Je me propose de partager avec vous quelques réflexions d'économiste autour de la question de l'ancien et du nouveau nucléaire.
Il faut d'abord souligner que la question de la durée de vie du parc existant et celle de savoir par quoi il sera remplacé sont tout à fait indépendantes : il faudra bien, un jour, fermer les centrales existantes, que ce soit à un horizon de quarante, cinquante ou soixante ans. J'en veux pour preuve empirique que certains pays qui ont décidé de ne plus construire de nouveau nucléaire, comme la Suisse ou l'Allemagne, ont adopté des calendriers de sortie différents : certains ont décidé de fermer rapidement les réacteurs existants, d'autres de le faire lentement. Certains ont choisi de ne pas les remplacer, tandis que d'autres envisagent de les remplacer par de nouveaux réacteurs. Ce sont donc deux questions qui se posent en parallèle : celle du calendrier et celle du remplacement – ou non – des réacteurs existants par de l'éolien, du gaz ou du nucléaire.
Le sujet important aujourd'hui est le calendrier : la France optera-t-elle pour une fermeture rapide ou progressive des réacteurs ? En Allemagne, deux options ont successivement été envisagées : une sortie progressive, avec la fermeture du dernier réacteur en 2034, et une sortie rapide, avec une dernière fermeture en 2022. À l'issue de l'accident survenu dans la centrale de Fukushima-Daïchi, la décision prise a été celle d'un calendrier accéléré. Ces deux calendriers n'ont pas le même coût, et l'option choisie par l'Allemagne coûte environ 50 milliards d'euros à l'économie allemande.
Compte tenu des conséquences qu'elle peut avoir sur l'économie, la question du calendrier de fermeture des réacteurs existants est un sujet économique.
En deuxième lieu, et aussi brutal que cela puisse paraître, on ne voit pas, d'un point de vue économique, pourquoi la décision de fermeture des réacteurs existants devrait être prise par des tiers autres qu'une autorité de sûreté et l'opérateur. De fait, dès lors que l'autorité de sûreté indépendante chargée de veiller au maintien ou à l'amélioration de la sûreté des réacteurs en activité indique à l'exploitant qu'il peut poursuivre l'exploitation d'un réacteur moyennant certains travaux, celui-ci évalue la rentabilité de cette prolongation en fonction de ses projections quant au prix de vente de l'électricité. Il s'agit là d'un raisonnement économique en termes de coûts et bénéfices.
Dès lors, le pouvoir exécutif et législatif doit-il intervenir sur ce calendrier ?
Une première réponse possible est qu'il le doit au nom de la sécurité de l'approvisionnement, comme c'est le cas en Allemagne et dans certains autres pays européens, où des régulateurs et des politiques interviennent pour empêcher la fermeture de centrales. La sécurité de l'approvisionnement est en effet, d'un point de vue d'économiste, un bien collectif qui relève du pouvoir politique. Une telle justification semble militer plutôt pour un prolongement de la durée de vie des réacteurs.
En dehors de ce cas, dès lors que l'autorité de sûreté est compétente, il n'y a pas de raison qu'un tiers détermine le calendrier de leur fermeture, à moins que le politique n'élève l'objectif de sûreté, qu'il n'appartient pas à l'autorité de sûreté de définir. Si l'apparition de nouvelles connaissances ou une évolution de la perception du risque par le public peut, en effet, justifier une intervention du politique, celle-ci ne doit pas pour autant viser la fermeture de centrales : le politique doit communiquer le nouvel objectif à l'autorité de sûreté, à qui il revient de prendre les décisions correspondantes. S'il court-circuite l'autorité de sûreté, le politique risque d'en compromettre la crédibilité.
Les travaux que j'ai consacrés à l'évolution des coûts du nucléaire mettent en évidence une tendance relativement connue des spécialistes : le nucléaire est – historiquement du moins – une technologie à coûts croissants, pour laquelle les économies d'échelle et d'apprentissage sont assez difficiles à observer en France, où les conditions ont pourtant été les plus favorables en termes de standardisation et d'expérience de l'opérateur.
En conclusion, je le répète, le sujet économique du moment n'est pas le déploiement de nouveaux réacteurs en France : il s'agit moins de savoir par quoi il convient de remplacer les réacteurs existants que de définir le calendrier de leur fermeture. C'est une question de gouvernance et de choix entre différentes options de fermeture – lente ou accélérée. C'est là une question clé pour l'économie française, que vous êtes en train d'éclairer et de documenter.
À la différence de M. Dessus, je considère que, comme l'illustrent les évaluations effectuées en Allemagne, fermer un réacteur dont l'autorité de sûreté a autorisé l'exploitation et pour lequel l'exploitant juge que le coût des améliorations exigées par cette autorité est nettement inférieur aux recettes futures, c'est jeter de l'argent – et beaucoup d'argent – par la fenêtre.