Intervention de Pierre Aubouin

Réunion du 2 avril 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Pierre Aubouin, directeur général adjoint chargé des finances d'AREVA :

AREVA exploite en France dix-huit installations nucléaires de base qui entrent dans le champ d'application de la loi du 28 juin 2006. Il s'agit exclusivement d'installations du cycle du combustible nucléaire, en cours d'exploitation ou à l'arrêt. Nous sommes également concernés par la reprise et le conditionnement de déchets historiques sur certaines de nos installations.

À la fin de l'année 2013, les charges futures du groupe s'élèvent, en devis brut, à 12 milliards d'euros, dont les trois quarts à peu près sont concentrés sur l'établissement de La Hague. Nous constituons donc naturellement des provisions dans notre bilan, pour un montant actualisé et tenant compte de l'inflation qui est de 5,96 milliards d'euros. Le montant des actifs dédiés s'élève à 6,09 milliards d'euros. Le taux de couverture est donc de 102,2 %.

Historiquement, dès 1993, la COGEMA, prédécesseur d'AREVA, avait mis en place des actifs financiers dédiés pour faire face à ses obligations en fin de cycle. Aujourd'hui, le suivi de nos obligations fait l'objet d'un encadrement très particulier au sein des instances de gouvernance d'AREVA, avec plusieurs niveaux de contrôle interne. AREVA est une société à directoire et conseil de surveillance. C'est le directoire qui, sur proposition de la direction financière, arrête la politique de gestion des fonds dédiés, notamment la charte d'investissement et l'allocation stratégique du portefeuille à long terme. La mise en oeuvre de cette politique est en retour déléguée à la direction financière, et notamment en son sein à deux départements : la direction du patrimoine nucléaire, qui gère le suivi des actifs et des passifs, et la direction des opérations de financement et de trésorerie, qui gère les fonds dédiés. Le conseil de surveillance a mis en place un comité de suivi des obligations de fin de cycle, qui revoit les choix du directoire. Le directoire a constitué un comité de suivi des opérations de démantèlement qui revoit périodiquement les estimations et favorise la diffusion des retours d'expérience au sein des différentes installations du groupe. Comme c'est le cas pour EDF et pour le CEA, nos travaux font bien sûr l'objet de nombreux contrôles externes : à la liste dressée par Thomas Piquemal, sur laquelle je ne reviens pas, j'ajouterai par exemple le Contrôle général économique et financier (CGEFi).

S'agissant des actifs dédiés, leur gestion par AREVA a jusqu'ici donné satisfaction. Le ratio de couverture est supérieur à 100 % en dépit d'événements défavorables, comme la baisse du taux d'actualisation intervenue en 2012, mais aussi la crise et la forte volatilité des marchés financiers depuis 2008. Les seules variations notables intervenues dans notre portefeuille sont le démantèlement de l'usine Georges-Besse, exploitée par Eurodif, et l'élargissement du périmètre de nos obligations, par exemple à la nouvelle usine d'enrichissement Georges-Besse II.

Depuis 2007, le rendement est légèrement supérieur à 4 % – n'oublions pas que nous avons traversé durant cette période une crise boursière majeure. Depuis 1993, année de la mise en place du fonds dédié, la moyenne annuelle de rendement du portefeuille est de 9,4 %. Le portefeuille d'actifs d'AREVA est diversifié et investi majoritairement à long terme dans l'économie française et européenne, ainsi qu'en dettes souveraines de la zone euro ; 85 % sont des titres financiers – actions pour 40 %, placements obligataires ou monétaires pour 45 % – et 11 % supplémentaires sont des créances à recevoir, notamment du CEA. Enfin, le solde est constitué d'une quote-part de tiers, c'est-à-dire la part du financement à la charge de certains actionnaires minoritaires de nos activités.

La liquidité de ces actifs est un point important. Nous nous assurons que les dépenses les plus proches dans le temps, c'est-à-dire celles des cinq prochaines années, seront financées sans avoir à revendre des actifs volatils ou risqués. Pour AREVA, cela représente environ 200 millions d'euros par an : nous utilisons les revenus du portefeuille, sans toucher au principal, et complétons par des cessions de parts de fonds monétaires ou d'obligations d'État notées AAA.

