Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Réunion du 6 mai 2014 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine, rapporteure :

Il nous revient aujourd'hui d'encadrer de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements, dans un domaine qui parle autant au coeur qu'à la raison, celui de la famille. Plus précisément, il s'agit de défendre celles et ceux – le plus souvent les enfants – qui, par ricochet, se trouvent en position de non-droit ou d'injustice profonde.

La famille a connu des évolutions importantes au cours des dernières années. L'augmentation du nombre des divorces et des séparations, ainsi que du nombre de familles recomposées, constitue une réalité incontestable. En 2012, près de 130 000 divorces ont été prononcés et plus de 27 000 Pacs ont été dissous à la suite d'une séparation. D'après l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), 1,5 million d'enfants, soit plus d'un enfant sur dix, vivent dans 720 000 familles recomposées. Près d'un million de ces enfants vivent avec un parent et un beau-parent.

Le droit de la famille doit s'adapter à ces nouvelles configurations familiales, à cette diversité des modèles familiaux, dans l'intérêt de l'enfant qui est la pierre angulaire de la proposition de loi.

Nous avons pu nous appuyer, lors de la préparation du texte, sur les travaux des quatre groupes de réflexion que votre prédécesseure avait mis en place, madame la secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Je tiens à la saluer et je vous remercie d'avoir si rapidement pris ce dossier en main et d'avoir permis des échanges fructueux.

Les rapports de ces groupes, constitués d'intellectuels, de personnalités qualifiées et de praticiens spécialistes du droit de la famille, présidés par des magistrats – M. Marc Juston, président du tribunal de grande instance de Tarascon et M. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, – ou des universitaires – la professeure Adeline Gouttenoire et Mme Irène Théry –, et celui du groupe de travail créé par les ministères, de la Famille et de la Justice sur l'exercice de la coparentalité après séparation ont fourni un éclairage et une base extrêmement précieux. Un grand nombre des dispositions qui vous sont proposées s'inspirent directement de ces réflexions. Nous avons également bénéficié du concours des cabinets de la ministre chargée de la famille et de la garde des Sceaux et des services de la Chancellerie lors de la rédaction de la proposition. Je tiens à les en remercier.

Le texte comporte quatre axes principaux, qui font l'objet de quatre chapitres distincts.

Le premier chapitre vise à renforcer l'exercice conjoint de l'autorité parentale en cas de séparation des parents. L'enfant a le droit, après la séparation, de maintenir des liens avec chacun de ses parents. Chacun peut se séparer de son conjoint ou de son partenaire, mais on ne se sépare jamais de ses enfants : le lien de filiation est indissoluble. Il arrive pourtant fréquemment qu'un parent, après la séparation, n'exerce plus, dans les faits, son autorité parentale et ne participe plus à l'éducation de son enfant.

Pour remédier à ces difficultés, il est proposé en premier lieu de renforcer l'information des parents sur leurs droits et leurs obligations et sur la signification concrète de l'exercice conjoint de l'autorité parentale. L'article 2 consacre, à cette fin, l'existence du livret de famille dans le code civil. Ce document y est aujourd'hui mentionné, mais aucun article ne lui est consacré. Il est proposé de combler cette lacune, tout en précisant que le livret devra comporter une présentation des droits et des devoirs des parents à l'égard de leur enfant.

L'article 3 explicite la signification concrète de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, qui implique que les parents s'informent réciproquement de l'organisation de la vie de l'enfant et prennent ensemble les décisions qui le concernent. Ce n'est pas une innovation, mais une clarification et un rappel de l'état du droit, parfois ignoré par les parents. Il en va de même de l'article 4, qui a lui aussi une visée pédagogique et de clarification, en précisant que tout acte de l'autorité parentale, qu'il ait un caractère usuel ou important, requiert l'accord des deux parents. Cet article définit par ailleurs la notion centrale d'acte important – qui requiert un accord exprès de l'autre parent – en reprenant, là aussi, la définition qu'en a donnée la jurisprudence. Ces clarifications très attendues ont été saluées par les associations familiales et les praticiens – avocats ou magistrats – que j'ai entendus au cours des auditions. Je vous proposerai cependant, dans un amendement, de clarifier le mécanisme de résolution des conflits, afin d'éviter tout risque de paralysie en cas de désaccord entre les parents.

