Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 2 avril 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, CEA :

Je ne traiterai ici que des questions relatives aux activités civiles du CEA. Je pense d'abord à nos activités de recherche et développement passées, présentes et futures : nous nous efforçons de développer des technologies et d'accroître les connaissances au service d'un usage sûr et techniquement comme économiquement optimisé de l'énergie nucléaire, à des fins de production électrique. Nous avons également des activités de démantèlement, d'assainissement et de gestion des déchets pour des installations à l'arrêt, en activité ou en construction. Le CEA, créé en 1945, a développé de nombreuses installations qui ont servi la filière nucléaire ; il a aujourd'hui la responsabilité de leur démantèlement et de leur assainissement.

Les études que nous avons menées ont montré qu'il n'y a pas d'obstacle de principe à la poursuite de l'activité des réacteurs jusqu'à soixante ans. Cela nécessite néanmoins des examens réguliers et des moyens de diagnostic. C'est la mission de l'institut créé par EDF, AREVA et le CEA : développer les outils nécessaires pour assurer au mieux la sûreté des installations nucléaires. Le mécanisme de revue décennale permet en outre à l'autorité de sûreté d'indiquer à la puissance publique s'il est pertinent de poursuivre l'exploitation.

Toutefois, même s'il est décidé de prolonger l'exploitation des réacteurs jusqu'à cinquante ou soixante ans, les cinquante-huit réacteurs qui fonctionnent actuellement auront tous atteint cet âge en 2055 ou 2060. Dans l'hypothèse de la poursuite d'une activité nucléaire, même réduite – on peut estimer que trente-cinq réacteurs seraient nécessaires –, la bonne gestion voudrait que l'on prévoie d'ores et déjà le remplacement des réacteurs aujourd'hui en fonctionnement. Le CEA travaille sur ce dossier.

S'agissant enfin des charges de démantèlement et d'assainissement, l'évolution récente est forte : en 2002, nous dépensions 114 millions d'euros à ces fins ; en 2013, nous en avons dépensé 280 millions ; dans les années à venir, les dépenses annuelles vont croître encore, puisque nous prévoyons de dépenser entre 340 et 370 millions d'euros par an pour le démantèlement et l'assainissement. Depuis la fin des années 1990, le CEA a déjà dépensé plus de 2,5 milliards d'euros, essentiellement pour des activités industrielles : nous disposons donc déjà d'un retour d'expérience extrêmement significatif. Cette expertise nous est fort utile pour calibrer au mieux les provisions nécessaires.

Jusqu'en 2011, nous avions dépensé 2,1 milliards d'euros, dont 90 % étaient des financements hors subvention, venant essentiellement des dividendes AREVA – près de 950 millions d'euros – et des soultes versées par AREVA et EDF pour le démantèlement et l'assainissement de différents équipements – plus de 800 millions d'euros. Ces fonds ont été placés, ce qui nous a rapporté 330 millions d'euros.

Ces ressources s'épuisant, nous basculons désormais vers un dispositif nouveau : une convention-cadre avec l'État a été signée pour que nous disposions des moyens nécessaires, pour partie grâce à la vente à l'État de nos actions AREVA, mais aussi grâce à des subventions. En 2010, ces dernières se sont élevées à 189 millions d'euros et, cette année, elles sont de 249 millions d'euros. Les engagements financiers de l'État pour le plan triennal 2011-2013 ont été parfaitement respectés, ce qui nous a permis d'optimiser la planification des travaux de démantèlement et d'assainissement. À cet égard, je souligne qu'une partie des charges sont liées à la sûreté : plus nous repoussons le démantèlement et l'assainissement d'une installation, même si elle est déjà arrêtée, plus l'ensemble de l'opération sera coûteux. Chaque année, les coûts de fonctionnement – ventilation, électricité, sûreté, protection… – représentent pour le CEA plus de 100 millions d'euros, sur les 650 millions des opérations de démantèlement et d'assainissement civiles et militaires.

S'agissant des provisions, le montant du fonds dédié civil est de 4,670 milliards d'euros. Cela concerne essentiellement les installations antérieures à 2010. À partir de 2010, un nouveau fonds dédié a été mis en place ; il doit être approvisionné au fur et à mesure de l'ouverture de nouvelles installations ou de la production de nouveaux déchets. Ce nouveau fonds est aujourd'hui doté de 63 millions d'euros – les provisions nécessaires ne sont actuellement que de 20 millions, mais nous prévoyons l'ouverture, en 2019, du réacteur Jules-Horowitz (RJH). Notre expertise nous permet de calculer les provisions. Nous avons mis en place des dispositifs de contrôle opérationnel, avec un suivi annuel et des fiches précises, par installation, qui associent contenu physique des opérations de démantèlement à mener et couverture financière associée. Aujourd'hui, nous avons des coûts cibles, et nous avons prévu des aléas : la plupart de nos installations sont uniques, ce qui rend difficile de prévoir le coût d'un démantèlement. Je peux vous donner l'exemple du démantèlement et de l'assainissement des installations nucléaires du site CEA de Grenoble, notamment du réacteur Siloé. Une fois les opérations presque terminées – ce qui a représenté une dépense d'environ 200 millions d'euros, conforme à nos prévisions –, nous avons découvert qu'une fuite très limitée avait contaminé le radier, c'est-à-dire le plancher de l'installation : l'ASN a exigé que nous traitions cette contamination. Extrêmement faible, elle ne posait pas de problème sanitaire, mais l'engagement était le retour à l'herbe : nous avons donc dû dépenser 50 millions d'euros supplémentaires. Nous devons donc prévoir ce type d'événements.

Nos évaluations sont tout à fait robustes : en 2009, nous avons révisé entièrement nos perspectives, et nous avons accru le fonds civil de près de 700 millions. Nous restons dépendants de demandes externes – évolution des conditions de sûreté, des prix de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), des calendriers… Ainsi, nous devions démanteler le réacteur Phénix à Marcoule : pour des raisons électorales, l'enquête publique a été reportée d'un an ; il faudra donc payer les charges de fonctionnement de Phénix, soit plusieurs dizaines de millions d'euros, pendant une année supplémentaire.

Enfin, j'ai pris connaissance avec intérêt des auditions déjà menées par votre commission. Contrairement à ce que certains peuvent penser, notre effort de recherche ne faiblit pas : en 2010, nous avons dépensé en recherche et développement dans le domaine du nucléaire 460 millions d'euros, dont 150 millions provenaient de ressources externes, et en particulier de partenaires comme EDF, dont je salue ici l'engagement ; en 2013, nous en étions à 730 millions d'euros, avec une proportion semblable de recettes externes.

J'ai entendu aussi certaines interrogations sur les réacteurs de quatrième génération : je suis bien sûr prêt à répondre à vos questions sur ce sujet.

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