La gestion des passifs concerne dix-huit installations nucléaires de base. Celles-ci sont diverses : elles comprennent des ateliers de maintenance nucléaire, des usines de fabrication de combustible comme à Romans-sur-Isère ou comme l'usine MELOX dans le Gard, deux usines d'enrichissement d'uranium à Pierrelatte – l'usine Georges-Besse I, à l'arrêt, et l'usine Georges-Besse II –, l'usine de traitement des combustibles irradiés à La Hague… Elles sont également de générations différentes : les premières installations comme l'usine UP2 400 à La Hague date de 1966, quand la production de l'usine Georges-Besse II a démarré en 2011. Au fur et à mesure, les problèmes posés par le démantèlement ont été de mieux en mieux et de plus en plus tôt pris en considération. Ainsi, la technique de centrifugation utilisée par l'usine Georges-Besse II permet de diminuer fortement les volumes irradiés.

À la fin de l'année 2013, les provisions que j'évoquais tout à l'heure concernent à 85 % le démantèlement des installations et à 15 % la gestion ou la reprise des déchets.

L'évaluation des passifs fait l'objet d'un processus robuste, marqué par la récurrence des devis. Ceux-ci sont réévalués tout au long de la vie des installations. Le coût futur du démantèlement est pris en compte dès la conception de l'installation ; à la mise en service, nous réalisons un travail approfondi ; nous procédons ensuite à des révisions triennales des devis, afin d'intégrer tout événement particulier ou toute évolution réglementaire ; dès la fin d'exploitation, et avant même le décret de démantèlement, nous élaborons un « devis opérationnel », sur la base de consultations de fournisseurs. Enfin, à l'issue des travaux de démantèlement, nous effectuons un exercice complet de retour d'expérience.

Deux incertitudes demeurent. La première concerne le taux d'actualisation des passifs : ce n'est pas pour nous une question de normes comptables, mais plutôt une frustration causée par les modalités de calcul imposées par l'arrêté ministériel qui définit le taux plafond utilisable. Ce calcul est fondé sur une moyenne mobile historique de taux d'intérêt observés sur les obligations d'État, ce qui pose problème dans un contexte de forte volatilité des marchés financiers. Nous dialoguons donc depuis plus d'un an avec l'autorité administrative, ainsi qu'avec les autres entreprises concernées, pour stabiliser dans le temps ce taux d'actualisation : cela permettrait une gestion sereine et durable du portefeuille d'actifs. Dans le cas contraire, la volatilité qui pourrait être introduite dans l'évaluation des passifs, du fait des variations du taux d'actualisation, pourrait provoquer des difficultés dans la gestion du portefeuille d'actifs.

La seconde concerne le devis du centre de stockage des déchets ultimes en couche géologique profonde. Nous indiquons dans nos états financiers la sensibilité de ce devis. Il nous semble qu'il y a tout intérêt à poursuivre l'optimisation technique et économique de ce projet.

Nous disposons en matière de démantèlement d'un fort retour d'expérience, très utile pour les opérations en cours ou à venir. Il est valorisé auprès de nos clients français ou étrangers. Plus de quarante opérations de démantèlement sont en cours dans les installations du groupe, pour un devis total de 2 milliards d'euros, principalement à La Hague et à Cadarache. Nous effectuons également des travaux de reprise et de conditionnement de déchets pour un coût à terminaison de 1,3 milliard d'euros : c'est donc pour nous une activité importante. Nous avons achevé le démantèlement de deux sites, à Annecy et à Veurey. Deux chantiers sont en phase finale, l'un à Miramas et l'autre à Dessel, en Belgique. Nous préparons actuellement le démantèlement de l'usine historique d'Eurodif au Tricastin. Nous participons enfin au démantèlement d'installations d'EDF – Chooz A – et du CEA – à Marcoule. L'opération de démantèlement de l'installation du CEA mobilise par exemple 900 salariés d'AREVA, soit près de 40 % des effectifs qui se consacrent au démantèlement.

Nous participons enfin de longue date à des opérations de démantèlement à l'étranger : nous avons ainsi mené divers chantiers en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis.

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