Le même article 4 qualifie expressément le changement de résidence et le changement d'établissement scolaire de l'enfant d'actes importants. Ces deux événements peuvent en effet avoir des conséquences considérables pour l'enfant et pour le maintien de ses relations avec ses deux parents. Une exception est cependant prévue, afin de permettre au parent victime d'un crime ou d'un délit commis par l'autre parent et ayant fait l'objet d'une condamnation d'être dispensé de son accord pour déménager. Des associations de défense des droits des femmes ont trouvé sa rédaction trop restrictive et ont souhaité qu'elle soit étendue. En sens inverse, les représentants des avocats et des magistrats ont trouvé l'exception trop large et trop automatique. J'ai entendu ces critiques et je vous proposerai un amendement qui réécrit cette exception afin, d'une part, de soumettre le jeu de l'exception au juge aux affaires familiales et, d'autre part, de permettre la prise en compte des violences, même si elles n'ont pas fait l'objet d'une condamnation, qu'elles aient été exercées à l'encontre de l'autre parent ou de l'enfant.

D'autres dispositions ont pour objet de rendre les règles relatives à l'exercice conjoint de l'autorité parentale plus effectives, en renforçant leur respect. L'absence de dispositif d'exécution forcée des décisions des juges aux affaires familiales constitue en effet une lacune. Pour la combler, l'article 5 crée une amende civile, qui pourra être prononcée par le juge aux affaires familiales en cas de manquement grave ou renouvelé aux règles de l'exercice conjoint de l'autorité parentale ou si sa décision n'a pas été respectée. Tel serait le cas, par exemple, du déménagement de l'enfant sans avoir sollicité l'accord de l'autre parent – sauf si le juge a dispensé de solliciter cet accord, évidemment –, ou si l'un des parents faisait obstacle au droit de visite de l'autre parent. Le dispositif prévu est encadré : l'amende est plafonnée à 10 000 euros ; son montant sera proportionné à la gravité de l'atteinte et aux facultés contributives du parent, et le juge aux affaires familiales devra prendre une décision spécialement motivée.

L'article 8 transforme par ailleurs en contravention de la quatrième classe le délit de non-représentation d'enfant, qui est actuellement rarement poursuivi. Cette « contraventionnalisation » est cependant réservée à la première infraction : en cas de réitération, la non-représentation restera un délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. L'objectif recherché par cette transformation en contravention est de lutter plus efficacement contre cette infraction : mieux vaut une contravention – qui pourra faire l'objet d'une amende forfaitaire de 135 ou 375 euros – effectivement prononcée qu'un délit non réprimé en pratique.

Je vous proposerai par ailleurs plusieurs amendements visant eux aussi à renforcer l'effectivité des règles relatives à l'exercice de l'autorité parentale. L'un d'entre eux rappelle la possibilité, pour le juge aux affaires familiales, d'assortir sa décision d'une astreinte. L'astreinte, rarement utilisée en pratique, serait pourtant un instrument efficace pour lutter, par exemple, contre le non-paiement de la pension alimentaire, un phénomène que nous devons combattre énergiquement.

Il était essentiel, par ailleurs, de trouver une solution plus satisfaisante concernant la résidence de l'enfant et de mettre fin aux controverses sur la résidence alternée, qui cristallisent, dans certaines séparations, les oppositions. La réforme que nous proposons vise à dépasser les clivages entre les partisans d'une résidence alternée paritaire de principe, selon lesquels seul ce mode de résidence permettrait à l'enfant de conserver des liens avec chacun de ses parents, et les opposants à ce mode de résidence, qui font valoir que l'alternance risque de déstabiliser l'enfant alors que celui-ci a besoin de repères.

La solution retenue consiste à poser pour principe que la résidence de l'enfant, en cas de séparation des parents, est fixée au domicile de chacun des parents, selon des modalités déterminées entre eux d'un commun accord ou, à défaut, par le juge. Les termes de « résidence alternée » disparaissent donc de notre droit et les parents n'auront plus à effectuer un choix binaire entre résidence alternée ou résidence chez l'un d'entre eux. Il ne s'agit en aucun cas de faire de la résidence alternée paritaire le principe, contrairement à ce que certains ont pu comprendre – je souligne d'ailleurs que ni l'exposé des motifs ni le dispositif ne font référence à une alternance paritaire. Alternance des temps de résidence ne signifie pas résidence alternée paritaire, ce n'est pas la même chose. L'objectif du texte est que tous les parents se sentent parents à égalité et que l'on trouve la meilleure solution pour chacun des enfants : on peut très bien imaginer qu'un bébé soit confié à la mère, tandis qu'un enfant de douze ans pourra préférer résider 50 % du temps chez son père, 50 % du temps chez sa mère. Ce qui importe est de trouver la meilleure solution pour l'enfant.

La réforme fait par ailleurs disparaître le droit d'hébergement en cas d'exercice conjoint de l'autorité parentale, et rend le droit de visite exceptionnel dans ce cadre également. Cette terminologie était souvent mal ressentie par les parents concernés, pour lesquels le droit de « visiter » et « d'héberger » son enfant ne saurait correspondre à l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

Globalement, cette réforme du mode de résidence a été très bien accueillie par les principaux acteurs intéressés, sous réserve des malentendus que j'ai évoqués au sujet de l'alternance des temps de résidence mentionnée dans l'exposé des motifs, parfois mal interprété par certaines associations. Les amendements que je vous présenterai devraient dissiper ces malentendus.

