Intervention de Michel Sapin

Réunion du 6 mai 2014 à 21h00
Mission d'information sur l'écotaxe poids lourds

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Merci, monsieur le président, pour le réalisme avec lequel vous avez introduit ce débat : il me sera en effet difficile, à ce stade, d'être beaucoup plus précis que l'ont été d'autres ministres. Nous sommes encore dans le temps de la réflexion, et il serait au surplus inconvenant de vous soumettre des décisions avant même d'avoir pris connaissance de vos propositions.

Je sais que votre mission d'information a engagé un travail prospectif, se concentrant sur le devenir de l'écotaxe poids lourds. Mais, avant d'aborder l'avenir, permettez-moi de revenir un instant sur les origines de cette taxe.

Elle a été conçue comme une nouvelle composante de la fiscalité écologique dans notre pays. Elle trouve son origine dans les travaux du Grenelle de l'environnement et a été adoptée par le Parlement de façon transpartisane, ce qui souligne le caractère fédérateur de ce projet tel qu'imaginé au départ.

La portée écologique de cette écotaxe est double. C'est d'abord une taxe comportementale : même avec un taux relativement faible – 13 centimes d'euro par kilomètre, soit un tarif nettement inférieur à celui pratiqué en Allemagne ou en Suisse –, elle a été conçue pour favoriser un usage plus rationnel du réseau routier, en encourageant le report modal, notamment au profit de modes de transport moins carbonés, et en décourageant, parallèlement, la circulation des camions à vide.

Mais c'est aussi une taxe de rendement, censée donner un prix à l'usage par les poids lourds, y compris étrangers, des routes nationales et départementales dont l'entretien est aujourd'hui financé par le contribuable. Son produit – 1,15 milliard en année pleine –, devait servir à abonder le budget de l'AFITF pour 750 millions d'euros, afin de lui permettre de réaliser des investissements, notamment dans des modes de transport plus écologiques.

L'écotaxe poids lourds a donc été conçue comme une « taxe Pigou », visant, d'une part, à renchérir une activité polluante et, d'autre part, à développer des solutions alternatives à cette activité, en finançant les infrastructures de transport. Ce dernier aspect est important dans la réflexion sur l'avenir de la taxe puisqu'il a, bien sûr, des implications budgétaires. En effet, une baisse de rendement occasionnée par une modification des paramètres de la taxe, et donc une baisse des ressources dévolues aux infrastructures de transports à travers l'AFITF, devrait logiquement nous conduire à revoir nos ambitions en la matière, à moins que ne soit trouvée une recette de substitution équivalente.

C'est d'ailleurs à partir du produit escompté de l'écotaxe que Philippe Duron et la commission qu'il a présidée ont redessiné les priorités de la politique des transports du pays pour les décennies à venir. Et c'est en partant de cette même hypothèse que le Gouvernement précédent avait demandé aux préfets d'engager des discussions sur les contrats de plan État-régions et sur les projets d'infrastructures nécessaires au développement des territoires.

Ce préalable étant posé, permettez-moi d'en venir à la question de l'avenir de l'écotaxe et du contrat Ecomouv'. Plusieurs options sont bien sûr ouvertes sur le premier point. Certaines sont bien connues : il s'agit notamment des possibilités d'exemption qui restent ouvertes au titre de la directive « Eurovignette », par exemple en faveur du transport d'animaux ou des transports agricoles de proximité.

Mais il est également normal et sain que le nouveau Gouvernement se saisisse du dossier et pose un oeil neuf sur le sujet. C'est ce qu'a fait ma collègue Ségolène Royal, qui a évoqué des pistes de travail, comme la reconfiguration de la taxe en « péage de transit », se concentrant sur les grands axes de flux internationaux. Il nous faudra pleinement expertiser ces pistes avant de prendre une décision définitive, sachant que la directive européenne nous impose un certain nombre de limites juridiques. Je tiens ici à réaffirmer tout l'intérêt que le Gouvernement portera, dans cet exercice, aux conclusions de votre mission d'information.

Dans tous les cas, mon souhait, en tant que ministre en charge des comptes publics, est que soit privilégiée une option permettant de limiter les coûts et de conserver un rendement acceptable.

Redéployer la taxe en préservant à la fois le dispositif de recouvrement et, éventuellement sous réserve d'un avenant, le contrat Ecomouv', est sans doute à cet égard la solution la moins coûteuse techniquement et budgétairement. Vous connaissez en effet le coût approximatif d'une éventuelle rupture du contrat : elle pourrait entraîner le versement à Ecomouv' d'une indemnité allant jusqu'à 850 millions d'euros, à laquelle il conviendrait probablement d'ajouter des indemnités de rupture de contrat ainsi que certains frais financiers.

Vous pourrez juger ce montant excessif et il est vrai que la mission d'appui aux partenariats public-privé avait, lors de l'examen du contrat, émis des réserves sur le coût d'une résiliation éventuelle. Mais c'est ainsi ; nous avons hérité de ce contrat et des dispositifs mis en oeuvre pour son application – je pense notamment aux services douaniers déployés à Metz.

Ces considérations expliquent que le Gouvernement ait cherché à maintenir le dialogue avec Ecomouv'. Vous savez que la suspension de la taxe a créé une situation de vide juridique, puisqu'elle n'était pas prévue dans le contrat. Cette situation a ouvert un espace de discussion avec Ecomouv', discussion qui se poursuit à présent dans le cadre d'une procédure de conciliation contractuellement prévue. Dans ce cadre, le Gouvernement entend, avec bonne foi mais avec la plus grande fermeté, faire valoir les intérêts publics. C'est avec ces intérêts en tête que Mme Ségolène Royal fixera, en tenant compte des conclusions de votre mission d'information et de la commission d'enquête du Sénat, le mandat donné au conciliateur désigné par l'État, M. Pierre-François Racine.

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