Intervention de Erwann Binet

Réunion du 6 mai 2014 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet :

Cette proposition de loi doit s'entendre comme un prolongement des transformations législatives qui ont déjà accompagné les évolutions des familles en France.

Le couple lui-même, et l'égalité de droit instaurée en son sein, est un des axes essentiels de ces transformations. Le mouvement commence en 1938, avec la suppression de la puissance maritale – l'autorité du mari sur son épouse –, de l'incapacité juridique de la femme mariée ainsi que de son devoir d'obéissance. Il se poursuit en 1965 avec la réforme des régimes matrimoniaux, qui permet aux Françaises de choisir une profession ou d'ouvrir un compte en banque sans le consentement de leur mari. La loi du 4 juillet 1970 supprime les notions de « chef de famille » et de « puissance paternelle » au profit de celle d'« autorité parentale ». En 1975, le droit au divorce est véritablement consacré, avec l'adjonction, au divorce pour faute, du divorce par rupture de la vie commune et du divorce par consentement mutuel. L'évolution du divorce repose sur l'idée maîtresse que l'on ne peut forcer un époux à rester dans le mariage mais que, au-delà du couple conjugal, le couple parental continue à exister. Le principe de coparentalité est instauré en 1987. La loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale pose le principe de l'exercice commun de l'autorité parentale, en instaurant notamment la résidence alternée.

L'autre axe d'évolution est celui de la filiation. Les réformes successives ont imposé l'émergence de l'intérêt de l'enfant à l'encontre des inégalités et des pénalités que devaient parfois subir les enfants – dits « adultérins », puis « naturels » – lorsque ceux-ci n'avaient pas l'heur d'être nés dans le mariage.

Par cette proposition de loi, nous interrogeons à nouveau le législateur sur l'adaptation de notre droit aux familles d'aujourd'hui. La réalité des familles de 2014 n'est pas simple à appréhender tant elle est plurielle. Nous avons déjà débattu de cette question il y a un an, lors de l'examen du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Rappelons seulement quelques chiffres : plus d'un enfant sur deux naît en dehors du mariage, près de 3 millions d'enfants vivent au sein de familles monoparentales, 130 000 divorces sont prononcés chaque année et 1,5 million d'enfants vivent avec un parent et un beau-parent au sein de plus de 700 000 familles recomposées. Dans une tribune cosignée par la rapporteure et par notre collègue Paul Molac, nous écrivions il y a quelques mois : « Sauf à marginaliser un très grand nombre de compatriotes et leurs enfants, il n'est plus possible de faire tourner nos références autour d'un seul modèle, celui de la famille stable, indestructible et biologique. » La société se réforme elle-même. Elle n'attendra jamais la loi pour évoluer. Mais le silence de la loi ouvre la porte aux dérives et aux risques. L'évolution du droit civil doit donc se poursuivre pour prendre en compte les transformations sociologiques de la cellule familiale. Des pères ont manifesté, parfois de manière spectaculaire, leur souhait d'une plus grande égalité de traitement des demandes du couple séparé. Des mères soulignent souvent l'asymétrie entre la pénalisation forte de la non-représentation d'enfant et l'absence de contrainte pour celui qui n'exerce pas son droit de visite et d'hébergement.

De même, derrière le développement de la médiation familiale, c'est la mise en oeuvre de la coparentalité après la séparation qui est interrogée. L'idée que le couple parental doit survivre au couple conjugal impose qu'un environnement favorable au dialogue s'établisse au sein de couples dont les relations sont susceptibles de rester conflictuelles.

Enfin, le développement des familles recomposées pose la question de l'inexistence juridique de la place du beau-parent et de ses liens avec ses beaux-enfants.

Le législateur a décidé de remiser au grenier de l'histoire du droit de la famille les notions de puissance maritale, de puissance paternelle, d'enfant adultérin, de chef de famille. Aujourd'hui, ces évocations nous font sourire tant elles semblent désuètes. Avec cette proposition de loi, je ne doute pas que d'autres postulats largement usités quoique très décriés les rejoindront. C'est le cas du droit de visite et d'hébergement, notion totalement décalée et très mal vécue lorsqu'elle figure dans le prononcé du jugement.

Le texte permet d'avancer un peu plus dans le prolongement des lois de 1987, 1993 et 2002. Il établit dans le code civil une égale considération des parents après leur séparation, tant au regard de l'enfant qu'au regard de la société, en prévoyant la double résidence des enfants. Il rappelle la nécessité et les conditions d'expression de l'accord des deux parents au sujet des décisions concernant l'enfant, tout en permettant de prendre appui sur la médiation familiale. Il permet également la reconnaissance de la place des beaux-parents. Ceux-ci s'investissent humainement, affectivement, parfois financièrement, dans l'éducation de leurs beaux-enfants. Il est devenu irréaliste de les ignorer.

Le groupe SRC défendra plusieurs amendements au cours de nos débats. Je veux saluer le long travail mené par notre rapporteure depuis plusieurs mois, d'abord dans la perspective d'un projet de loi relatif à la famille aux côtés de Mme Dominique Bertinotti, puis dans le cadre de cette proposition de loi cosignée par les membres du groupe SRC et par plusieurs membres du groupe écologiste. Nous avons constaté que les grands principes de ce texte recueillaient un large consensus. Il faut souligner à cet égard l'apport constructif et consensuel de l'ensemble des associations familiales, même s'il est difficile de répondre favorablement à l'ensemble des attentes, qui sont parfois contradictoires.

Il n'y a pas de politique familiale sacrée ou intangible. De même, il n'y a pas un modèle exclusif de famille. Le groupe SRC est convaincu de la nécessité d'apporter aux familles toujours plus de sécurité juridique, toujours plus d'égalité et toujours plus de place dans l'intérêt de l'enfant. C'est le sens de cette proposition de loi que nous sommes fiers de porter.

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