Le deuxième chapitre de la proposition de loi vise à reconnaître et à sécuriser la place que les beaux-parents occupent déjà de fait dans l'éducation et la vie quotidienne des enfants, avec qui ils nouent des liens affectifs forts et durables. Son objet n'est pas d'instituer un « statut du beau-parent », qui serait rigide et ne correspondrait pas à la diversité des situations et des attentes, mais d'offrir une panoplie d'instruments souples, évolutifs et adaptables. Les dispositions proposées s'inspirent des nombreux travaux et réflexions antérieurs sur ce sujet. Je songe notamment au rapport de Mme Dominique Versini lorsqu'elle était Défenseure des enfants, à l'avant-projet de loi sur l'autorité parentale et les droits des tiers présenté en 2009 par Mme Nadine Morano, alors secrétaire d'État chargée de la famille, au rapport de M. Jean Leonetti ou, plus récemment, à celui remis par Mme Irène Théry.

La proposition de loi prévoit donc une série d'instruments accordant une place croissante aux beaux-parents, selon les choix opérés par les familles concernées et leurs besoins.

L'article 9 étend la présomption légale d'accord de l'autre parent prévue par l'article 372-2 du code civil pour les actes usuels à tous les tiers autorisés, sans qu'aucun formalisme ne soit exigé.

L'article 10 crée un mandat d'éducation quotidienne, qui vaudra autorisation générale d'accomplir les actes usuels de l'autorité parentale, pour ceux qui veulent aller au-delà d'autorisations ponctuelles. Il pourra être établi sous seing privé ou en la forme authentique, et nécessitera l'accord de l'autre parent.

L'enfant pourra, à titre exceptionnel, être confié à un tiers par une décision du juge aux affaires familiales, comme le prévoit le droit en vigueur. Les pouvoirs du tiers dans ce cadre seront cependant étendus, puisqu'il pourra accomplir tous les actes usuels – et non plus seulement relatifs à la surveillance et à l'éducation de l'enfant – et être autorisé à titre exceptionnel par le juge à accomplir un acte important.

Les parents pourront aussi décider de partager l'exercice de l'autorité parentale avec un tiers, par la voie d'une convention homologuée.

Enfin, comme c'est le cas dans le droit en vigueur, le ou les parents pourront décider de transférer l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, par un jugement, en sollicitant une délégation de cet exercice.

Le troisième chapitre aborde la médiation familiale. Celle-ci permet d'apaiser les conflits et de trouver, dans de nombreux cas, des solutions mutuellement acceptables pour les parties. Elle intervient, par excellence, dans l'intérêt de l'enfant. Elle mérite donc d'être développée.

Dans cet esprit, il est proposé d'insérer dans la loi du 8 février 1995 trois nouveaux articles. Le premier rappelle que les époux et les parents ont la possibilité de recourir à la médiation en cas de conflits familiaux. Le deuxième contient une définition de la médiation familiale. Le troisième porte sur le régime juridique qui lui est applicable.

Le chapitre III prévoit en outre la lecture par l'officier d'état civil le jour du mariage d'une nouvelle disposition relative à cette médiation. Il donne également au juge la possibilité d'enjoindre aux parents de participer à des séances de médiation familiale – un amendement précisera qu'il s'agit d'une ou deux séances, le but n'étant pas d'instituer une « médiation forcée » –, que ce soit dans le cadre de la fixation des modalités d'exercice de l'autorité parentale ou dans le cadre des instances dites « modificatives ». Je proposerai par un autre amendement d'écarter cette possibilité s'il y a eu violences, car, dans ce cas, une médiation ne peut être imposée.

Le quatrième chapitre a pour objet mieux prendre en compte la parole de l'enfant dans le cadre de toute procédure le concernant, comme y invite naturellement l'évolution du droit, tant interne qu'international, de ces dernières années. Il y a là une préoccupation partagée par de nombreuses institutions, à commencer par le Défenseur des droits. L'article unique de ce chapitre prévoit plus précisément qu'un mineur doit être entendu d'une manière adaptée à son degré de maturité. Cette rédaction ne constitue, à mes yeux, qu'une première étape qui appelle des compléments ultérieurs.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite à adopter la présente proposition de loi, qui comporte de nombreuses mesures concrètes qui simplifieront le quotidien des parents et des enfants. Ces avancées sont justes. Elles répondent, j'en ai la profonde et intime conviction, à un souci permanent de l'intérêt général et non à des considérations catégorielles.

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