L'approche par les coûts et les investissements doit être replacée dans un contexte général, car elle est un peu réductrice.
Selon le rapport de la Cour des comptes de 2012, qui est en cours d'actualisation, le coût de l'électricité nucléaire historique (y compris les investissements de prolongation) se situe entre 38 euros en 2010 – 43 aujourd'hui – et 50 euros par mégawattheure. Il ne faut pas oublier qu'un coût est une réponse à une question. L'écart de 7 euros avec les coûts avancés à l'époque par EDF s'explique par la méthodologie retenue, qui diffère selon que l'on veut évaluer les coûts comptables, économiques ou de régulation du parc historique. En l'espèce, il est lié à la rémunération des capitaux investis passés et à deux conceptions différentes de la régulation. Avec la méthode Champsaur, on considère ce qui reste à payer ; dans une vision de coût économique, on calcule ce que coûterait la reconstruction du parc dans les conditions de l'époque mais aux coûts actuels. Cette dernière approche n'a pas d'intérêt du point de vue de la régulation.
Selon la méthode Champsaur, le coût moyen, qui intègre la prolongation de la durée de vie, s'établissait en 2011 à 39 euros, dont 25 pour les charges opérationnelles, 8 pour les investissements futurs (maintenance et allongement de la durée de vie) et 6 pour le capital investi. Après Fukushima, ce chiffre a été réévalué à 42 euros pour tenir compte du renchérissement du coût et de l'accélération des investissements auxquels cet événement a conduit.
Dans le projet de décret relatif au calcul de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), le coût de l'électricité nucléaire a été fixé à 42 euros par mégawattheure pour la période 2011-2025, ce qui correspondrait à 46 euros pour la période 2014-2025, traduisant un effet de rattrapage de 10 % cohérent avec les indications qu'avait pu donner il y a quelque temps le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Pour ce calcul, nous avons choisi d'assimiler tous les investissements à des dépenses d'exploitation (OPEX) sans les amortir, par souci de prudence et afin de ne pas avoir à différencier ce qui relève de la maintenance ou de l'allongement de durée de vie ou d'investissements de toute autre nature.
S'il fallait doubler les investissements en faveur de la maintenance et de la prolongation des centrales, le prix actuel du mégawattheure de l'ARENH se verrait renchéri de 10 euros. Il resterait néanmoins dans une fourchette comprise entre 50 et 60 euros, bien au-dessous du prix d'un nouveau mix, qu'il soit nucléaire ou d'une autre nature, que l'on peut situer dans une fourchette de 80 à 100 euros par mégawattheure.
Il est difficile de déterminer ce que serait le coût du nucléaire en série à partir des seuls exemples de têtes de série français, finlandais et britannique – en ayant à l'esprit qu'au Royaume-Uni, les coûts d'ingénierie, de BTP, etc. sont bien plus élevés. On peut néanmoins estimer le coût du nouveau nucléaire entre 80 et 100 euros du mégawattheure. L'ordre de grandeur serait similaire pour les énergies renouvelables, entre 75 et 80 euros pour l'éolien, auxquels il faut ajouter le coût de l'intermittence, et entre 70 et 75 euros pour les centrales à gaz. Les coûts sont donc sensiblement supérieurs à ceux de la simple prolongation.
Je répète que cette vision exclusivement économique et financière est réductrice.
S'agissant du montant des investissements nécessaires, on dispose essentiellement d'ordres de grandeur, étant entendu que le détail dépendra des résultats de la discussion entre EDF et l'ASN. On a quand même de la part d'EDF une vision globalisée du montant des investissements, dont il faut bien voir qu'ils concernent des opérations très différentes : sous l'appellation de « Grand carénage », il y a une part de communication vis-à-vis du tissu de PME à mobiliser et des autres acteurs industriels ; le programme regroupe d'ailleurs des investissements nécessaires à date de 30 ans, d'autres qui sont nécessaires pour prolonger la durée de vie, d'autres enfin qui relèvent plutôt de rénovations variées. Selon l'estimation d'EDF, ces investissements s'élèveraient à 55 milliards d'euros pour la période 2014-2025. Initialement, ils portaient sur la période 2012-2025, ce qui a conduit certains à avancer un coût final de 70 milliards. Dans le cadre de l'exercice de détermination de l'ARENH, la DGEC a aussi utilisé des courbes fournies par EDF. Ces courbes ont plutôt vocation à être un majorant, pour deux raisons : en premier lieu, parce qu'elles prévoient que les investissements porteront sur tous les réacteurs, alors que certains pourraient ne pas être prolongés pour des raisons de sûreté ou de politique énergétique ; en second lieu, il est dans l'intérêt d'EDF de gonfler ce chiffre dans le cadre du calcul de l'ARENH. Dans ce contexte, les investissements de maintenance de toute nature ont été évalués à 3,7 milliards d'euros par an, contre un flux de 1,7 milliard d'euros aujourd'hui.
Les sommes en jeu sont importantes mais doivent être relativisées au regard des investissements habituels. Ce programme constitue un véritable défi industriel : il s'agit de mobiliser et d'organiser tout le tissu industriel avec la visibilité nécessaire. Nous avons encore à mieux comprendre la nature et le calendrier de ces investissements de 3,7 milliards par an ainsi que la rentabilité propre de chaque opération. Certaines opérations ont clairement une rentabilité propre dès lors qu'il y a une stratégie générale de parc et l'on peut accepter des “coûts échoués” sur telle ou telle centrale qui n'est finalement pas prolongée ; il existe des investissements beaucoup plus lourds et qui nécessitent de savoir plus finement quelle est la stratégie palier par palier, voire centrale par centrale.
Au regard des investissements actuels, le montant annoncé ne semble pas insurmontable. En 2013, les comptes d'EDF affichaient pour la France des investissements de 9,3 milliards d'euros – 3,5 pour les activités de réseau, plus de 5 milliards pour les activités non régulées et 1,4 milliard pour Réseau de transport d'électricité (RTE). À l'échelle internationale, les investissements opérationnels du groupe représentent 13,3 milliards. Le plan à moyen terme 2014-2016 prévoit des investissements annuels de 7 milliards pour les activités non régulées, de 3,5 milliards pour les activités de réseaux et de 400 millions pour les activités insulaires, qui couvrent les zones non interconnectées, ainsi qu'un investissement annuel du groupe de 15,7 milliards. Les investissements envisagés sont donc cohérents avec les montants qu'EDF a l'habitude de manier. À titre de comparaison, dans l'éolien, les investissements s'élèvent à 1,5 milliard d'euros par an pour un gigawatt.