’implantation d’une borne sur une propriété publique, cette proposition de loi prévoit que l’État, ou – disons-le dès maintenant – l’opérateur privé, ne sera pas tenu au paiement d’une redevance.
Je comprends l’intérêt de cette mesure pendant la phase de lancement. Néanmoins, si un opérateur privé se lance, il devra inéluctablement y trouver une rentabilité économique à terme, au risque de mettre le dispositif en péril. Cette gratuité sera-t-elle durable pour l’opérateur privé ?
Si je reprends l’exemple de la stratégie choisie par Nissan pour déployer un réseau européen de bornes de charge, cette entreprise pourra-t-elle demander les mêmes souplesses à l’État concernant ses implantations ? Comment ces réseaux nationaux privés, complémentaires, cohabiteront-ils demain si les uns sont aidés par l’État et les autres non ?
Cette situation ne présente-t-elle pas quelques risques juridiques et financiers ? Ce texte, je le crains vraiment, présente quelques lacunes. Je regrette d’ailleurs – je vous prie de m’excuser, monsieur le président de la commission des affaires économiques – qu’une fois de plus, la commission du développement durable n’ait pas été saisie. Même si la dimension économique de ce sujet, en particulier en ce qui concerne notre industrie automobile, est tout aussi importante, il aurait été intéressant que la commission du développement durable puisse aussi être consultée.