Alors même que la France a lancé son programme nucléaire il y a quarante ans et que certains envisagent de construire de nouvelles installations, nous n'avons toujours pas d'idée précise sur la manière dont nous allons gérer les déchets, ni sur le coût que cela représentera. Il y a là, en effet, un vrai problème moral : nous laissons la facture aux générations futures – d'abord à nos propres enfants. Je suis très surpris que la filière nucléaire s'affranchisse à ce point de certaines règles, ce qui apparaîtrait irresponsable dans beaucoup d'autres domaines industriels, en tout cas au bout de tant d'années de fonctionnement. D'autant que nous devons absolument traiter la question des provisions : comment faire payer correctement aux consommateurs le coût de la production d'électricité et de ses conséquences si nous ne sommes pas en mesure d'évaluer les charges futures induites par la gestion des déchets ? Même si les études réalisées à ce stade tendent à montrer que leur impact sur le prix du kilowattheure ne serait pas si important, nous ne pouvons faire l'économie de cette interrogation.
S'agissant de l'inventaire, les représentants d'AREVA nous ont indiqué que, selon leurs estimations, le coût du stockage des déchets sans retraitement et celui de l'ensemble de la filière du retraitement – y compris la production de combustible MOX – étaient à peu près équivalents. Faites-vous la même évaluation ? Il s'agit d'un élément important à prendre à compte dans nos choix de politique énergétique, qu'ils soient faits par nous dans les mois et les années qui viennent ou par d'autres ultérieurement. À un moment donné, la décision d'arrêter le retraitement finira par être prise. Quel en sera l'impact en termes de coûts sur la gestion des déchets ?
Concernant la sûreté du projet Cigéo, j'ai été étonné par certaines déclarations des membres de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2) lorsqu'ils ont été auditionnés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : ils doutaient de notre capacité à construire des alvéoles qui tiennent suffisamment longtemps pour que l'on puisse récupérer les déchets dans un siècle ; en outre, ils s'interrogeaient sur le comportement de certains déchets ou mélanges de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) – en particulier des bitumes – en cas d'incendie. Le président de la CNE2 a même évoqué le risque qu'une « grosse fumée noire » s'échappe du site de Cigéo, ce qui pourrait, selon lui, inquiéter la population. En effet, pour reprendre vos termes, cela ne renforcerait guère l'acceptabilité du projet !
Compte tenu de la nécessité d'établir une démonstration de sûreté dans de bonnes conditions, convient-il, selon vous, de revoir le calendrier, et donc de modifier la loi qui l'a fixé ?
Si l'idée de réaliser un démonstrateur industriel à l'échelle 11 pour le stockage géologique est retenue – elle est également ressortie du débat public –, ne devrions-nous pas en construire un deuxième pour le stockage en subsurface ? Cela nous permettrait de disposer d'une solution de repli au cas où le projet Cigéo ne pourrait pas être mené à bien, notamment si nous ne parvenions pas à établir une démonstration de sûreté convaincante. Et une telle installation pourrait durer plus longtemps – quelques siècles – que celle qui existe actuellement à La Hague.